Parmi les nombreux atouts qui confirment la vocation touristique des Trois-Îlets, le golf de la Martinique qui s’étend sur 63 ha est “un 18 trous varié”, situé entre mer et collines, offre aux passionnés de golf, confirmés ou débutants, un large éventail de difficultés. Il constitue une infrastructure remarquable, du moins l’était – elle, il y a quelques années, car mis à part quelques sursauts tel le curage partiel de la ravine, de menus travaux sur les allées ou encore la fermeture de l’entrée et la mise en place d’agent de sécurité durant quelques semaines, c’est une impression d’abandon qui y prévaut.
Les vastes pelouses ne sont plus tondues depuis quelques semaines, les haies ne sont pas entretenues, les hautes herbes, outre les pelouses, envahissent les allées bétonnées où il faut désormais se frayer un passage et les palmes des cocotiers jonchent le sol. Seul les placides bœufs qui y paissent, semblent s’accommoder de la situation.
S’il est vrai que le parking a bénéficié récemment de l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques, ces deux équipements profitent principalement aux nombreux adhérents du club de tennis situé à l’entrée du golf car hormis quelques résidents, les golfeurs touristiques sont de plus en plus rares. L’entretien régulier des greens, des fairways, et des infrastructures est indispensable pour maintenir la qualité du parcours et attirer les golfeurs.
Le golf serait -il en train de changer de vocation, à l’heure où les jeunes agriculteurs ont du mal à s’installer ? Ainsi certains font d’ailleurs valoir non sans humour, que ces terres exemptes de chlordécone pourraient retrouver un usage agricole au bénéfice de tous.
Mais trêve de persiflages, interrogeons-nous plutôt sur les difficultés manifestes que révèlent l’état actuel du golf.
I. L’évolution du modèle
A l’origine, le tourisme de golf est un segment lucratif, les touristes de golf dépensant beaucoup plus que les touristes moyens durant des séjours de 5,7 jours en moyenne.
Associé à l’activité balnéaire des Trois-Ilets, il constitue une valeur ajoutée non négligeable pour l’économie touristique de la commune.
Plus globalement, les parcours génèrent des revenus grâce aux abonnements, aux green fees (droits de jeu), à l’organisation de tournois, à la location de matériel, et à des services annexes comme un restaurant ou une boutique pro shop.
L’exploitation d’un golf supporte une très importante proportion de charges fixes au plan du fonctionnement de l’infrastructure, atteignant fréquemment 80% des charges totales. Elles sont, dans un climat tropical de surcroit, particulièrement lourdes car la qualité d’un golf relève d’abord de ses installations : pelouses et allées impeccables, de même que le cadre environnant, qui nécessitent un personnel et du matériel dédiés, à l’échelle des surfaces à entretenir.
Les dépenses d’investissement – éclairage, favorisant la fréquentation en soirée, optimisation de la gestion de l’eau – l’arrosage avec un recyclage des eaux usées, gestion de la biodiversité, et la réduction des produits chimiques destinés à pérenniser l’activité dans le cadre d’une stratégie durable, ainsi que l’installation d’éléments de confort – abri, toilettes etc. ne sont pas négligeables.
Or, aujourd’hui, l’industrie du golf et son environnement de marché ont évolué et s’inscrivent dans le cadre d’une économie touristique mondiale et concurrentielle. L’émergence du golfeur “nomade”, la démocratisation du golf qui a suivi, l’apparition de cartes de fidélité offrant des « green fees » à prix cassés, l’arrivée d’Internet et des réservations de « green fees » en ligne ont complexifié le modèle économique. De plus, activité saisonnière à l’instar de l’industrie touristique, le golf souffre de flux de recettes irréguliers et saisonniers.
La rentabilité économique de notre golf s’avère dans ce contexte très difficile à atteindre d’autant que dans leurs choix de destination, les touristes golfeurs comparent sans états d’âme, certes les plages, mais aussi les golfs des îles de la Caraïbe.
Un rapide coup d’œil sur le classement des 10 meilleurs golfs des îles voisines s’avère édifiant. En tête, Curaçao avec ses deux golfs de 18 trous est plébiscité, pour son cadre et les caractéristiques techniques de ses parcours ; la République dominicaine compte deux golfs dans le top ten, dont un de 63 trous, ce qui ne l’empêche pas d’être devancée par les golfs d’Aruba, des Bahamas, de Trinidad &Tobago. Les deux golfs de la Barbade figurent aussi dans ce classement. Chacune de ces infrastructures met en valeur ses atouts, en tout premier lieu, son excellent entretien, incontournable.
Elles ont leur identité, fonction du cadre naturel, de l’architecte -designer qui en a signé la conception mais aussi des services : club house, restaurant, boutique et pour Aruba, combinées au golf, villas, résidences entièrement aménagées, bénéficiant d’un service et d’équipements de niveau hôtelier. Nous en sommes loin …
Le constat est sans appel, et pourtant, il faudra bien établir un projet d’exploitation de notre golf, dont le potentiel et les faiblesses devront être examinées sans concession et élaborer un projet destiné à en assurer la pérennité.
II. Innover ! …
Au plan de la gestion
La France compte environ 750 terrains de golf et le poids économique du secteur est valorisé à 1,5 milliard € au total, pour une exploitation des parcours estimée à 760 millions euros. Les chaînes représentent environ 25% du parc et les golfs indépendants 50%.
Le golf de la Martinique est un équipement public, propriété de la CTM, actuellement géré directement par la collectivité, dont nul n’ignore les difficultés et contraintes budgétaires.
Aujourd’hui, ce mode de gestion en régie, est minoritaire parmi les golfs publics qui pour la plupart bénéficient d’une gestion déléguée à une entreprise privée qui l’assure avec son propre personnel selon les méthodes de la gestion privée et à ses risques et périls, en contrepartie du monopole d’exploitation du service.
Cette délégation de service public doit comporter un réel intérêt financier pour le délégataire dont le mobile est économique. Il incombe à la collectivité de mettre toutes les chances de son coté en lui assurant des perspectives de gains à moyen, long terme. La pertinence économique d’un golf relève souvent des possibilités de recettes complémentaires générées par l’hôtellerie, la restauration, etc. Cette valeur ajoutée peut représenter jusqu’à plus de quatre fois le montant des « green fees » touristiques.
D’ores et déjà se pose donc la question des capacités de notre golf stricto -sensu, à offrir pareilles perspectives sauf à mobiliser – rapidement le foncier des alentours …
Par ailleurs, la gestion du golf s’inscrivant dans le cadre d’une politique de développement touristique mais également sportive, la conjonction des deux usages de l’équipement ne manquera pas de figurer parmi les termes de la négociation.
Golf et développement durable
Les trois griefs les plus fréquemment faits aux golfs sont une consommation d’eau excessive, voire un gaspillage de la ressource, un usage abusif de pesticides et d’engrais, et une appropriation foncière de milieux abritant souvent des habitats vulnérables. Ils ont donné lieu à plusieurs chartes et labels prônant le respect et la valorisation de la biodiversité, dont en 2016 le Programme & Label Golf pour la Biodiversité en France.
La biodiversité pourrait constituer l’un des atouts sur lesquels pourrait se fonder l’attractivité de notre golf.
En effet, s’il lui incombe de diminuer son empreinte écologique en respectant les préconisations relatives à la consommation et la pollution de l’eau par les engrais et pesticides épandus sur les surfaces gazonnées, il a l’avantage de la diversité de ses zones, notamment les plus sauvages, densément boisées ou enherbées qui peuvent présenter un intérêt en tant que biotope.
Un partenariat avec le Parc naturel en vue d’un inventaire écologique pourrait mettre en lumière ses caractéristiques, dans l’objectif de valoriser un autre modèle de golf, écologiquement intégré, cet argument venant toutefois en complément de l’entretien et du réaménagement dont on ne saurait faire l’économie.
Il pourrait bien y avoir là une carte à jouer destinée tout à la fois à répondre aux enjeux économiques et écologiques, en faveur d’une mixité des usages touristiques et sportifs.
Gageons que la savane actuelle n’est que transitoire …
Michèle LATOUCHE 20/11/2024