— Par Sarha Fauré —
Un rapport sénatorial la situation en Outre-mer concernant l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) met en évidence des disparités préoccupantes par rapport à la France métropolitaine. Bien que le droit à l’IVG ait été consacré par la Constitution en mars 2024, les obstacles locaux entravent encore l’accès égal à ce service essentiel, notamment en Guadeloupe, en Guyane et à La Réunion. Un récent rapport sénatorial souligne les défis majeurs rencontrés par les femmes dans ces territoires ultramarins, où les réalités géographiques et l’insuffisance des infrastructures médicales rendent l’IVG difficilement accessible.
Des disparités géographiques marquées
Malgré une augmentation générale du nombre d’IVG en France, avec 243 600 interventions en 2023 contre 234 000 en 2022, l’accès à cette procédure varie énormément selon les régions, et les départements d’Outre-mer ne font pas exception. En Guadeloupe, certaines zones sont situées à plus d’une heure d’un centre proposant l’IVG, un délai de transport qui devient un véritable obstacle pour de nombreuses femmes, en particulier celles des îles du Sud comme Marie-Galante, La Désirade et Les Saintes. Ces zones nécessitent des trajets maritimes ou aériens vers le CHU de la Guadeloupe, le seul établissement capable de réaliser des IVG chirurgicales.
En Guyane, la situation est encore plus préoccupante. Les communes de l’intérieur comme Iracoubo, Mana ou Régina souffrent d’un éloignement critique des centres de santé, et les conditions de transport, déjà difficiles en raison des infrastructures limitées, aggravent le problème. Seules les IVG médicamenteuses sont disponibles dans certaines zones, et encore, uniquement pour des grossesses précoces (jusqu’à 7 semaines d’aménorrhée dans certains centres comme ceux de Marie-Galante). Ces réalités freinent l’accès des femmes aux services médicaux dont elles ont besoin, exacerbant les inégalités socio-territoriales.
Une offre médicale inégale et insuffisante
En outre, le rapport souligne que seulement 44 % des établissements de santé en France peuvent réaliser des IVG au-delà de 12 semaines d’aménorrhée, une proportion encore plus faible en Outre-mer. La faible capacité des centres hospitaliers à proposer une offre complète d’IVG chirurgicale ou médicamenteuse est un problème récurrent. À La Réunion, par exemple, le site sud du CHU, qui dessert toute cette partie de l’île, ne réalise que des IVG médicamenteuses en raison du manque d’accès régulier au bloc opératoire et d’une formation insuffisante des équipes à la méthode instrumentale.
Cette inégalité se reflète également dans la répartition des professionnels de santé capables de pratiquer des IVG en ville. Si, en théorie, les sages-femmes et médecins généralistes devraient pouvoir offrir ce service, le rapport montre que moins de 14 % des sages-femmes et 19 % des gynécologues-obstétriciens ont réalisé des IVG en 2023, un taux particulièrement faible dans les départements d’Outre-mer. Le manque de formation et l’absence de ressources hospitalières adéquates limitent donc la prise en charge des patientes, en particulier pour les IVG tardives.
Les obstacles spécifiques aux territoires ultramarins
Les défis géographiques des territoires ultramarins amplifient les difficultés d’accès aux services de santé reproductive. La Guyane, avec sa grande superficie et ses nombreuses zones rurales isolées, fait face à des défis uniques : les infrastructures de santé sont concentrées le long du littoral, laissant des milliers de femmes sans accès immédiat à l’IVG. De plus, les moyens de transport souvent insuffisants dans ces régions rurales et éloignées compliquent davantage les choses. En Guadeloupe, outre l’éloignement des îles du Sud, le manque de personnel formé pour les IVG chirurgicales rend l’accès à cette procédure encore plus difficile.
Le rapport sénatorial met également en avant les difficultés rencontrées dans l’application de la loi de 2022 qui a allongé le délai légal de l’IVG de 12 à 14 semaines. Dans les départements d’Outre-mer, l’accès à des interventions au-delà de ce délai reste extrêmement limité. Moins de 4 % des IVG réalisées en Guyane et en Guadeloupe concernent des grossesses de plus de 12 semaines, ce qui reflète le manque de structures capables de réaliser des IVG tardives, malgré les récents changements législatifs.
Recommandations pour améliorer l’accès à l’IVG
Face à ces constats alarmants, la mission sénatoriale propose plusieurs recommandations pour améliorer l’accès à l’IVG dans les territoires ultramarins. L’une des principales suggestions est la création de centres périnataux de proximité, capables de maintenir une offre hospitalière même en cas de fermeture de services de gynécologie-obstétrique. Ces centres pourraient également pallier l’insuffisance d’accès à l’IVG chirurgicale en garantissant des équipes formées et un matériel disponible.
Une autre recommandation clé consiste à renforcer les campagnes d’information destinées à sensibiliser les femmes sur leurs droits et à lutter contre la désinformation en ligne. L’accès à des informations fiables et actualisées sur les méthodes d’IVG est crucial pour garantir que les femmes puissent exercer leur droit constitutionnel en toute connaissance de cause.
Enfin, les sénateurs appellent à une revalorisation du tarif des IVG médicamenteuses et à une simplification des procédures de conventionnement pour encourager davantage de professionnels de ville à s’engager dans cette pratique. Ils préconisent également l’intégration de la téléconsultation pour certaines étapes de l’IVG médicamenteuse, une solution particulièrement adaptée aux territoires éloignés.
Pour plus d’équité
En dépit de son inscription dans la Constitution, le droit à l’IVG en Outre-mer demeure fragile. Les obstacles géographiques, le manque d’infrastructures et l’insuffisance de professionnels de santé engagés compliquent l’accès des femmes à ce service fondamental. Les recommandations de la mission sénatoriale visent à combler ces lacunes et à garantir un accès plus équitable à l’IVG dans l’ensemble du territoire français, mais la mise en œuvre de ces mesures nécessitera une volonté politique forte et des moyens considérables pour réellement changer la donne.