Après le refus de signature de l’accord, pourquoi le RPPRAC n’a d’autre choix que d’investir le champ politique Martiniquais ?
— Par Jean-Marie Nol économiste —
Aujourd’hui samedi devant une importante foule totalement acquise à la cause défendue par le RPPRAC. Le leader du mouvement contre la vie chère a lancé à la cantonade un cri de guerre : « À partir de lundi, péyi-a blotché », et de surenchérir » ayen paka passé ». Alors retour à la case départ crescendo où goj’ à gogo ?
La Martinique, est désormais un territoire fracturé qui traverse une crise profonde où se mêlent enjeux économiques, frustrations politiques , crise sociale, et aspirations identitaires. La montée en puissance des mouvements contre la vie chère, notamment à travers l’association RPPRAC , révèle une situation d’exception parmi les territoires d’outre-mer français. Si la question du coût de la vie frappe l’ensemble de ces régions, c’est en Martinique que la révolte a pris une ampleur singulière, marquée par des tensions sociales grandissantes et une radicalité inédite.
Après plus d’un mois de mobilisation intense, ponctué par des négociations, des manifestations et des actes de violence, un protocole d’accord a finalement été signé entre l’État, les élus locaux et les représentants de la grande distribution. Ce texte vise à réduire les prix de 6 000 produits, avec des baisses allant jusqu’à 20 %, notamment sur les produits alimentaires. Les mesures proposées s’articulent autour de trois grands axes : la baisse des prix, une transparence accrue dans la formation des prix et le soutien à la production locale. Néanmoins, le RPPRAC, instigateur du mouvement, a refusé de valider l’accord, jugeant que ce dernier ne répondait pas aux attentes de la population martiniquaise à savoir une baisse généralisée sur l’ensemble des produits alimentaires .
Pour beaucoup, la signature de cet accord est perçue comme un dol c’est à dire une « erreur sur la marchandise ». La population s’attendait à des changements plus radicaux, en phase avec les revendications exprimées durant le début de la crise. En dépit de l’apparence d’un compromis, le sentiment général est celui d’une trahison des élites, tant politiques qu’économiques. Le climat social reste donc tendu, alimenté par la persistance des inégalités économiques qui frappent durement la population.
La violence qui a accompagné la mobilisation contre la vie chère est également le symptôme d’un mal-être profond, en particulier chez les jeunes Martiniquais. La présidente du MEDEF Martinique a exprimé son indignation face à la vague de destructions qui a frappé l’île, affectant plus d’une centaine d’entreprises et causant la perte de nombreux emplois. Ces actes de pillage et de saccage traduisent l’exaspération d’une jeunesse en quête de repères, confrontée à un contexte socio-économique particulièrement dégradé.Ces exactions, aussi condamnables soient-elles, s’inscrivent dans une dynamique plus vaste de contestation sociale, qui mêle revendications économiques et un besoin d’émancipation face à un système perçu comme inégalitaire. Les entreprises, en tant qu’acteurs économiques majeurs, sont prises au grand dam dans cet engrenage, devenant le symbole d’un ordre établi que certains jugent responsable de leur situation désespérée. Pour une jeunesse confrontée à l’absence d’opportunités et au blocage de l’ascenseur social , la destruction de ces symboles économiques représente une forme d’expression d’une violence que les mots ne suffisent plus à décrire aujourd’hui tant le mal semble profond .
Le manque de repères joue également un rôle déterminant dans l’escalade des violences. Les jeunes concernés, souvent issus de quartiers défavorisés, grandissent dans un environnement où les institutions – qu’elles soient éducatives, familiales ou sociales – peinent à assurer leur rôle. Ce vide de repères contribue à un sentiment de déconnexion, renforcé par la persistance de clivages sociaux et économiques. En l’absence de perspectives claires, la violence devient, pour certains, l’un des seuls moyens d’exister et de revendiquer leur droit à une place dans la société.
Les exactions contre les entreprises de l’île peuvent aussi être vues comme une tentative de rupture avec une économie perçue comme monopolisée par une élite. En Martinique, la structure économique est dominée par certaines grandes familles, souvent issues de la communauté béké, qui sont associées à une forme de continuité avec le passé colonial. Cette perception, ancrée dans l’imaginaire collectif, nourrit des ressentiments profonds et alimente des tensions latentes. Pour une partie de la jeunesse, les entreprises deviennent alors non seulement des symboles d’injustice économique, mais aussi des reliquats d’une domination historique à laquelle ils s’opposent.
C’est malheureusement un reliquat du vieux contentieux entre le patronat et les travailleurs.
Les inégalités et la répartition des richesses sont somme toute au cœur des revendications. La hausse des prix n’est pas seulement vécue comme une dégradation des conditions de vie, mais comme le reflet d’un système économique perçu comme inéquitable. Une minorité, souvent associée à la communauté béké, est accusée de dominer l’économie locale, avec le soutien de l’État français. Cette domination économique renvoie à des tensions historiques, liées à la période esclavagiste et coloniale, qui continuent d’alimenter le ressentiment populaire.
L’émergence du RPPRAC est révélatrice du climat de défiance qui règnait déjà en Martinique. Ce mouvement citoyen, qui s’est autoproclamé porte-parole des couches populaires, incarne un rejet des élites traditionnelles. Les partis politiques locaux, historiquement influents, ainsi que les syndicats, semblent aujourd’hui dépassés par l’ampleur du mécontentement social. Le RPPRAC, avec son discours radical et populiste, a su capter la colère de la population et se positionner comme une alternative face à une classe politique jugée déconnectée des réalités quotidiennes.
Ce populisme martiniquais repose sur un discours simple mais efficace : les élites politiques et économiques locales et l’État français sont responsables de la vie chère, et seule une action populaire de grande ampleur pourra changer la situation. Le RPPRAC s’en prend notamment au rôle des grandes enseignes békés dans la formation des prix, tout en dénonçant l’inaction des autorités locales. Cette rhétorique trouve un écho particulier dans un contexte où les inégalités économiques sont souvent perçues à travers le prisme de l’histoire coloniale.
Mais pourquoi la Martinique est -t-elle une exception ultramarine ?
La spécificité de la Martinique dans cette crise mérite d’être soulignée. Alors que l’inflation et la vie chère frappe tous les territoires ultramarins, la Martinique se distingue par l’intensité de sa mobilisation et la virulence des réactions populaires. Pour comprendre cette situation, il faut prendre en compte des facteurs historiques, politiques et culturels profondément enracinés. L’île, longtemps dominée par des élites politiques et syndicales, connaît aujourd’hui une phase de bouleversement. L’apparition de nouveaux mouvements citoyens, comme le RPPRAC, remet en cause l’autorité des forces politiques et dans une moindre mesure les organisations syndicales traditionnelles.
La question identitaire joue également un rôle central dans cette crise. La Martinique, bien que département français, entretient une relation complexe avec l’Hexagone depuis l’ère et le poids idéologique de certains penseurs d’obédience anti-colonialistes .
Si l’attachement à la France demeure fort, notamment en raison des aides économiques et sociales qu’elle fournit, le passé colonial et les inégalités persistantes nourrissent un désir larvé d’émancipation. Le RPPRAC s’inscrit dans cette logique, en appelant à une réhabilitation de l’identité martiniquaise et en dénonçant la domination économique de la « métropole » et des élites locales.
L’émergence du RPPRAC et la montée d’un populisme teinté de nationalisme en Martinique traduisent une crise profonde du système de représentation. La défiance à l’égard des élus et des syndicats traditionnels laisseront tôt ou tard la place à de nouveaux acteurs, qui revendiquent une plus grande autonomie, tant économique que politique. Ce mouvement exprime un besoin légitime de changement, mais soulève également des questions cruciales sur l’avenir de la démocratie participative dans l’île. Aujourd’hui le risque de franchissement d’une ligne rouge est prégnant en Martinique , et le dérapage vers une zone sombre n’est plus à exclure.
Le principal défi pour le RPPRAC sera de canaliser cette énergie contestataire vers une transformation politique constructive. Le risque est qu’elle se retrouve piégée dans une spirale de confrontation sur plusieurs fronts , alimentée par des frustrations sociales et identitaires non résolues. En foi de quoi les activistes n’auront d’autres choix que d’investir le champ politique. Si la crise de la vie chère a mis en lumière les failles du système économique et politique martiniquais, elle a aussi révélé les profondes aspirations d’une population en quête de justice et de dignité. C’est la nouvelle ligne de démarcation du paysage politique de la Martinique qui se fait jour avec cette crise de la vie chère .
Les activistes du RPPRAC, qui ont orchestré la mobilisation contre la vie chère en Martinique, se trouvent aujourd’hui dans une situation paradoxalement à haut risque où leur engagement pourrait difficilement se limiter à la seule contestation sociale. Pour plusieurs raisons, ils sont presque contraints d’investir le champ de l’anarchisme politique, avec une ligne populiste marquée par des revendications à la fois économiques ,sociales et identitaires.
Raison 1. Le vide laissé par les forces politiques traditionnelles
En Martinique, les partis politiques et les syndicats traditionnels, historiquement très influents, se sont montrés incapables de répondre efficacement aux problèmes du coût de la vie. Le RPPRAC a comblé ce vide en se positionnant comme la voix du peuple, critique des élites locales et nationales. Cette incapacité des institutions traditionnelles à apporter des solutions concrètes a ouvert la voie à un nouveau discours populiste, qui se fonde sur la dénonciation de la déconnexion des élites avec les réalités quotidiennes.
Le RPPRAC ne peut plus se contenter d’être une simple force de contestation. Sa popularité et sa légitimité, acquises en incarnant la colère populaire, le poussent désormais à proposer une alternative politique plus durable. Les citoyens martiniquais, ayant perdu confiance dans les institutions existantes, attendent de ce mouvement une action plus structurée, voire une transformation politique réelle.
Raison 2. Le populisme social : un discours efficace et attendu
Le RPPRAC s’inscrit dans une dynamique populiste où la critique des élites, qu’elles soient politiques, économiques ou même sociales, est centrale. Le populisme repose sur une division simple entre le « peuple » et les « élites corrompues ». Ce mouvement a su capter le sentiment d’abandon d’une large partie de la population, notamment les classes populaires frappées par la vie chère, et se pose comme leur porte-parole.
Le RPPRAC s’est engagé dans un discours simplifié mais efficace : l’État français et les élites locales sont responsables de la situation socio-économique catastrophique de l’île. Cela lui confère une certaine légitimité auprès des citoyens qui cherchent des solutions concrètes à leurs problèmes quotidiens. En effet, leur discours s’inscrit dans une dynamique de protection sociale, promettant de défendre les intérêts des plus démunis. Ce positionnement social fort impose au RPPRAC d’évoluer vers une démarche politique s’il veut maintenir sa crédibilité et répondre aux attentes de ses soutiens.
Raison 3. L’enracinement identitaire : une dimension incontournable
La question identitaire est au cœur des mobilisations en Martinique de façon sous-jacente. L’histoire coloniale de l’île, le passé esclavagiste et la domination économique actuelle par une minorité békée forment un cadre d’analyse incontournable pour comprendre les tensions sociales. Le RPPRAC, dans sa critique du système économique et politique, adopte un discours où la question identitaire martiniquaise prend une place centrale.
Le mouvement ne peut échapper à cette dimension identitaire, car en Martinique, les inégalités sociales sont souvent interprétées à travers le prisme postcolonial. La vie chère, la domination économique , l’accaparement du foncier et le manque de perspectives pour la jeunesse sont perçus comme des manifestations d’un système hérité de la colonisation. En mettant en avant l’identité martiniquaise face à une France perçue comme lointaine et indifférente, le RPPRAC adopte de facto une ligne populiste -nationaliste qui dépasse la seule contestation économique.
Ce mélange de revendications sociales et identitaires contraint le RPPRAC à s’investir davantage dans le champ politique. Le mouvement doit non seulement répondre aux attentes économiques de la population, mais aussi se croise obligé de redéfinir une identité martiniquaise autonome et émancipée, en lieu et place des élus locaux et en rupture avec l’héritage colonial et la dépendance à la France.
Raison 4. Le passage obligé par le politique pour une transformation durable
Le RPPRAC, après avoir initié un mouvement social d’ampleur, est désormais attendu sur le terrain des solutions concrètes et durables. Pour pouvoir peser dans le débat public, il doit nécessairement passer par une structuration politique. Rester cantonné à la protestation pourrait conduire à une perte de légitimité, surtout si aucune alternative politique crédible n’émerge des revendications. C’est là que réside le risque de la politique de la terre brûlée et du jusqu’au boutisme !
Cette dynamique populiste et identitaire conduit naturellement le RPPRAC à une forme d’engagement politique radicale , car les attentes de la population ne se limitent plus à la seule dénonciation de la vie chère . Il s’agit désormais de proposer des politiques publiques qui répondent aux besoins des Martiniquais. Cela implique une entrée dans le champ institutionnel, malgré le scepticisme affiché par le mouvement vis-à-vis des élites et des institutions.
Raison 5. Le populisme, un catalyseur d’une nouvelle souveraineté idéalisée martiniquaise
En fin de compte, le populisme social et identitaire du RPPRAC s’inscrit dans une volonté de souveraineté plus grande pour la Martinique. Ce mouvement exprime un désir croissant d’autonomie, tant sur le plan économique que politique. La critique de la domination économique des grandes enseignes békées et de la France, conjuguée à la volonté de réhabiliter une identité martiniquaise autonome, conduit le RPPRAC à intégrer une dimension politique inévitable.
En revendiquant une plus grande justice sociale et une émancipation culturelle et économique, le RPPRAC inscrit son action dans une dynamique de transformation à long terme. Pour que cette transformation soit durable, elle doit s’accompagner d’une prise de pouvoir politique, ou du moins d’une capacité à influencer les décisions politiques locales.
Les activistes du RPPRAC, en initiant une nouvelle mobilisation massive contre la vie chère, se sont imposés comme les porte-parole d’un mécontentement populaire à la fois social et identitaire. Cependant, leur succès dans la contestation les pousse désormais à évoluer vers une forme radicalisée d’engagement politique sur le type de l’action des anarchistes. Le populisme social, articulé autour de la critique des élites et de la question identitaire, exige une présence durable dans le champ politique. Le RPPRAC ne peut se contenter de la dénonciation s’il veut répondre aux attentes de transformation sociale et de réhabilitation identitaire exprimées par une population en quête de justice et de dignité.Il est donc urgent de s’interroger sur les solutions à apporter pour répondre à ce mal-être croissant. La répression seule ne suffira pas à apaiser les tensions ,car dès le départ la gestion de crise par le préfet puis par le président du conseil exécutif de la CTM a été défaillance et catastrophique . Alors le temps n’est plus à des paroles fallacieuses pour tenter d’endiguer la colère , mais il faut tracer les perspectives de changement du modèle économique et il est indispensable de mettre en place des politiques publiques adaptées, axées sur la création d’emplois pour les jeunes oisifs , la formation des jeunes et l’accompagnement social. Sans une réponse adéquate aux problèmes de fond, la Martinique risque de connaître d’autres vagues de violences, symptôme d’une société en pleine dérive, où une partie de la population se sent laissée pour compte. Il s’agit d’un défi majeur pour les autorités et les acteurs économiques, qui doivent, plus que jamais, s’unir pour reconstruire un avenir durable et inclusif pour tous les Martiniquais.
Malheureusement le contexte actuel de radicalisation se prête très bien au proverbe créole suivant :
« A pa pou on zo mwen key kryé chyen : bonjou bopè »
Traduction littérale : Ce n’est pas pour un os que je vais dire à un chien : « bonjour beau-père ». »
Moralité : Je ne vais pas consentir à m’humilier pour un quelconque intérêt indu sans véritable substance de nature à totalement me contenter.
Jean-Marie Nol, économiste