La situation en Haïti : un échec de la MMAS

— Par Jean Samblé —

La situation en Haïti est aujourd’hui un véritable casse-tête pour la communauté internationale. Le pays est plongé dans un chaos sécuritaire sans précédent, largement dominé par des gangs armés qui contrôlent une grande partie de la capitale, Port-au-Prince, et son environnement. Alors que la Mission multinationale d’appui à la sécurité en Haïti (MMAS) a été déployée pour lutter contre cette menace, elle est en échec. Seules 400 des 2 500 forces promises sont sur le terrain, une situation alarmante pour le pays et la région. En outre, la MMAS souffre d’un manque crucial de financement et d’équipements, ce qui la rend largement inefficace face à des gangs mieux armés et plus organisés.

La proposition de transformation : une initiative controversée

Le Conseil présidentiel de transition (CPT) en Haïti, dirigé par un gouvernement intérimaire, a donc proposé de transformer la MMAS en une Mission de maintien de la paix menée par les Casques bleus. Une initiative qui fait débat au sein de la communauté internationale, et qui se heurte à l’opposition de la Chine et de la Russie.

Le 20 novembre 2024, le Conseil de sécurité des Nations Unies a tenu une réunion extraordinaire pour discuter de cette proposition. Les États-Unis, soutenus par l’Équateur, plaident pour la transformation de la MMAS en une mission de maintien de la paix de l’ONU, soulignant que l’urgence de la situation nécessite une réponse plus robuste et un financement adéquat. Le représentant de la Jamaïque a alerté sur la menace grandissante des gangs, qui déstabilisent non seulement Haïti, mais l’ensemble de la région caribéenne, en alimentant le crime organisé transnational. De son côté, la République Dominicaine a mis en garde contre les conséquences de la crise haïtienne pour sa propre sécurité et celle de la région.

L’opposition de la Chine et de la Russie : des arguments critiques

Malgré ces appels à l’aide, la Chine et la Russie s’opposent fermement à l’idée d’envoyer une mission onusienne de maintien de la paix, jugeant la situation trop complexe et dangereuse. Les deux pays estiment qu’un tel déploiement serait une erreur, évoquant l’échec des précédentes missions de maintien de la paix en Haïti. La Russie a d’ailleurs pointé du doigt le manque de cohérence de la politique américaine, rappelant qu’il y a quelques années, les États-Unis avaient appelé au retrait des Casques bleus de l’île. Pour les deux puissances, le contexte actuel en Haïti, caractérisé par une guérilla urbaine où des gangs bien armés contrôlent le terrain, ne répond pas aux critères nécessaires pour déployer une opération de maintien de la paix. De plus, Moscou souligne l’absence d’une autorité légitime en Haïti, l’actuel gouvernement intérimaire étant perçu comme illégitime, ce qui remet en question la validité de la demande du CPT.

La MMAS : un modèle défaillant ?

Le débat a également fait ressortir des dissensions internes sur l’efficacité de la MMAS elle-même. Des experts comme Lou Pingeot, spécialiste des missions de maintien de la paix, estiment que le modèle actuel, où plusieurs pays apportent un soutien sans coordination claire, est voué à l’échec. Elle critique le manque de transparence des règles d’engagement de la MMAS et le fait que cette force ne soit pas assez nombreuse ni suffisamment équipée pour occuper durablement le territoire. En outre, Pingeot souligne que la MMAS semble être en difficulté face à un problème beaucoup plus complexe que celui d’une simple lutte contre des gangs : il s’agit aussi de lutter contre un système de financement et d’armement bien rodé qui soutient les groupes criminels. Elle avertit que l’approche purement militaire, comme celle de la MINUSTAH dans le passé, a échoué, car elle n’a pas cherché à démanteler les réseaux criminels en amont, mais s’est concentrée sur des opérations « musclées » contre les gangs, sans s’attaquer à leurs soutiens politiques et économiques.

Le soutien à la mission : une division persistante

Le soutien à une transformation de la MMAS en Mission de maintien de la paix est donc partagé, mais avec des réserves. Si certains pays, comme la France, appuient la proposition, soulignant qu’une mission onusienne pourrait apporter l’expertise nécessaire pour stabiliser la situation, d’autres estiment qu’une telle mission serait un fiasco de plus pour Haïti. Le pays a déjà connu les échecs des précédentes missions de l’ONU, qui n’ont pas réussi à apporter de paix durable, mais ont contribué à un sentiment d’impunité et de mécontentement parmi la population. Le défi consiste maintenant à trouver une solution qui, tout en garantissant la sécurité, ne répète pas les erreurs du passé.

Une décision cruciale en attente

Le débat se poursuit donc au sein du Conseil de sécurité, avec des positions qui restent profondément divisées. Les Nations Unies devront prendre une décision cruciale dans les prochaines semaines, alors que la situation en Haïti se dégrade et que l’urgence humanitaire devient chaque jour plus pressante. Une chose est certaine : le pays a besoin d’une solution rapide et efficace pour mettre fin à l’emprise des gangs et rétablir un semblant de stabilité, tout en évitant les erreurs du passé.