Octobre 2024
Statut de la Martinique
Le 19 mars 1946, le Parlement vote une loi (dite loi d’assimilation) qui modifie le statut les colonies françaises de Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion en départements d’Outre-Mer (DOM).
Désormais, à la faveur de cette loi, les habitants de ces nouveaux départements bénéficient des mêmes droits que leurs compatriotes de la France hexagonale.
L’État n’applique cette loi que de façon très partielle. Il se contente de remplacer le gouverneur par un préfet. Aucune mesure n’est prise afin de réaliser l’égalité des droits avec les citoyens hexagonaux.
Profondément déçus, fatigués d’attendre l’application complète de la loi, les syndicats – avec le soutien du parti communiste – entrent en lutte pour la conquête des droits que la Constitution confère à l’ensemble des citoyens de la République.
Deux conquêtes majeures sont obtenues : l’instauration de la Sécurité Sociale, l’attribution de la prime de vie chère accordée aux fonctionnaires hexagonaux affectés dans les DOM à l’ensemble des fonctionnaires des DOM. Quelques années plus tard, perdant l’espoir d’une vie meilleure pour tous, les partis de gauche des quatre départements se réunissent le 18 août 1971 dans la commune du Morne-Rouge en Martinique. Ils veulent choisir une stratégie commune, se fixer un objectif commun. La Convention du Morne-Rouge adopte un mot d’ordre clair : autonomie pour chacun des quatre DOM.
Dans les années qui suivent, les descendants des colons, propriétaires des grandes exploitations agricoles, désignés par le terme Békés, créent avec succès des entreprises commerciales d’importation et de distribution. Leurs entreprises prospèrent et dominent rapidement et très largement ce secteur.
Changement de cap
Le 10 mai 1981, François MITTERRAND est élu Président de la République. Ce jour restera, nous le verrons, un jour funeste pour la Martinique.
Peu après cette date, le Parti Progressiste Martiniquais, considérant que la gauche au pouvoir en France répondra aux attentes légitimes des martiniquais, décide d’observer un moratoire sur son objectif de réclamer l’autonomie de la Martinique. Conséquence, ce changement de cap signifie en filigrane : en avant pour l’assimilation. Avec lui, les autres partis de gauche réclament l’égalité sociale entre « domiens » et « métropolitains ».
Mise en œuvre, la politique d’égalité sociale remplace celle de la parité sociale globale en vigueur. Celle-ci consistait à ne pas verser la totalité des allocations familiales à leurs bénéficiaires et à en conserver le reste pour alimenter le FASSO (Fonds d’Aide Sanitaire et Sociale) créé à cet effet. Il était destiné à financer des actions globales pour l’ensemble des allocataires. Au nombre de ses actions, le FASSO géré par le Préfet, subventionnait les communes pour la fabrication et la distribution de repas équilibrés à l’intention des élèves.
Avec l’égalité sociale, la retenue sur les allocations familiales n’étant plus opérée, l’allocataire perçoit directement le montant total. Conséquence, le FASSO disparaît et le paiement des repas à la cantine revient aux parents d’élèves.
Dans les faits, nombreux sont les parents qui utilisent l’argent des allocations familiales à d’autres fins qu’aux besoins de leurs enfants. Ayant accès au crédit bancaire, ils font l’acquisition de biens d’importation y compris des voitures. De ce fait, il leur est impossible d’acquitter le prix des repas à la cantine même lorsque la commune prend en charge une partie du coût. Le reste à payer étant trop élevé pour eux, c’est à une alimentation déséquilibrée que des parents de plus en plus nombreux habituent leurs enfants. Il en résulte une augmentation fulgurante de l’obésité infantile dont on sait la répercussion sur la santé.
Que font les élus ?
En accédant au pouvoir après 1981, la gauche martiniquaise devient soudain conservatrice. Son but principal est de se maintenir au pouvoir à tout prix et d’avoir un nombre important d’élus. Ce qui explique l’échec d’une assemblée unique proposée par le gouvernement puisqu’il y aurait moins de postes d’élus. Afin de gagner les élections, elle réclame toujours plus d’allocations pour obtenir le vote des électeurs. Résultat : les revenus de l’assistanat dépassent parfois ceux du travail. (Que dites-vous ? Mendiants arrogants ?)
Ce système déresponsabilise les parents qui deviennent incapables de transmettre à leurs enfants – devenus leur source de revenus – l’éducation qu’ils avaient reçue. Les valeurs travail, responsabilité et solidarité disparaissent rapidement. La solidarité nationale remplace la solidarité entre les habitants, l’individualisme s’installe.
De son côté, le Mouvement Indépendantiste Martiniquais (MIM) pratique une politique électoraliste débridée. À Rivière-Pilote, commune gérée par le MIM, le service aux particuliers est une priorité : distribution de matériaux de construction, réalisation de chemins privés, aides diverses… Résultat : même si la population martiniquaise n’adhère absolument pas à son discours indépendantiste, le mouvement augmente régulièrement son électorat. Il obtient un mandat de député, la présidence de la Région, la présidence de la Collectivité Territoriale de la Martinique.
Conséquence de cette politique qui n’appelle jamais ni à l’effort de tous, ni à la responsabilité individuelle, ni à la solidarité entre les habitants, notre société se désagrège d’autant plus rapidement que de nombreux autres facteurs accélèrent cette dégradation du lien social. Nous en citons quelques-uns :
La politique d’émigration des jeunes vers l’hexagone décidée par l’État : plan BUMIDOM (1963-1981).
L’école qui conduit davantage à l’échec qu’au succès et qui produit beaucoup d’illettrés.
L’absence de perspectives d’emploi liée à la diminution de la production locale ainsi que l’offre insuffisante de formation universitaire sur place.
L’apparition de la marijuana puis d’autres drogues plus dures. Ce phénomène génère des trafics et permet de se procurer de l’argent facile. De plus, la consommation de ces produits entraîne une perte de virilité qui nuit aux relations hommes-femmes et par conséquent trouble l’harmonie des relations déjà rares.
L’influence d’internet qui anéantit les contacts entre individus et propose beaucoup de modèles violents. Les modèles virtuels largement proposés dans les jeux opèrent une confusion entre la réalité et l’imaginaire dans l’esprit des enfants.
Le laxisme de parents oisifs qui, vivant du Revenu Minimum d’Insertion (devenu Revenu de Solidarité Active) ou d’autres revenus d’assistanat, n’offrent pas de modèles positifs à leurs enfants.
Le 10 mai 1981 a bien été une date funeste pour l’avenir de la Martinique.
Où en sommes – nous ?
En Martinique, nous pouvons répartir en trois groupes les générations postérieures à l’année 1981, des générations que les adultes nés avant cette même année 1981, ont élevées et éduquées.
– Ceux qui, faute de trouver sur place des perspectives de se construire une vie heureuse, émigrent à la recherche d’un emploi ou d’un mieux vivre (environ 3000 par an selon l’INSEE)
– Ceux qui restent « au pays » ou y reviennent après des études suivies en France ou ailleurs. Ils sont généralement issus de familles aisées
– Ceux qui restent au pays parce qu’ils n’entrevoient aucune perspective d’avenir. Ils se sentent exclus de leur famille et de notre société. Contre cet état de fait, ils sont légitimement souvent en colère.
Ces trois catégories forment l’essentiel de ce qu’il est convenu d’appeler le peuple martiniquais.
Il regroupe par conséquent :
1) les habitants nés avant l’année 1981 : ce sont évidemment les anciens
2) les habitants nés après 1981, ce sont les enfants et petits-enfants des anciens. Ils se répartissent en deux groupes :
– ceux qui sont insérés sur place et acceptent les règles de notre société
– les autres qui sont désœuvrés et exclus de notre mode de vie. Ils ignorent les valeurs et les traditions qui fondaient la société des années d’avant 1960. Ils sont le résultat de l’incapacité de leurs parents à leur transmettre ce mode de vie respectueux de tous caractéristique de cette période mystérieusement apaisée.
3) À ces habitants nés en Martinique, s’ajoutent les nombreux hexagonaux insérés depuis des décennies dans le « vivre martiniquais ».
Face à ce peuple, que font nos élus ? Depuis plus de vingt ans, ils assistent en spectateurs passifs à la dégradation de notre société.
Ils paraissent indifférents à nos problèmes, se répandent en discours et promesses aptes à assurer leur réélection, ils vivent sans contact véritable avec la population. Délaissée, désabusée, cette dernière exerce de moins en moins son droit de vote ou lorsqu’elle vote, elle ne mesure pas nécessairement les conséquences de son choix. Car ce choix n’est souvent que l’expression d’une désapprobation vis-à-vis de la classe politique.
La situation actuelle est un paradoxe
Avec la mobilisation contre la vie chère, nous vivons une situation inédite.
Les élus n’ont proposé aucune solution. L’État est imperturbable. Les opérateurs, appuyés par l’État ne manifestent aucun d’état d’âme.
La grande révolte de 2009 avait suscité beaucoup d’espoirs qui ont vite été déçus.
Alors que la misère s’accroît chez nous, le mécontentement monte mais aucune perspective de solution n’est formulée.
Dans cette ambiance délétère que vit la Martinique, un groupe formé de quelques individus venus de nulle part, lance un ultimatum aux autorités politiques et administratives : au 1er septembre, les prix des denrées alimentaires doivent être drastiquement diminués. À défaut, le groupe menace de passer à l’action.
Début septembre, en l’absence de réactions des responsables, quelques jours d’actions diverses (blocages, pillages, incendie de voitures et d’entreprises …) amènent les autorités à prendre la menace au sérieux.
Immédiatement ce groupe obtient que l’ensemble des autorités administratives, élues, économiques, se réunissent afin de trouver des solutions.
Ces autorités confèrent donc une légitimité incontestable au RPPRAC, ce mouvement qui a engagé l’opération.
Pour l’heure son combat n’est pas gagné.
Quelle attitude adopter ?
Les réactions à cette situation sont diverses.
Dans cette matière nul ne peut contester que l’État demeure notre adversaire principal. On pourrait donc s’attendre à voir le « peuple martiniquais » solidaire et soudé face à cet adversaire.
On peut par conséquent s’étonner que loin d’être solidaire de l’action d’éclat réussie par leurs enfants et petits-enfants, des martiniquais rejoignent le camp de l’État au motif qu’ils sont opposés à toutes les violences.
Nul ne peut, en conscience, cautionner des destructions de biens et d’entreprises. Nul ne peut accepter de voir de nombreux salariés réduits au chômage du fait de ces destructions d’entreprises.
Faut-il pour autant appeler l’État à la plus grande répression, alors que c’est son refus permanent d’appliquer la Constitution et les lois pour l’Outre-Mer votées par le Parlement, qui génère cette situation ?
Il me semble que nous devons garder constamment présent à l’esprit que nous – parents et élus – sommes responsables, du fait de n’avoir pas réussi à insérer nos enfants dans notre société de tolérance.
Dès lors, comment leur reprocher de parvenir à faire comprendre notre drame aux autorités en quelques semaines, alors que nous avons été incapables de le faire nous-mêmes pendant des décennies ?
Chacun de nous peut constater en regardant la réalité qui s’étale sous nos yeux que la Martinique que nous connaissons et aimons est en train de disparaître. Est-ce vraiment le moment de rejeter ceux de nos enfants qui combattent pour sauvegarder notre existence de Martiniquais ?
Questions :
1) Depuis plusieurs années, Mireille PIERRE-LOUIS, experte en finances locales, attire publiquement l’attention de tous sur les entorses de l’État en matière d’égalité des citoyens devant la loi (voir sa dernière production sur Madinin-art du 12 octobre 2024). Nos députés ne pourraient-ils pas trouver le moyen de poser au Conseil Constitutionnel une question préjudicielle de constitutionnalité. Une réponse positive du Conseil pourrait rappeler le gouvernement à ses obligations légales envers ses possessions ultramarines.
2) Par ailleurs, la terre martiniquaise est-elle destinée à devenir propriété quasi-exclusive d’européens, comme le sont déjà les terres des îles de Saint Barthélémy, Saint-Martin, la Désirade, bientôt Marie-Galante ? Ce processus, déjà engagé, pourrait aboutir à la même situation si les Martiniquais n’y prennent garde.
Guy LORDINO, ex-député
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