À propos du linguiste Michel Degraff

Le linguiste Michel DeGraff, actif supporteur du PHTK néo-duvaliériste, est-il également un propagandiste de l’antisémitisme ?

—Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Le présent article consigne une analyse approfondie et rigoureuse de l’ample controverse idéologique et politique qui s’est développée ces derniers mois entre le linguiste haïtien Michel DeGraff et le Département de linguistique du Massachusetts Institute of Technology, le MIT, où il enseigne depuis vingt-huit ans. Loin d’être un fait divers ou un banal différend entre des professionnels du monde académique américain, cette controverse idéologique et politique interpelle et renvoie à des questions majeures qui méritent d’être analysées avec rigueur et débattues publiquement. Ainsi, dans nos universités un enseignant oeuvrant aux États-Unis, en France, au Canada, en Haïti, etc., a-t-il le droit –au nom de la liberté académique–, de faire l’apologie des idées du nazisme ou des idées relevant de la pédophilie ? Un enseignant est-il autorisé à diffuser des idées xénophobes, racistes, homophobes, ou de faire la promotion d’une culture d’infériorisation des femmes couplée à l’apologie du féminicide ou d’une culture du génocide et des idées relevant d’un « nettoyage ethnique » ? Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, un enseignant peut-il faire la promotion de l’antisémitisme et de la haine des Juifs sous couvert de la défense des droits des Palestiniens ?

La controverse a débuté lorsque le Département de linguistique du MIT, après évaluation en comité, n’a pas approuvé la proposition de séminaire de Michel DeGraff dont le titre complet est « Langue et linguistique pour la décolonisation et la libération, pour la paix et la construction de la communauté, DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL jusqu’aux sommets des montagnes d’Haïti et au-delà ». Plaidant la liberté académique, Michel DeGraff expose ses griefs dans un courriel daté du 19 octobre 2024 et sur lequel nous reviendrons : « MEN, KOUNYE A, MWEN NAN GWO TÈT CHAJE NAN MIT.  Sa fè 28 lane depi m se pwòf nan MIT Linguistics ; men, SE PREMYE FWA YO ANPECHE M ANSEYE YON KOU LENGWISTIK ».

Il est attesté que dans nos universités la liberté académique est explicitement encadrée et normée. Ainsi, la réputée École nationale d’administration publique du Québec, l’ENAP, a adopté le 9 juin 2023, sa « Politique relative à la liberté académique ». À la Section 1, « Principes directeurs », il est stipulé que « L’ENAP considère que l’autonomie institutionnelle et la liberté académique constituent des conditions essentielles à l’accomplissement de sa mission d’enseignement et de recherche universitaires. Elle veille notamment à ce que cette mission puisse s’accomplir sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale, incluant les pressions des acteurs internes et externes à l’ENAP. L’ENAP distingue la liberté académique de la liberté d’expression. Pour l’essentiel et sous réserve des précisions apportées par cette Politique, la liberté académique est rattachée à l’expertise de ses titulaires et découle d’une démarche savante impliquant des critères de rigueur propres à la quête du savoir ou de sa transmission alors que la liberté d’expression est le droit de toute personne de s’exprimer en tenant compte des limites qui sont raisonnables et qui peuvent se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique reconnue par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Parmi ces limites, il est entendu que la tenue de propos haineux et de toute incivilité à caractère discriminatoire, raciste ou exposant des groupes vulnérables à la détestation et à la diffamation n’est pas tolérée à l’ENAP ».

L’enseignement et la gouvernance au MIT sont encadrés par un ensemble de protocoles rassemblés sous le générique « Rules and Regulations of the Faculty » (les « Règlements intérieurs de la Faculté »). Le MIT, dispose d’un document de politique académique intitulé Politiques et procédures (P&P) dans lequel sont énoncées les politiques et procédures qui s’appliquent de manière générale au corps enseignant du MIT, aux autres membres du personnel universitaire, au personnel de recherche, au personnel non universitaire et, pour certaines politiques, aux affiliés non rémunérés et à d’autres membres de la communauté du MIT. À la Section 4.4. « Conflits d’intérêt », il est précisé ce qui suit : « L’intérêt de l’Institut pour les conflits d’intérêts s’est accru avec la complexité croissante de notre société, la variété de nos relations entre nous et avec les institutions extérieures, et une sensibilité nationale accrue à ces questions. Certaines questions relatives aux conflits d’intérêts découlent des activités professionnelles extérieures du corps enseignant et du personnel et ont été abordées dans les sections précédentes. D’autres, dans le sens plus traditionnel du conflit d’intérêts, découlent des possibilités qu’une personne peut avoir, en raison de sa position à l’Institut, d’influencer les relations du MIT avec une organisation extérieure d’une manière qui conduirait directement au gain financier personnel de cette personne. En réponse à ces préoccupations, l’Institut a adopté la déclaration de politique générale suivante : la politique de l’Institut est que ses dirigeants, ses professeurs, son personnel et les autres personnes agissant en son nom ont l’obligation d’éviter les conflits d’intérêts éthiques, juridiques, financiers ou autres et de veiller à ce que leurs activités et leurs intérêts n’entrent pas en conflit avec leurs obligations à l’égard de l’Institut ou de son bien-être ».

Avant d’examiner en détail et de manière amplement documentée la controverse idéologique et politique entre le linguiste Michel DeGraff et le Département de linguistique du Massachusetts Institute of Technology, il est utile de préciser ce que recouvre la notion d’antisémitisme dans sa configuration historique, conceptuelle et politique.

L’antisémitisme, un dispositif idéologique et politique racialiste-raciste de persécution et d’extermination des Juifs

L’encyclopédie multimédia de la Shoah  définit comme suit l’antisémitisme : « Le terme antisémitisme signifie « préjugé à l’encontre des Juifs » ou « haine des Juifs ». Ainsi, « La Shoah, la persécution et l’extermination des Juifs européens par l’Allemagne nazie et ses collaborateurs, entre 1933 et 1945, est l’exemple d’antisémitisme le plus extrême. En 1879, le journaliste allemand Wilhelm Marr créa le mot antisémitisme pour désigner la haine des Juifs mais également la haine de différentes tendances politiques des XVIIIème et XIXème siècles comme le libéralisme, le cosmopolitisme et l’internationalisme qui étaient souvent associées aux Juifs. L’égalité des droits civils, la démocratie constitutionnelle, le libre-échange, le socialisme, le capitalisme financier et le pacifisme faisaient également partie des idées décriées. L’antisémitisme ne date cependant pas de l’invention du terme mais remonte bien avant la période moderne. Dans l’Histoire, les pogroms figurent ainsi parmi les manifestations les plus courantes de l’antisémitisme (émeutes des populations locales dirigées contre les Juifs, et souvent encouragées par les autorités). Les pogroms étaient déclenchés par de fausses rumeurs qui souvent accusaient les Juifs d’utiliser le sang des enfants chrétiens pour leurs rituels religieux. Dans la période moderne, les antisémites ajoutèrent à leur idéologie de haine une dimension politique. Au cours du dernier tiers du XIXème siècle, des partis politiques antisémites se formèrent en Allemagne, en France et en Autriche. Des publications telles que le Protocole des Sages de Sion furent à l’origine ou contribuèrent à l’élaboration de théories mensongères sur l’existence d’une conspiration juive internationale. Le nationalisme était une composante puissante de l’antisémitisme politique et ses adeptes accusaient souvent les Juifs d’être, à tort, des citoyens déloyaux ».

L’on observe toutefois que des divergences sont apparues au fil des ans en ce qui a trait à la lutte contre l’antisémitisme. Ainsi, « Plus de 100 organisations de défense des droits humains et des droits civiques, dont Human Rights Watch et Amnesty International, exhortent les Nations Unies à respecter les droits humains dans le cadre de la lutte contre l’antisémitisme, a déclaré Human Rights Watch. Plus de 40 organisations ont récemment rajouté leurs noms à une version mise à jour d’une lettre ouverte transmise le 3 avril 2023 par Human Rights Watch et d’autres organisations au Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, et au Haut représentant de l’Alliance des civilisations de l’ONU, Miguel Ángel Moratinos. Dans cette lettre, les groupes exhortaient l’ONU à ne pas approuver ou adopter la définition de l’antisémitisme utilisée par l’Alliance internationale pour la commémoration de l’Holocauste (International Holocaust Remembrance Alliance, IHRA). Cette définition de l’antisémitisme a été utilisée pour décrire à tort le fait de critiquer certaines politiques du gouvernement israélien ou de défendre les droits des Palestiniens comme des actions « antisémites », ont déclaré les organisations. Les organisations ont affirmé que l’antisémitisme « cause un préjudice réel aux communautés juives du monde entier, et nécessite une action significative pour le combattre ». Elles ont ajouté que les gouvernements et les dirigeants mondiaux devraient condamner l’antisémitisme et prendre des mesures pour protéger les communautés juives, notamment en s’assurant que les individus responsables de crimes haineux soient tenus de rendre des comptes. Cependant, les organisations ont demandé aux dirigeants de l’ONU de veiller à ce que leurs efforts de lutte contre l’antisémitisme « n’encouragent pas ou n’approuvent pas par inadvertance des politiques et des lois qui portent atteinte aux droits humains fondamentaux, y compris le droit de s’exprimer et de plaider en faveur des droits des Palestiniens, ou de critiquer certaines politiques du gouvernement israélien » (source : site Internet de la Human Rights Watch, New York, 20 avril 2023).

Du Hamas au Hezbollah un slogan-programme violent et mortifère : « De la rivière à la mer, la Palestine sera libérée des juifs ».

Le conflit israélo-palestinien connaît une ampleur inégalée depuis le massacre perpétré le 7 octobre 2023 par le Hamas en Israël. À l’échelle internationale, ce conflit a des répercutions dans de très nombreux pays et institutions de la société civile, y compris dans des institutions d’enseignement supérieur. L’on a ainsi vu défiler des cortèges où des banderoles et des porte-voix affichaient le slogan-programme violent et mortifère du Hamas du Hezbollah, « De la rivière à la mer, la Palestine sera libérée des juifs ». Ce slogan-programme a fait l’objet d’un article fort éclairant d’Elsa de La Roche Saint-André dans le journal Libération du 7 novembre 2023, « Quelle est l’origine du slogan polémique « From the river to the sea » utilisé par les soutiens de la Palestine ? ». En raison de sa pertinence, cet article est ici longuement cité.

« L’activiste Rima Hassan [juriste, militante des droits humains et femme politique française d’origine palestinienne] a récemment été critiquée pour avoir employé [le slogan « De la rivière à la mer, la Palestine sera libérée des juifs »]. Appel à la destruction de l’État d’Israël pour les uns, revendication d’un État où les Palestiniens vivraient libres pour les autres, retour sur cette formule souvent employée depuis le début de la guerre. « From the river to the sea, Palestine will be free. » Ou en français : « De la rivière à la mer, la Palestine sera libre. » Depuis les premiers bombardements sur Gaza, qu’Israël mène en réponse à l’attaque du 7 octobre [2023], ce slogan est scandé dans les manifestations de soutien à la Palestine (à Washington le samedi 4 novembre, par exemple), sur les réseaux sociaux, ou même – à l’étranger – par des personnalités politiques. Une formule, souvent simplifiée par « From the river to the sea », qui suscite une vive polémique. Défendue par certains comme la revendication de la fin des discriminations qui visent les Palestiniens vivant en Israël ou dans les territoires occupés, elle est dénoncée par d’autres comme un appel à peine voilé à la destruction totale de l’État hébreu.

À l’origine, le slogan est né des revendications de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui, dès sa formation en 1964, avait appelé à la création d’un État unique qui s’étendrait de la Méditerranée (« la mer ») au Jourdain (« la rivière »), le fleuve qui marque à l’Est la frontière entre la Jordanie et Israël – mais donc aussi en partie entre la Jordanie et la Cisjordanie. Une zone géographique qui engloberait le territoire de la Palestine tel qu’il existait avant la résolution de l’ONU de 1947, le partageant en deux États (l’un arabe, l’autre juif). Donc avant la fondation officielle de l’État d’Israël en mai 1948 et le déclenchement de la guerre par les pays arabes voisins. Le conflit s’est accompagné du déplacement de centaines de milliers de Palestiniens.

Destruction de l’État hébreu

Le slogan polémique a alors été brandi aussi côté israélien, par le Likoud (parti présidé par l’actuel Premier ministre Benyamin Nétanyahou) qui s’est toujours prononcé en faveur du concept d’« Eretz Israël », soit le droit conféré par la Bible au peuple juif sur la terre d’Israël. Le manifeste initial de l’alliance politique, née dans les années 70, reprenait à son compte les éléments de langage de l’OLP en énonçant qu’« entre la mer et le Jourdain, il n’y aura que la souveraineté israélienne ».

Quand l’OLP abandonne la lutte armée, à la fin des années 80, et surtout quand Israël et les Palestiniens signent les accords de paix d’Oslo en 1993, le slogan est récupéré par une autre organisation qui vient de se créer : le Hamas, le mouvement islamiste derrière l’attaque du 7 octobre [2023] qui aurait fait entre 1 200 et 1 300 victimes. « Le Hamas rejette toute alternative à la libération pleine et entière de la Palestine, du fleuve à la mer », peut-on lire dans les « principes généraux et politiques » présentés par l’organisation en 2017, et considérés comme un complément à la charte originelle. « Aucune partie de la terre de Palestine ne doit être compromise ou concédée », ajoute le document. La récupération du slogan par le Hamas a largement contribué à ce qu’il soit interprété comme exprimant une volonté d’éradiquer Israël. Ce dans la mesure où la destruction de l’État hébreu figure dans la charte du Hamas, qui ne cache pas qu’elle demeure toujours son objectif.

C’est en se référant aux prises de paroles récentes du Hamas que le député israélien Yaïr Lapid, leader de l’opposition, entendait expliquer le vrai sens de la formule. Sur X (ex-Twitter), Lapid a partagé la semaine dernière un extrait d’une interview donnée à une télé libanaise par Ghazi Hamad, porte-parole du Hamas, durant laquelle il dit vouloir « éliminer » Israël. Et Lapid de commenter : « Écoutez ce leader du Hamas parler. Écoutez ses paroles. Voilà ce que signifie « Du fleuve à la mer » : l’anéantissement total d’Israël, le massacre de tous les Israéliens. »

Synonyme de démocratie

En France, le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) condamne de la même manière l’emploi de ce slogan, qu’il range au sein de la « rhétorique combattante » du Hamas. Chez nos voisins européens, afin d’éviter d’alimenter les tensions, certaines autorités proscrivent son utilisation. Début octobre, en Autriche, une manifestation a été interdite en raison de tracts reprenant la formule ; en Allemagne et au Royaume-Uni, toute reprise du slogan est désormais passible d’une amende. Pour Suella Braverman, ministre britannique de l’Intérieur, « From the river to the sea » doit être « compris comme une demande de destruction d’Israël » et, ajoute-t-elle dans un tweet« les tentatives de prétendre le contraire sont fallacieuses ». Il y a une semaine, le parti travailliste britannique a ainsi suspendu son député Andy McDonald suite à des propos prononcés lors d’un rassemblement pro-palestinien, où il déclarait : « Nous ne nous reposerons pas tant que nous n’aurons pas obtenu justice. Tant que tous les peuples, Israéliens et Palestiniens, entre la rivière et la mer, ne pourront pas vivre dans une liberté pacifique. »

Pourtant, « liberté pacifique » se veut précisément un contrepoint à l’idée de la destruction d’Israël. Car pour certains, le slogan n’est pas synonyme de destruction d’Israël, mais bien de démocratie. Ainsi en est-il de l’activiste franco-palestinienne Rima Hassan, qui s’est vu vivement reprocher l’emploi de la formule, et qui s’en défend : « Je considère qu’on est dans un régime d’apartheid. En Cisjordanie et à Jérusalem-Est, les Palestiniens font face à l’occupation et la colonisation. En Israël, ils sont traités comme des citoyens de seconde zone. À Gaza, ils subissent un blocus. Ceux qui sont réfugiés dans des camps n’ont pas de droit au retour ». C’est dès lors pour demander que « tous les Palestiniens soient libérés de toutes ces oppressions » que Rima Hassan emploie le slogan, assure-t-elle. Celle qui rêve d’un État binational revendique « une égalité de droits », sans l’associer « à une logique anti-israélienne ». « Il n’y aura pas de solution à deux États », écrivait-elle dans une suite de messages sur X le 5 novembre [2023] où l’emploi de l’expression « From the river to the sea » lui a valu de nombreuses critiques. Dont celle d’Emmanuelle Ducros, journaliste à l’Opinion, à laquelle elle a notamment répondu par un emoji de loutre – un animal qui peut vivre dans la mer ou les rivières.

Le slogan « est un appel à la liberté, aux droits de l’homme et à la coexistence pacifique, et non à la mort, à la destruction ou à la haine », soutient aussi Rashida Tlaib, élue à la Chambre des représentants des États-Unis d’origine palestinienne, sur X. Dans un article rédigé en 2021, l’écrivain américano-palestinien Yousef Munayyer soulignait, lui, qu’il ne s’agit que d’un moyen de s’exprimer en faveur d’un État où « les Palestiniens pourraient vivre dans leur patrie en tant que citoyens libres et égaux, ni dominants ni dominés par d’autres ». Et dès 2018, l’historienne Maha Nassar, spécialiste du Moyen-Orient, estimait que ce slogan s’inscrit « dans le cadre d’un appel plus large en faveur de l’établissement d’un État démocratique laïque dans l’ensemble de la Palestine historique », où coexisteraient Palestiniens et Israéliens avec les mêmes droits.

Émission satirique

Reste que, côté israélien, cette interprétation est souvent présentée comme « naïve » ou « hypocrite »a fortiori dans le contexte d’extrême violence auquel la région est actuellement exposée. Ainsi, dans un sketch diffusé le 5 novembre (et relayé sur X par le compte officiel de l’Etat d’Israël), l’émission satirique israélienne Eretz Nehederet met en scène des étudiants pro-palestiniens de la « Columbia Untisemity » (contraction de « university » et « antisemitism »), grimés des attributs supposés du « wokisme » (cheveux roses, etc.), faisant les yeux doux à un porte-parole du Hamas (promettant pourtant de les éradiquer après avoir réglé le sort d’Israël). Les deux étudiants chantent d’abord « From the river to the sea, Palestine will be free » avant de ré-entonner le refrain en glissant vers une version légèrement différente : « From the river to the sea, Palestine will be jews free ». En VF : « De la rivière à la mer, la Palestine sera libérée des juifs ».

C’est dans ce contexte géo-politique et dans l’environnement des manifestations sur les campus des universités américaines après le massacre perpétré par le Hamas à Gaza le 7 octobre 2023 qu’a pris corps une vive et ample controverse idéologique et politique entre Michel DeGraff et le Département de linguistique du MIT où il enseigne depuis 28 ans.

Le linguiste Michel DeGraff, actif supporteur du PHTK néo-duvaliériste, est-il également un propagandiste de l’antisémitisme ?

Avant d’examiner de près la controverse idéologique et politique entre Michel DeGraff et le Département de linguistique du MIT, il est utile de rappeler que le dénommé Bernard Degraff a été dans le collimateur de la Justice en Haïti pour des faits avérés de corruption, de malversation et de gabegie administrative. Des sources concordantes, en Haïti et ailleurs, confirment que l’ancien directeur de l’ONA, Bernard Degraff, qui revendique publiquement son adhésion au duvaliérisme et à la papadocratie, est étroitement lié à l’un des caïds-en-chef du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, Laurent Lamothe… Les mêmes sources confirment également que Bernard Degraff a joué le rôle central de « parrain »-facilitateur entre Laurent Lamothe et le MIT Haiti Initiative de Michel DeGraff durant le processus politique et administratif ayant conduit en avril 2013 à la signature d’un accord-cadre entre Haïti, représenté par Laurent Lamothe, et le MIT Haiti Initiative représenté par Michel DeGraff (voir l’article « MIT and Haiti sign agreement to promote Kreyòl-language STEM education Initiative designed to help Haitians gain technical education », Peter Dizikes, MIT News Office, MIT News, April 17, 2013 ; voir aussi l’article « Haïti et MIT signent pour une éducation mieux adaptée », Le Nouvelliste, 17 avril 2013). Par ailleurs l’on observe que Michel DeGraff est le seul linguiste haïtien à soutenir publiquement le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste à travers la promotion-propagande qu’il a instituée en appui public au PSUGO du PHTK :

(1) dans l’article « La langue maternelle comme fondement du savoir : l’initiative MIT-Haïti : vers une éducation en créole efficace et inclusive » (Revue transatlantique d’études suisses, 6/7, 2016/17). Dans cet article, Michel DeGraff prétend frauduleusement qu’« Il existe déjà de louables efforts pour améliorer la situation en Haïti, où une éducation de qualité a traditionnellement été réservée au petit nombre. Un exemple récent est le Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) lancé par le gouvernement haïtien en 2011 dans le but de garantir à tous les enfants une scolarité libre et obligatoire. »

(2) Dans une vidéo mise en ligne sur YouTube au cours du mois de juin 2014, Michel Degraff soutient frauduleusement, sans révéler ses sources ni fournir de preuve irréfutable, que 88 % des enfants vont à l’école grâce au PSUGO : « Gras a program Psugo a 88 pousan timoun ale lekòl »…

L’on observe également qu’en dépit des liens avérés de Michel DeGraff avec le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste à travers la promotion-propagande qu’il a instituée en appui public au PSUGO du PHTK, « La « lexicographie borlette » du MIT Haiti Initiative n’a jamais pu s’implanter en Haïti dans l’enseignement en créole des sciences et des techniques »  (Robert Berrouët-Oriol. Rezonòdwès, 4 juillet 2023).

Très bref rappel de la genèse de la controverse idéologique et politique entre Michel DeGraff et le Département de linguistique du MIT

« On December 5, 2023, Michel DeGraff submitted a request to teach a course about the Israeli-Palestinian conflict. In the 10 months since then, the professor of linguistics at the Massachusetts Institute of Technology has been locked in a near-constant feud with his department head and colleagues. An MIT dean has issued formal letters of reprimand and withheld a pay raise. DeGraff’s colleagues argue that the course — which would analyze the language used in conversations surrounding the Israeli-Palestinian conflict — doesn’t align with the department’s curriculum and that DeGraff lacks the necessary expertise to teach it. DeGraff believes the rejection is actually rooted in his pro-Palestinian advocacy on campus and social media, activism he considers an obligation » (Amanda Friedman, « A Curricular Clash at MIT – How a course on the Israeli-Palestinian conflict rattled a Department »,  The Chronicle of Higher Education, October 15, 2024).

« Le 5 décembre 2023, Michel DeGraff a déposé une demande pour donner un cours sur le conflit israélo-palestinien. Durant les dix mois qui ont suivi, le professeur de linguistique du Massachusetts Institute of Technology a été en conflit quasi permanent avec son chef de Département et ses collègues. Un doyen du MIT lui a adressé des lettres officielles de réprimande et lui a refusé une augmentation de salaire. Les collègues de M. DeGraff soutiennent que le cours –qui analyserait le langage utilisé dans les conversations autour du conflit israélo-palestinien– ne correspond pas au programme du Département et que M. DeGraff n’a pas l’expertise nécessaire pour l’enseigner. DeGraff croit que le rejet est en fait enraciné dans son plaidoyer pro-palestinien sur le campus et les médias sociaux, un activisme qu’il considère comme une obligation » (Amanda Friedman, « Un conflit de cursus au MIT – Comment un cours sur le conflit israélo-palestinien a ébranlé un Département », The Chronicle of Higher Education, 15 octobre 2024). [La traduction française est de RBO.]

Les griefs de Michel DeGraff contre le Département de linguistique du MIT sont résumés dans son « courriel responsif automatique » daté du 19 octobre 2024 et dont nous avons obtenu copie. Nous le reproduisons intégralement, en versions anglaise et créole, afin que le lecteur en apprécie le… style narratif et son contenu ainsi que l’évidente différence de contenu entre la version anglaise et sa traduction créole effectuée par Michel DeGraff. Comme on le verra plus bas, cette manifeste différence de contenu entre la version anglaise et sa traduction créole participe d’une évidente manipulation des données : Michel DeGraff avait auparavant utilisé ce procédé pour « commenter » sur les réseaux sociaux un texte du linguiste Rochambeau Lainy qu’il n’avait même pas lu (voir notre article « L’unilatéralisme « créoliste » sectaire et dogmatique du linguiste Michel DeGraff contesté par le linguiste Rochambeau Lainy : documents à consulter » (Rezonòdwès, 14 avril 2022).

Courriel responsif automatique de Michel DeGraff daté du 19 octobre 2024

« [Kreyòl an ba la a…] »  « Thank you for your email. This auto-reply has been classified as « misconduct » deserving of financial punishment (withholding of my yearly pay increase) by the Dean of MIT’s School of Humanities, Arts & Social Science. But here goes it anyway because my first-amendment right is NOT for sale… I’m now back from sabbatical as of September 4, 2024. But this is a semester unlike any other in my 28 years at MIT Linguistics, since I am now prevented from teaching a linguistics course in my own department. But I’m offering a « People’s Seminar » for the MIT community ON THE VERY SAME LINGUISTIC TOPIC : Language and linguistics for decolonization and liberation in Haiti, Palestine and Israel. This article explains the larger context for this struggle about my « lack of expertise » and what’s « fit » for linguistics in the context of rising fascism in higher education :

In my opinion, such censorship amounts to slander since my senior colleagues (all but one) claim that I lack « expertise » and « scholarly competence » for leading a linguistic seminar in the one subfield of linguistics — language in society and the politics of linguistics — in which I’ve worked and published the most. I’m now struggling to find my way out of this predicament that’s deeply harming my personal and professional life

For more details and for a larger context, please see these articles in Newsweek and in The Chronicle of Higher Education.

Now I must ask that you please bear with me if I am unable to reply (yet) to your email message.

[Kreyòl] Version créole du courriel responsif automatique établie par Michel DeGraff datée du 19 octobre 2024

Mèsi pou mesaj ou. Dwayen Fakilte Syans Moun ak Atizay [sic] nan MIT deklare repons otomatik sa a se « dezòd » ki merite pinisyon : misye retire ogmantasyon ke m te resevwa nan salè anyèl mwen. M ap pataje repons sa a kanmenm paske lwa bouch mwen PA pou vann… Konje sabatik la fini depi 4 septanm 2024. MEN, KOUNYE A, MWEN NAN GWO TÈT CHAJE NAN MIT.  Sa fè 28 lane depi m se pwòf nan MIT Linguistics ; men, SE PREMYE FWA YO ANPECHE M ANSEYE YON KOU LENGWISTIK. Men, m ap ofri yon seminè pou kominote MIT a SOU MENM TEMATIK LA : Lang ak lengwistik pou dekolonizasyon ak liberasyon ann Ayiti, Palestine ak Izrayèl. M esplike kontèks deba sa a sou « mank espètiz » mwen ak sou sa ki « apwopriye » nan kourikoulòm Depatman lengwistik la nan atik sa a : 

https://thetech.com/2024/08/22/degraff-linguistics-for-domination

Vèsyon kreyòl nan Google Translate :

https://thetech-com.translate.goog/2024/08/22/degraff-linguistics-for-domination?_x_tr_sl=pt&_x_tr_tl=ht&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=wapp

Dapre mwen, BABOUKÈT SA A SE MEDIZANS paske majorite kòlèg senyò mwen yo (tout esepte youn) di se paske mwen manke « espètiz » ak « konpetans » pou m ta anime seminè mwen pwopoze a. Poutan, se yon seminè nan yon domenn — lang nan sosyete ak politik syans lengwistik  — kote m fè pi plis travay  e m pibliye pi plis.  Kounye a, m ap feraye pou m jwenn yon fason pou m soti nan mera sa a k ap domaje  lavi m ak karyè m kom lengwis.

Pou pi plis detay sou ISTORIK ATAK SA YO KONT LWA BOUCH MWEN, tanpri gade atik sa yo nan Newsweek ak nan The Chronicle of Higher Education.

Kidonk, m ap mande w, tanpri, pran pasyans si mwen pa (ko) ka reponn mesaj imel ou.

Peace,

Michel

Manipulation rédactionnelle, omission calculée et « oubli » volontaire : Michel DeGraff privilégie la stratégie de la fraude intellectuelle et éthique

En réponse à la « Tribune libre » de Michel DeGraff datée du 13 juin 2024, « Is MIT’s #MindHandHeart for a #BetterWorld compatible with its “vibrant” complicity in Israel’s genocide of Palestinians in Gaza ?, un collectif de 9 linguistes du Département de linguistique du MIT a publié sur le site du journal des étudiants du MIT, The Tech, le 11 juillet 2024, une « Lettre à l’éditeur » sous le titre « A Faculty Response to Prof. Michel DeGraff ». Nous l’avons traduite en français et nous la reproduisons intégralement afin que le lecteur soit adéquatement informé et mesure les enjeux de cette prise de position des collègues de Michel DeGraff. L’on observe qu’aucun professeur du Département de linguistique du MIT n’a apporté le moindre appui public à Michel DeGraff, en particulier Vijay Kumar et Haynes Miller pourtant étroitement associés à Michel DeGraff dans l’institution qu’ils ont créée, le MIT Haiti Initiative Project. Au MIT, Vijay Kumar a occupé d’importantes fonctions, entre autres celle de Doyen principal de l’enseignement de premier cycle, Vice-proviseur et Directeur de l’informatique académique. Le mathématicien Haynes Miller n’a pas publiquement pris la défense de Michel DeGraff alors même que, sur son profil professionnel au MIT, figure la mention suivante : « Grâce au soutien généreux de MIT Open Learning, je participe à SPOCs4Gaza, une initiative qui propose des cours MITx aux étudiants de Gaza ou déplacés de Gaza ». Pour sa part, le professeur Paul Belony, chef de l’équipe de physique du MIT- Haïti Initiative Project, n’a publié aucun texte public pour prendre la défense de Michel DeGraff. L’on observe que dans la controverse idéologique et politique entre Michel DeGraff et le Département de linguistique du MIT, aucun collaborateur de Michel DeGraff au sein du MIT- Haïti Initiative Project n’a publié le moindre texte d’appui public à Michel DeGraff ni contesté la décision du Département de linguistique du MIT. De manière liée, l’on observe que Michel DeGraff est totalement isolé à la fois au Département de linguistique du MIT et au sein même de son équipe du MIT- Haïti Initiative Project… En ce qui a trait au présumé Konbit MIT-Ayiti

présenté sur le site du MIT- Haïti Initiative Project comme étant constitué d’« organisateurs locaux d’ateliers ateliers en Haïti », nous n’avons pas retracé le moindre document d’appui public à Michel DeGraff…

La traduction française du texte « A Faculty Response to Prof. Michel DeGraff » se lit comme suit :

« OPINION / LETTRE À L’ÉDITEUR — Une réponse de la Faculté [de linguistique du MIT] au professeur Michel DeGraff » (site The Tech, 11 juillet 2024).

« Note de l’éditeur : La lettre suivante adressée au rédacteur en chef traite d’un article précédent de l’invité (« Is MIT’s #MindHandHeart… ») rédigée par le professeur de linguistique Michel DeGraff et publiée le 13 juin 2024. Cette réponse a été signée par plusieurs membres seniors du Département de linguistique en réponse à un différend en cours entre DeGraff et le Département de linguistique concernant un séminaire proposé pour l’automne 2024 qui touche au conflit israélo-palestinien.

Nous écrivons en tant que membres seniors de la Faculté de linguistique en réponse à des commentaires de nature personnelle qui sont apparus dans quatre paragraphes d’une récente (13 juin [2024]) Tribune libre par le professeur Michel DeGraff de notre Département. Nous tenons à exprimer notre soutien le plus ferme à notre collègue et Directeur de Département, le professeur Danny Fox, qui a été attaqué dans cette chronique.

Le professeur DeGraff se trouve en désaccord avec une décision négative de son Département concernant un projet de séminaire d’automne intitulé « Langue et linguistique pour la décolonisation et la libération, pour la paix et la construction de la communauté, DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL jusqu’aux sommets des montagnes d’Haïti et au-delà ». Nous pensons que son récit des événements ne caractérise pas correctement le processus qui a conduit à cette décision.

Bien que nous ne pensions pas que ce soit le lieu approprié pour discuter des détails, nous pensons qu’il est important de préciser que la décision concernant le séminaire proposé a été le résultat d’un processus d’approbation de cours impliquant une proposition, un comité et une discussion par le Département dans son ensemble. La décision n’a pas été prise en raison de la nationalité et des convictions politiques de notre Directeur (que la chronique du professeur DeGraff qualifie d’ailleurs de manière trompeuse), et le fait d’insinuer le contraire constitue une attaque personnelle injustifiée.

Sincèrement,

Adam Albright

Kai von Fintel

Edward Flemming

Suzanne Flynn

Martin Hackl

Sabine Iatridou

David Pesetsky

Norvin Richards

Donca Steriade ».

La lecture attentive de ces documents révèle l’ampleur et la gravité de la controverse idéologique et politique entre Michel DeGraff et le Département de linguistique du MIT. Elle révèle également que :

(1) Michel DeGraff souscrit ouvertement au slogan-programme du Hamas et du Hezbollah tel qu’il apparaît dans l’intitulé du séminaire qu’il a en vain tenté de donner au Département de linguistique du MIT : « Langue et linguistique pour la décolonisation et la libération, pour la paix et la construction de la communauté, DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL jusqu’aux sommets des montagnes d’Haïti et au-delà » ;

(2) Michel DeGraff a procédé à une illicite manipulation rédactionnelle consistant en l’omission calculée et l’« oubli » volontaire de la formulation et du contenu de l’enseignement qu’il a voulu dispenser au MIT. Or L’INTITULÉ INITIAL DE SON SÉMINAIRE NE LAISSE AUCUN DOUTE SUR SON CONTENU : « Langue et linguistique pour la décolonisation et la libération, pour la paix et la construction de la communauté, DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL jusqu’aux sommets des montagnes d’Haïti et au-delà ». Cet intitulé reprend explicitement et à visière levée le slogan-programme du Hamas et du Hezbollah comme on le constate dans le segment « DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL ». 

(3) Michel DeGraff privilégie la stratégie de la fraude intellectuelle et éthique : dans son « courriel responsif automatique » daté du 19 octobre 2024, il mentionne ceci : « m ap ofri yon seminè pou kominote MIT a SOU MENM TEMATIK LA : Lang ak lengwistik pou dekolonizasyon ak liberasyon ann Ayiti, Palestine ak Izrayèl ». Face au tollé résultant de l’orientation idéologique et politique de son projet de séminaire avorté, il a volontairement amputé le titre initial de son séminaire du segment « DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL » –segment qui est le slogan-programme du Hamas et du Hezbollah–, alors même qu’il annonce désormais « m ap ofri yon seminè pou kominote MIT a SOU MENM TEMATIK LA : Lang ak lengwistik pou dekolonizasyon ak liberasyon ann Ayiti, Palestine ak Izrayèl ». 

(4) L’amputation dans le titre initial de son séminaire du segment « DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL » est destinée à évacuer les questions de fond de la controverse sans y répondre avec rectitude. Cela constitue une évidente fraude intellectuelle et éthique qui est de fait une violation des principes de la politique académique du Massachusetts Institute of Technology consignés dans le document de référence Politiques et procédures (P&P).

(5) Dans le courriel responsif automatique de Michel DeGraff daté du 19 octobre 2024, il précise que « Konje sabatik la fini depi 4 septanm 2024. MEN, KOUNYE A, MWEN NAN GWO TÈT CHAJE NAN MIT.  Sa fè 28 lane depi m se pwòf nan MIT Linguistics ; men, SE PREMYE FWA YO ANPECHE M ANSEYE YON KOU LENGWISTIK ». Là encore Michel DeGraff se livre à une frauduleuse amputation/manipulation des faits. Les documents que nous avons analysés attestent que le Département de linguistique du MIT ne lui a pas interdit d’enseigner un cours de linguistique: c’est plutôt le séminaire intitulé « Langue et linguistique pour la décolonisation et la libération, pour la paix et la construction de la communauté, DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL jusqu’aux sommets des montagnes d’Haïti et au-delà » qui n’a pas été approuvé par le comité d’évaluation du Département de linguistique du MIT selon des procédures d’évaluation standard comme cela se fait dans toutes les universités dont le fonctionnement est normé. Michel DeGraff maquille volontairement les données lorsqu’il fait usage du paravent de la liberté académique au motif volontairement réducteur des « ATAK SA YO KONT LWA BOUCH MWEN » dans la version créole de son courriel responsif automatique du 19 octobre 2024. L’on observe qu’il est d’un usage administratif et académique normal qu’un projet de cours ou de séminaire, dans toute université régie par des règles standard, soit soumis à un comité d’évaluation. Il est invraisemblable que Michel DeGraff, qui enseigne au Département de linguistique du MIT depuis 28 ans, ignore ce mode de fonctionnement…

(6) Il est symptomatique et fort révélateur que Michel DeGraff n’ait pas diffusé la version originale, non édulcorée, du plan détaillé du séminaire qu’il a soumis au comité d’évaluation du Département de linguistique du MIT. Il est également invraisemblable que Michel DeGraff, qui enseigne au Département de linguistique du MIT depuis 28 ans, ne se soit pas prévalu d’une procédure d’appel qui lui aurait permis de contester la décision du comité d’évaluation conformément aux « Rules and Regulations of the Faculty » (les « Règlements intérieurs de la Faculté »).

Dans l’article précédemment cité d’Amanda Friedman, « A Curricular Clash at MIT – How a course on the Israeli-Palestinian conflict rattled a Department » (The Chronicle of Higher Education, October 15, 2024), il est précisé que « Le conflit a éclaté au grand jour. DeGraff a accusé l’Université de porter atteinte à sa liberté académique, dont il a parlé dans des articles publiés dans The Tech, le journal étudiant du MIT, et dans des messages diffusés sur les réseaux sociaux. De leur côté, les membres de la Faculté de linguistique ont répliqué, condamnant DeGraff pour avoir mis le rejet du cours sur le compte de préjugés politiques et pour avoir pointé du doigt le chef de leur département, qui est Juif. [Traduction : RBO] Les documents accessibles ne permettent pas de préciser, au moment de la rédaction du présent article, si Michel DeGraff aurait été expulsé du Département de linguistique du MIT –ce dont aucun linguiste ne devrait se réjouir–, ou s’il a été mis en disponibilité ou si on lui a accordé une charge minimale de travail ou s’il n’a reçu que des lettres officielles de réprimande de la part d’ « Un doyen du MIT » comme le rapporte Amanda Friedman dans l’article « Un conflit de cursus au MIT – Comment un cours sur le conflit israélo-palestinien a ébranlé un Département », The Chronicle of Higher Education, 15 octobre 2024).

Le conflit suscité par Michel DeGraff avec son projet de séminaire qui reprend explicitement et à visière levée le slogan-programme du Hamas et du Hezbollah, « DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL », est riche d’enseignements. Le principal enseignement est certainement celui qui met en lumière les dérives et les perversions politico-idéologiques induites par le couple essentialisation de la langue/populisme linguistique qui est fortement arrimé au socle des idéologies de la langue. Il faut prendre toute la mesure que les dérives et les perversions politico-idéologiques induites par le couple essentialisation de la langue/populisme linguistique sont des obstacles majeurs à l’aménagement du créole aux côtés du français et conformément aux article 5 et 40 de la Constitution de 1987.

L’on observe que le parcours de Michel DeGraff, qui a été « démissionné » de l’Akademi kreyòl ayisyen en 2018, est parsemé de conflits, d’anathèmes, de « fatwas », de manipulation des faits et des données. Nous l’avons démontré à plusieurs reprises, entre autres dans notre article « L’unilatéralisme « créoliste » sectaire et dogmatique du linguiste Michel DeGraff contesté par le linguiste Rochambeau Lainy : documents à consulter » (Rezonòdwès, 14 avril 2022). Dans cet article, nous avons exposé que Michel DeGraff s’était livré à une frauduleuse manipulation des données : il avait utilisé ce procédé pour « commenter » sur les réseaux sociaux un texte du linguiste Rochambeau Lainy qu’il n’avait même pas lu (voir notre article « L’unilatéralisme « créoliste » sectaire et dogmatique du linguiste Michel DeGraff contesté par le linguiste Rochambeau Lainy : documents à consulter » (Rezonòdwès, 14 avril 2022). Rappel — Dans une « Note publique » d’une seule page parue dans Le Nouvelliste du 8 mars 2018 et portant la signature de Pauris Jean Baptiste, président du Conseil d’administration de l’AKA, il est mentionné, sans l’apport de la moindre preuve, de graves accusations contre Michel DeGraff mis en cause pour de prétendus actes de forfaiture. Dans sa « Note publique », l’Akademi kreyòl ayisyen expose que les « accusations » de Michel DeGraff sont d’une extrême gravité et qu’elles « sont allées trop loin » ; en conséquence, le Conseil d’administration de l’AKA « a décidé d’entreprendre des démarches légales relatives aux menaces publiques que l’académicien Michel DeGraff a proférées dans ses publications en attendant qu’une assemblée générale se prononce sur cette situation »…

L’on observe également que Michel DeGraff –lié au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste à travers la promotion-propagande qu’il a instituée en appui public au PSUGO du PHTK–, pratique l’amalgame en tricotant pêle-mêle Haïti et la Palestine et en les enfermant dans un mortifère étouffoir : « Langue et linguistique pour la décolonisation et la libération, pour la paix et la construction de la communauté, DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL jusqu’aux sommets des montagnes d’Haïti et au-delà ». Les observateurs et analystes de la situation politique actuelle, en Haïti, n’ont toujours pas trouvé le moindre article où Michel DeGraff aurait élaboré une analyse critique de la corruption modélisée par le PHTK néo-duvaliériste à l’échelle du pays tout entier ; ou un texte-bilan de la démantibulation des institutions de l’État par les « bandits légaux » du PHTK ; ou un diagnostic amplement documenté du rôle mortifère et de la « gwojemoni » des États-Unis en Haïti : sa réflexion « experte » sur la « décolonisation et la libération »… qu’il observe « DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL » n’a pas encore trouvé le chemin vers Haïti qui, pourtant, n’est qu’à quatre heures d’avion de Boston…

Éclairage conclusif sur les mécanismes et le rôle contre-productif du populisme linguistique adossé à une bavardeuse essentialisation du créole

La controverse suscitée par Michel DeGraff voulant donner un séminaire intitulé « Langue et linguistique pour la décolonisation et la libération, pour la paix et la construction de la communauté, DE LA RIVIÈRE À LA MER EN PALESTINE ET EN ISRAËL jusqu’aux sommets des montagnes d’Haïti et au-delà » exige d’élargir et d’approfondir la réflexion comme suit.

Dans plusieurs articles consacrés à l’aménagement du créole en Haïti, nous avons mis en lumière, documents à l’appui, les mécanismes et le rôle contre-productif du populisme linguistique adossé à une bavardeuse essentialisation du créole. Ainsi, dans l’article « Stigmatisation du créole, Code noir et populisme linguistique » (Fondas kreyòl, 27 septembre 2022), nous avons exploré les fondements historiques de la stigmatisation du créole en lien avec le Code noir et le populisme linguistique. L’appellation de Code noir désigne L’Ordonnance royale de Louis XIV ou Édit royal de mars 1685 relatif à la gestion de l’économie sucrière des îles de l’Amérique française et des autres contrées conquises. L’article 44 du Code noir assimile l’esclave originaire d’Afrique aux biens meubles : son humanité lui est déniée, il est « chosifié » à travers son statut d’esclave, et ce déni d’humanité s’applique également à sa langue et à ses croyances. Le Code noir a laissé des traces mesurables dans l’inconscient collectif des sociétés post-esclavagistes et, sur le plan linguistique, le populisme linguistique a été instrumentalisé au titre d’une réponse à la chosification de la langue et des croyances des locuteurs issus des sociétés esclavagistes. Le populisme linguistique est une posture idéologique, une vision des faits de langue compris et expliqués à partir du prisme de l’idéologie, et cette vision des faits de langue se revendique d’un corps d’idées plus large, le populisme dans ses différentes variantes. Sur le site Perspectives Monde de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, le populisme est défini comme une « Idéologie (ou mouvement politique) qui fait la promotion du « peuple » –imaginaire ou réel, majoritaire ou identitaire– en développant un discours fondé sur une triple méfiance : 1) à l’endroit de certaines élites (partis, députés, fonctionnaires) ; 2) à l’endroit d’un prétendu système caché (complot) qui trahirait les intérêts fondamentaux du peuple et 3) à l’endroit d’entités ou de mouvances internationales -entreprises, organisations, migrations, etc. (…)  le populisme constitue rarement une idéologie autonome ; le plus souvent, il est une composante parmi d’autres du discours ou de l’action politique. Par extension, dans la langue de tous les jours, le terme populisme a souvent un caractère péjoratif pour désigner une attitude démagogique ou racoleuse vis-à-vis l’opinion publique ».

Il est attesté que le populisme linguistique fonctionne à l’idéologie, au sens où il instrumentalise les ressorts des discours idéologiques pour asseoir son argumentaire et prétendre à une crédibilité « scientifique ». Le populisme linguistique relève donc de l’idéologie linguistique et l’une de ses stratégies discursives consiste à essentialiser la langue créole.

Au cours des dernières décennies, l’essentialisation du créole a servi de terreau fertile à la diffusion du populisme linguistique tant en Haïti qu’en outre-mer. Employée par des défenseurs du créole dont l’intégrité est reconnue mais également par des créolistes fondamentalistes et des Ayatollahs du créole, l’essentialisation de la langue créole relève de ce que Jean-Louis Chiss appelle les idéologies de la langue. L’essentialisation se donne à voir dans des domaines divers ainsi qu’en linguistique. « Ce terme est apparu ces dernières années avec les débats relatifs aux identités et on l’utilise surtout lorsqu’on parle de genres, de sexes, de religions ou de races. « Essentialiser », dans son acception la plus courante, c’est réduire l’identité d’un individu à des caractères moraux, psychologiques ou comportementaux prétendument innés. Ces caractères seraient transmis de génération en génération au sein d’un groupe humain auquel est supposé appartenir l’individu en question » (…). « Ainsi, « essentialiser » consiste à réduire une chose ou une personne à une seule de ses caractéristiques et à tenir cette caractéristique pour essentielle. Si ce mot prend une place importante dans le débat public au point qu’on s’en méfie, c’est que la pensée essentialiste peut générer des idéologies réductrices, discriminatoires, voire extrémistes » (voir Erick Cakpo, « L’envers des mots » : essentialiser », The Conversation, 2 avril 2023 ; voir aussi « Introduction : en finir avec l’essentialisme en linguistique », par Pierre Frath, Université de Reims Champagne-Ardenne, 12 mars 2008 et « La conception essentialiste du français et ses conséquences. Réflexions polémiques », par Jean-Marie Klinkenberg, Revue belge de philologie et d’histoire, 79-3, 2001). L’essentialisation de la langue créole consiste donc à réduire cette langue à une seule de ses caractéristiques et à tenir cette caractéristique pour essentielle. Cela s’entend surtout au sens où sur le registre du discours identitaire le créole EST l’identité nationale, une et immuable. Le créole aurait ainsi une « essence » prédéfinie et immuable, celle de définir la totalité de l’identité nationale, et cette « essence » doit être préservée à tout prix. Pareille caractérisation de l’essentialisation du créole joue un rôle de premier plan dans divers dispositifs idéologico-narratifs des créolistes fondamentalistes et tel que mentionné plus haut elle sert de terreau fertile à la diffusion du populisme linguistique tant en Haïti qu’en outre-mer. Le couple essentialisation du créole/populisme linguistique est fortement arrimé au socle des idéologies de la langue et à des postures idéologico-linguistiques de plusieurs créolistes fondamentalistes. (NOTE – Sur les idéologies de la langue, voir Jean-Louis Chiss, « Idéologies linguistiques, politiques et didactiques des langues », Éditions Lambert-Lucas, 2022. Voir aussi « La persistance de l’idéologie linguistique des remarqueurs dans les chroniques de langage de 1925 à nos jours », par Wendy Ayres-Bennett, et « La « langue française » dans la presse francophone : idéologies, représentations et enjeux discursifs », par Chiara Molinari : ces deux articles sont parus dans « La médiatisation des idéologies linguistiques : tradition et continuité dans la presse écrite », Circula / Revue d’idéologies linguistiques. Numéro thématique dirigé par Wim Remysen (Université de Sherbrooke), Sabine Schwarze (Universität Augsburg) et Juan Antonio Ennis (Universidad nacional de La Plata – CONICET), numéro 1, printemps 2015.

Le couple essentialisation du créole/populisme linguistique a généré ces dernières années des dérives qui vont à contre-courant de l’aménagement du créole aux côtés du français et en conformité avec les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987. Ainsi en est-il du livre de Gérard-Marie Tardieu, « Yon sèl lang ofisyel » (Éditions Kopivit/l’Action sociale, 2018). Ce livre-plaidoyer pour faire du créole la seule langue officielle d’Haïti ne comporte aucune analyse linguistique crédible et il n’a pas été pris au sérieux par les linguistes et les enseignants haïtiens (voir notre article « Le créole, « seule langue officielle d’Haïti » : retour sur l’illusion chimérique de Gérard-Marie Tardieu », Le National, 10 octobre 2019). L’un des enseignements majeurs que livre le fantaisiste opuscule de Gérard-Marie Tardieu c’est l’absence d’une vision cohérente de l’aménagement du créole couplée à l’ignorance des sciences du langage et à l’appel-fatwa d’une très petite minorité de créolistes fondamentalistes –pourtant parfaitement éduqués en français–, à enfreindre la Constitution de 1987, à se placer par-dessus et en dehors de notre Charte fondamentale et à vouloir donner préséance à leur dérive idéologique sur le vote majoritaire de la Constitution de 1987.

Également, le couple essentialisation du créole/populisme linguistique a donné lieu à une obscure racialisation de la problématique linguistique haïtienne sous la plume d’un éminent historien haïtien, Jean Casimir, enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti. Jean Casimir est l’auteur, entre autres, de « Haïti et ses élites : l’interminable dialogue de sourds » (Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2009), et de « Une lecture décoloniale de l’histoire des Haïtiens » (Éditions L’Imprimeur II, 2018). Il a fait paraître sur le site Ayibopost, le 10 février 2023, l’article « Lang blan yo p ap pran peyi a pou yo ». Dans cet article, Jean Casimir fait le lien entre la démocratie et la langue que parle la démocratie : « Pou gen demokrasi, fòk moun lavil –soti nan kwòkmò nan simityè rive nan pi gwo otorite palè nasyonal– gouvènen ak lang pèp la pale. Depi alatèt yo kantonnen kò yo nan sitadèl blan franse a, yo p ap pale ak abitan peyi a. Yo gen pwoteksyon etranje, e pa gen twonpèt de Jeriko k ap kraze mi sa a. » L’on a dès ce paragraphe noté le glissement –sémantique et conceptuel–, opéré par l’auteur vers une vision essentialiste et racialiste des rapports entre les langues, d’une part, et, d’autre part, entre les langues et les forces politiques en Haïti véhiculée par Jean Casimir : « nan sitadèl blan franse a ». Cette vision essentialiste et racialiste des rapports des forces politiques se dénude, sous la plume de l’auteur, au paragraphe suivant de son article : « (…) Kòm blan sènen nou tout kote, nou bezwen franse a ak tout lòt lang blan yo. Men fòk Lasosyete konprann ke konvèsasyon ak blan pa ka fèt dèyè do malere. Angle, franse, panyòl gen pou sikile tout kote nan peyi a, san restriksyon. Se dakò. Men lang blan yo p ap pran peyi a pou yo. Yo p ap deplase kreyòl la, depi gen Ayisyen ladann ». Il y a lieu de tenir à distance toute mésinterprétation de notre approche critique de la vision essentialiste et racialiste de Jean Casimir : s’il est vrai que sur des registres familiers du créole le terme « blan » désigne l’« étranger » en général –comme d’ailleurs le terme « nèg » désigne le générique « homme »–, dans le contexte de son article c’est la jonction de « lang » + « blan » qui est sémantiquement signifiante, qui est porteuse du sens premier de sa vision, car l’auteur cible très précisément la langue dans l’énoncé « nou bezwen franse a ak tout lòt lang blan yo ».

En « racialisant » la notion de langue, en réduisant et en enfermant la notion de langue dans l’étroit périmètre du « colorisme blancophage », en faisant la promotion d’un concept/totem –« lang blan yo »–, qui n’a aucune assise linguistique, Jean Casimir appauvrit considérablement et inutilement la réflexion sur la problématique linguistique haïtienne. Il la déporte vers le bagne d’une régression cognitive, d’un sous-calibrage de la pensée analytique au profit du « colorisme blancophage » qui n’explique rien et qui ne permet aucune exploration intelligible de la complexité de la problématique linguistique haïtienne. Ce faisant, Jean Casimir s’oppose également au « droit à la langue » consigné dans la Déclaration universelle des droits linguistiques de 1996, notamment l’article 13 qui stipule que « Toute personne a le droit d’être polyglotte et de connaître et d’utiliser la langue la plus appropriée pour son épanouissement personnel ou pour sa mobilité sociale, sans préjudice des garanties établies dans la présente Déclaration pour l’usage public de la langue propre au territoire considéré ».

Nous empruntons la notion de « vision essentialiste » au linguiste belge Jean-Marie Klinkenberg, professeur émérite de l’Université de Liège, qui expose que les « langues sont diversifiées dans le temps et dans l’espace (…) elles le sont aussi — comme on veut moins le savoir– dans la société ».  Chez cet auteur, la diversité linguistique vécue au quotidien par les locuteurs est assautée par le discours essentialiste : « Diversité banale. Mais la mettre en évidence apparait toujours comme scandaleux, tant elle a été refoulée dans les consciences par une manœuvre de construction que j’appellerai le discours unitariste ou discours essentialiste : un discours qui vise à rendre monolithique aux consciences ce qui n’est objectivement qu’un conglomérat de variétés linguistiques » (voir l’article de Jean-Marie Klinkenberg plus haut cité, « La conception essentialiste du français et ses conséquences. Réflexions polémiques », Revue belge de philologie et d’histoire, 79-3, 2001).

À travers l’histoire contemporaine d’Haïti, le couple essentialisation du créole/populisme linguistique a donné lieu à des dérives racialistes/racistes dont le corps social porte encore de profondes traces. Dans sa thèse de doctorat en histoire soutenue le 13 février 2023 à l’Université de Montréal et intitulée « Tout [n] était pas si négatif que ça » : les mémoires contestées du duvaliérisme au sein de la diaspora haïtienne de Montréal, 1964-2014 », Lyns-Virginie Belony précise que « Le raisonnement noiriste fut au cœur de la pensée duvaliériste. S’appuyant sur des différences biologiques entre Africains et Européens, il préconisait un « gouvernement noir pour un peuple noir. » Il se caractérisait également par sa relation conflictuelle avec le libéralisme. À ce sujet, l’historien Matthew Smit (2009) note que « noirisme was a strong anti-liberal component including the implementation of an authoritarian and exclusive state. » (« Le noirisme comportait une forte composante antilibérale, notamment la mise en place d’un État autoritaire et exclusif. ») [Notre traduction] Un peu plus loin dans son analyse, Lyns-Virginie Belony expose que « Si les textes qui ont inspiré Le problème des classes ne témoignent pas forcément d’un effort intellectuel rigoureux ni même d’un souci de nuances, leur importance comme outils de propagande promulguant une vision essentialiste, racialiste (pour ne pas dire raciste) et simpliste de l’histoire d’Haïti n’est pas dérisoire. En 1946, ils s’inscrivent dans une certaine lignée de pensée qu’il est nécessaire d’explorer, même si brièvement, pour comprendre l’apport du duvaliérisme » (Belony 2023, page 64). [Précision : le titre complet du livre de Lorimer Denis et Dr François Duvalier est « Le problème des classes à travers l’histoire d’Haïti », Éditions Fardin, 1965.]

Le discours racialiste-raciste du dictateur François Duvalier –dans lequel s’imbriquent le « noirisme », le « salut des classes moyennes noires » et la « réhabilitation de la race noire »–, a fait l’objet d’une intense propagande et a donné lieu à l’élaboration de plusieurs livres. Sur le registre de la propagande, la dictature de François Duvalier a eu ses intellectuels « en service commandé » : les frères Paul et Jules Blanchet, l’autoproclamé « historien » révisionniste Rony Gilot, l’idéologue raciste René Piquion (porte-étendard du « noirisme » et des « authentiques »), Gérard Daumec (le préfacier en 1967 du « Guide des « Œuvres essentielles » du docteur François Duvalier » paru à l’Imprimerie Henri Deschamps), le proto-nazi Gérard de Catalogne (admirateur de Pétain et de Maurras et responsable éditorial des « Œuvres essentielles » de François Duvalier). Lorimer Denis et François Duvalier ont publié conjointement leur livre-phare « Le problème des classes à travers l’histoire d’Haïti » aux Éditions Fardin, en 1965, et en 1967 François Duvalier a fait paraître le « Guide des « Œuvres essentielles » du docteur François Duvalier ». Dans « Le problème des classes à travers l’histoire d’Haïti », les auteurs consignent une lecture essentialiste-raciste de l’Histoire d’Haïti et totémisent la « race » noire de plusieurs façons : « Si nous remontons à notre passé colonial nous verrons que le colon avait institué ce sophisme de simple inspection pour justifier l’esclavage du noir. D’où le dogme d’infériorité de celui-ci inventé pour rayer la race noire de l’espèce humaine. » Et qualifiant Toussaint Louverture de « Génie de notre Race », ils exposent que « St-Domingue est désormais sous l’égide du Héros qui s’était promis d’en faire le berceau de la liberté de sa Race dans le Nouveau Monde, ce fait s’est accompli : du même coup il jeta les fondements d’une Civilisation Noire dans l’Hémisphère Occidental ». Poursuivant dans ce livre l’exposé de leur vision essentialiste-racialiste de l’Histoire d’Haïti, Lorimer Denis et François Duvalier établissent un lien consubstantiel entre « race » et « classe » : « Commentant la pensée d’Emmanuel Edouard, Duraciné Vaval écrit : « Nul plus que lui (sinon le Dr. Louis Joseph Janvier) ne s’est appesanti [sur] la question sociale haïtienne qui dérive d’une question de race. J’en prends occasion pour retenir votre attention sur ce fait que la question sociale haïtienne dérive d’une question de race ».

Montréal, le 21 octobre 2024