Réduction de notre dépendance alimentaire et processus de développement agricole radical et socialisé

— Par Max Dorléans (GRS) —

Depuis quelques temps se fait jour un discours formellement pro-libéral, condamnant le monopole ou quasi-monopole de quelques groupes de la grande distribution, et vrai plaidoyer pour le libéralisme pur et parfait.

Ce discours rencontre aujourd’hui, avec la crise sociale actuelle, avec la question de la vie chère et la baisse des prix des produits alimentaires de première nécessité, une nouvelle actualité, puisque à travers la question de l’agriculture, celle des fonds européens, du Poséi (programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité), et de sa nécessaire réforme, c’est bien la question du modèle actuel qui est posée.

Un modèle tourné vers l’exportation, dominé presque en totalité par Banamart et le groupe de békés dominant en son sein, où non seulement la banane s’octroie la part du lion avec 81% des 118 millions d’€ de fonds du Poséi alloués à la Martinique en 2021, mais où également, ce sont seulement 25% des 2700 agriculteurs qui en bénéficient. A savoir une infime poignée de capitalistes, békés et non békés.

Une répartition inique qui offusque non seulement l’immense majorité des agriculteurs, mais également la population et la majorité des élus. Car sur les 118 millions d’€, seuls 3,8% qui vont à la diversification, 4,6% à la canne/sucre/rhum, et le reste à l’élevage. Ce qui reproduit un modèle de production tourné vers l’exportation, et qui montre clairement notre inadmissible et dangereuse dépendance alimentaire (et autres) puisque nous importons plus de 85 % de notre alimentation.

C’est dans ce contexte d’inégalité et d’injustice criantes (en dépit du fait que la réforme agraire ne soit pas d’actualité immédiate), que surgit depuis quelques années, un discours porté par beaucoup sur la nécessité de la réduction de nos dépendances, alimentaire notamment. Un discours qui entend revoir en profondeur la répartition des fonds du Poséi, pour aller enfin vers une agriculture vivrière, aussi bien qualitative que quantitative.

Sauf que la réduction de notre dépendance alimentaire peut se décliner d’au moins deux façons.

D’abord, réduire la dépendance alimentaire peut s’entendre comme augmenter considérablement la production vivrière et la diversifier, avec pour finalité, la recherche d’un profit. De ce point de vue, l’agriculture ici n’étant rien d’autre qu’une branche d’activité ayant pour finalité la recherche du profit, la perspective par les actuels dominants, békés et autres, d’un transfert d’activité de la banane vers une agriculture diversifiée boostée par une réforme du Poséi, ne peut être écartée. Bien au contraire. Ceux-là comme bien d’autres, puisqu’il s’agira d’une production pour la vente et le marché, comme n’importe quelle autre marchandise.

Mais réduire la dépendance peut également s’entendre comme chercher à augmenter et diversifier davantage la faible production vivrière actuelle, dans le but de satisfaire en priorité, à des prix très acceptables, les besoins alimentaires de la population. Une option en opposition avec la précédente.

Ainsi, si la première option n’est en rien singulière (production pour faire du profit), la seconde mérite notre attention car peu ont clairement indiqué qu’il faut produire pour satisfaire le marché local, avec des produits agricoles bon marché. Il s’agit ici de rompre avec la logique du marché, car la préoccupation n’est pas de produire des marchandises en vue d’un profit, mais de satisfaire en priorité les besoins de la population avec des produits accessibles au plus grand nombre, par leurs prix bas grâce aux économies d’échelle, et indispensables à la réappropriation de nos goûts et senteurs patrimoniales.

Si ici la terre ne semble pas être un problème, ce qui l’est, c’est la mise à disposition de celle-ci (sous des formes à étudier) au profit de celles et ceux qui en cherchent, et qui ont les pires difficultés pour en avoir. Concernant les terres appartenant à la CTM ou autre collectivité, elles doivent pouvoir s’insérer dans l’offre globale de terre (celles en friche comme d’autres), et cette offre globale peut prendre des formes variées, l’essentiel étant de permettre à celles et ceux intéressés par cette production, de pouvoir vivre, comme dans d’autres secteurs, de leur travail, tout en fournissant une production quantitative et qualitative, bon marché. Une équation apparemment insoluble, mais qui nécessite pour sa réalisation, que la terre – élément de production – ne plombe pas le prix de vente sur le marché. D’où par exemple une variété de formes de mise à disposition, dont des locations très bon marché, des terres mises à disposition gratuitement, des ententes propriétaires /producteus/trices qui ne lèsent ni l’un, ni l’autre, l’essentiel étant la production, et derrière la réduction de notre dépendance alimentaire.

Il s’agirait donc d’un tout autre modèle, qui n’ira pas sans ennemis et sans partisans.

Le capitalisme a produit une multitude de formes de société ayant pour toutes finalité le profit. A l’inverse, notre projet doit s’inscrire dans un cadre collectif, socialisé, refusant la pwofitation, mais ouvert à la coopération, à la socialisation du procès de travail, à la transparence totale, à la démocratie interne, au respect des droits fondamentaux et des différences, à l’égalité des différents acteurs…Mais de plus, il doit s’inscrire également dans un projet – compte tenu de la recherche de prix de vente des productions bon marché – ne sacrifiant pas, grâce à une convergence d’intérêts à définir, ceux de la masse des petits et moyens agriculteurs, qui bon gré malgré, ont produit et produisent pour le marché, et qui ne doivent être laissés sur le bord de la route.

On l’aura compris. Un véritable développement d’une production alimentaire forte et diversifiée, répondant aux besoins vivriers de l’ensemble de la population à des prix très abordables, exige aujourd’hui, au vu de la crise multidimensionnelle de la mondialisation capitaliste, de se soustraire– même partiellement – de ce modèle injuste, inhumain et mortifère qu’est le capitalisme.

Max Dorléans (GRS)