Sécheresse en Guyane : isolement et pénurie menacent 40 000 habitants du Haut-Maroni

— Par Sabrina Solar —

La Guyane traverse actuellement une crise sans précédent en raison d’une sécheresse exceptionnelle qui frappe particulièrement les régions amazoniennes du sud, notamment le bassin du Maroni. Le niveau des fleuves est tombé à un étiage « alarmant », un phénomène rare qui rend la navigation presque impossible. Cette situation, exacerbée par le phénomène El Niño et le dérèglement climatique, prive près de 40 000 habitants des communes isolées du Haut-Maroni et du Haut-Oyapock d’accès aux ressources essentielles, telles que l’eau potable, les vivres et le carburant.

Dans des villes comme Maripasoula, la plus grande commune du Haut-Maroni, les pénuries sont particulièrement sévères. Les prix des produits de première nécessité ont explosé, avec des packs d’eau atteignant jusqu’à 17 euros, et des bouteilles de gaz à 100 euros. La situation est d’autant plus grave dans les villages les plus reculés, où l’accès à l’eau devient critique. Les forages alluvionnaires, qui dépendent des nappes alimentées par les fleuves, ne fonctionnent plus correctement en raison de la baisse du niveau de l’eau. Les habitants, notamment ceux des villages amérindiens de la commune de Maripasoula, doivent désormais compter sur l’eau des criques pour leur hygiène quotidienne, mais cette eau n’est souvent pas potable.

Les autorités ont réagi en mettant en place un plan d’urgence : le plan ORSEC. Un pont aérien a été instauré pour livrer aux villages isolés de l’eau, des vivres et du carburant, notamment pour approvisionner les centrales thermiques qui fournissent l’électricité aux zones touchées. En parallèle, des fontaines à eau atmosphérique et des pastilles de purification ont été envoyées pour tenter de pallier le manque d’eau potable. Cependant, ces mesures restent insuffisantes face à une crise humanitaire croissante.

La sécheresse qui sévit actuellement est d’autant plus inquiétante qu’elle fait suite à un déficit pluviométrique chronique depuis 2023, exacerbée par des températures anormalement élevées. Ce phénomène, alimenté par El Niño, rend la situation particulièrement complexe. Le Maroni, qui est le principal fleuve de la région, subit de plein fouet cette chute de son niveau d’eau. En raison des sauts (rapides rocheux) sur le fleuve, les pirogues, principales embarcations de transport de la région, ne peuvent plus naviguer comme avant. Cela entraîne une forte réduction du transport de marchandises et de passagers, aggravant encore les pénuries dans les villages.

Dans le même temps, les autorités locales soulignent qu’une partie du problème est structurel. Depuis des années, des élus réclament une meilleure gestion de l’approvisionnement en eau, notamment la rénovation des forages vétustes, et la construction d’infrastructures permettant de désenclaver ces territoires. Le projet de la « Route du fleuve », un axe terrestre reliant Maripasoula à Saint-Laurent-du-Maroni, avait été inscrit au schéma d’aménagement régional en 2016, mais sa réalisation se heurte à un coût estimé à 1 milliard d’euros. Bien qu’un premier tronçon de cette route ait été réalisé, la majeure partie du projet reste en suspens, notamment le tronçon crucial entre Maripasoula et Papaichton.

Cette crise met également en lumière l’isolement des régions les plus reculées de la Guyane, qui dépendent largement des transports fluviaux et aériens. En l’absence de routes, ces territoires sont particulièrement vulnérables pendant la saison sèche, et les solutions de transport aérien restent coûteuses et limitées en capacité.

Face à cette crise, les autorités ont mis en place des solutions d’urgence, mais ces mesures, bien que nécessaires, ne résolvent pas les problèmes structurels de la région. En plus de l’accès à l’eau potable, les habitants de ces territoires sont confrontés à un manque d’accès aux soins, à l’éducation et aux services publics de base. Les élus locaux et les associations pointent du doigt l’insuffisance des investissements dans les infrastructures de base et appellent à une meilleure anticipation des crises futures.

La situation actuelle souligne la vulnérabilité de ces territoires face aux effets du dérèglement climatique, et la nécessité d’une réponse à la fois urgente et durable pour garantir l’accès aux services essentiels et éviter qu’une crise humanitaire ne se transforme en catastrophe. Les autorités et les habitants sont conscients qu’une telle crise pourrait se reproduire, et que l’enclavement et le manque d’infrastructures restent les défis majeurs pour ces populations isolées.