Exposition de Nadia Burner POST-IT

Expo solo de Nadia Burner au Créole Arts Café jusqu’au 2 novembre 2024

— Par Philippe Charvein —

Le titre de cette exposition de Nadia Burner nous interpelle d’emblée dans la mesure où il s’impose d’abord comme une action à effectuer obligatoirement : celle consistant à écrire, à consigner ses pensées et ses réflexions sur papier afin d’y penser plus tard.

« Post-it » évoque, dans le même temps, ces petites affichettes qui nous invitent précisément à ne pas oublier ; à garder en mémoire les problématiques récurrentes de notre époque : le féminisme, la société de consommation, la condition humaine, les blessures de l’Histoire…

Autant de problématiques auxquelles il nous faut, selon Nadia Burner, nous tenir éveillés afin d’y apporter une réponse, une amélioration.

Les « Post-it » que nous propose Nadia Burner peuvent être divisés en quatre parties. Il y a d’abord, en effet, ceux qui abordent la question du féminisme. Viennent ensuite les « Post-it » évoquant la servitude humaine. Nous trouvons, par ailleurs, des affichettes qui nous invitent à prendre une certaine distance critique avec la société de consommation. Notons, enfin, celles qui nous invitent à nous souvenir des blessures occasionnées par l’Histoire.

Parmi tous les « POST-IT » que nous propose Nadia Burner, nous remarquons d’emblée ceux qui marquent et reflètent ses engagements féministes, ses prises de position en faveur des femmes. Sans multiplier les exemples, relevons cette grande toile représentant une femme dénudée, cernée d’oiseaux prédateurs et confrontée, qui plus est, à un horizon dénué de toute perspective d’ouverture. L’écuelle vide qu’elle tient dans sa main gauche, témoigne de ce dénuement social et matériel qui est le sien ; dénuement qui accentue sa vulnérabilité.

Nous ne pouvons nous empêcher, toutefois, de noter, chez Nadia Burner, une volonté de célébrer la beauté du corps de cette femme… saisie malgré tout dans sa verticalité (sa position debout) ; signe, malgré tout, d’un désir de résistance, de résilience.

Dans ce même ordre d’idée, nous pouvons relever l’une de ces deux toiles rassemblées sous le titre : « Cale » et sur laquelle nous observons une femme de couleur – sans doute une esclave – elle aussi dénudée… elle aussi en position debout. Sa posture, en effet (la main sur les hanches), son visage serein sur lequel se dessine un air de défi, illustrent d’emblée une volonté, chez elle, de faire face, de ne pas baisser les yeux. Elément important à cet égard : cette couronne d’or en suspension… comme en attente – une couronne que cette femme surplombe – et qui n’est pas sans faire référence au prince ou au roi absent. Selon l’optique choisie par Nadia Burner, en effet, c’est cette femme (et non l’homme absent) qui se trouve sur le point d’être couronnée… cette femme qui, par extension, se défait de l’idéalisme amoureux pour parvenir par elle-même à un certain accomplissement.

Autre toile illustrant l’optique féministe chère à l’artiste : celle où il est possible de voir une femme noire avec, posée sur sa tête, une lourde couronne. Sur son visage se lit une certaine gravité, liée, peut-être, au poids excessif de ce diadème constitué de trois parties. S’agit-il, pour Nadia Burner, de restituer – et dénoncer – la souffrance de toutes ces femmes placées sous le joug des mythes patriarcaux ?

Le souci de la condition de la femme se remarque aussi à travers ces deux toiles mettant en opposition le portrait d’une femme, justement, au visage grave et la reproduction d’un coq fier de ses couleurs. Manière, pour Nadia Burner, de dénoncer le fameux adage créole chantant la toute puissance du mâle ! Le choix du noir et blanc s’agissant du portrait de la femme, fait mieux ressortir la souffrance liée à sa condition, de même que sa colère et son envie de révolte.

Relevons enfin ce carnet de croquis construit autour du motif du sac féminin. Sur la première feuille, nous voyons justement un sac féminin faisant face à un miroir sur lequel se reflète un… poids. Manière, pour Nadia Burner, d’illustrer l’attraction métonymique entre cet objet et la féminité, avec cette idée, en arrière-plan, selon laquelle cette attraction serait précisément… un poids pour la femme, une entrave ; ce que semble traduire le texte énigmatique situé juste en-dessous ! Pourtant, lorsque nous feuilletons ce carnet, nous nous rendons compte que le symbole d’élégance et de beauté féminines qu’est le sac compense – réduit à néant – ce poids que les femmes doivent porter… ce poids des traditions qui les entrave souvent, les empêchant de se réaliser, de s’exprimer.

L’opposition entre le texte (qui grave un état de fait semblant immuable) et le carnet de croquis, illustre métaphoriquement cette idée selon laquelle l’Art refuse précisément les normes établies de façon irrémédiable… ce carnet de croquis illustrant la pleine expression de la féminité, libérée de toute pesanteur !

Après les POST-IT évoquant la condition féminine, place à ceux qui s’articulent autour de la question de la servitude humaine. Sans multiplier les exemples, nous pouvons relever des réalisations aussi diverses que « Crack », « Cage » et « Pointe Allègre ». Sur la première toile que nous avons mentionnée, au titre si évocateur, nous nous trouvons confrontés à l’un des fléaux qui menacent notre société en profondeur : celui des addictions à la drogue. Addictions qui provoquent tant de déchéances et condamnent à l’obscurité de la mort !

Sous les outils de Nadia Burner, cette obscurité mortifère est contrebalancée par la lumière de l’esprit et de l’intelligence, évoquée métonymiquement et symboliquement par la représentation de l’ampoule… cette lumière qui s’impose comme une lueur salvatrice.

Pour Nadia Burner, en effet, il est important de préserver sa liberté, d’éviter la cage.

La « Cage », précisément, du nom de ce motif matérialisé à la fois concrètement sur le sol, et présent sur ces deux toiles à l’arrière-plan rouge. Ce redoublement, à lui seul, marque d’emblée la réalité de ce danger qui n’est pas une vue de l’esprit. Le plus important pour l’artiste est donc cette grande symbolique philosophique avec, comme impératif, la volonté d’échapper à l’enfermement irréversible, à l’image de ces petites «châtaignes » posées sur la cage et non à l’intérieur de celle-ci. Avec cet impératif d’échapper au nœud coulant suicidaire.

Le fait, pour l’artiste, de représenter des fruits échappant encore aux tentacules de la cage, illustre symboliquement cette idée selon laquelle la vie est encore là et qu’elle peut encore produire des saveurs, synonymes de résiliences et de régénérescences.

Par un renversement inattendu, la mise sous cloche – et non la mise en cage – se révèle indispensable à la préservation de cette dynamique interne vitale évoquée de manière métonymique par l’image du chapeau.

Préserver sa liberté et ses possibilités d’action équivaut, pour Nadia Burner, à prendre ses distances par rapport à une société de consommation. L’une des toiles qui illustre directement cette perspective est : « Assimile ». Toile sur laquelle il est possible de remarquer une femme dont les lunettes sont « occultées » par la présence affichée et affirmée d’un monde « américanisé ». Manière, pour l’artiste, de suggérer cette idée selon laquelle notre subjectivité serait avant tout tributaire des idéologies !

Prendre ses distances par rapport à une société de consommation, implique un sursaut salvateur au niveau des mentalités. Relevons alors cette simple toile évoquant un bilboquet. Bilboquet qui symbolise bien la vanité de toute chose, l’imminence d’une chute… d’une disparition totale. Mentionnons, dans ce même ordre d’idée, cette toile sur laquelle sont représentés des jouets de plage à l’adresse des enfants. Toile à la charge symbolique manifeste puisque évoquant ce devoir qui s’impose à nous (au-delà de toute futilité) : construire collectivement un destin commun ; un avenir commun.

Prendre ses distances par rapport à une société qui a tendance à formater les individus, implique que nous nous montrions capables de préserver… notre « âme d’enfant ». Perspective illustrée, bien sûr, à travers ces deux toiles représentant deux fillettes prises dans leurs rêves particulièrement féconds et fructueux, par opposition au monde utilitaire et pragmatique symbolisé par cette planche à repasser. Planche qui est presque personnifiée, comme en témoigne sa position « debout ».

De manière symbolique et formelle donc, ces deux enfants sont maintenues à distance de ce monde prêt à étouffer et diluer leurs aspirations et leurs désirs d’évasion. Soulignons d’ailleurs cette « couronne » d’absolu sur la tête de ces fillettes, comme pour mieux souligner cette aura protectrice.

Les fillettes que nous venons d’évoquer lèvent les yeux ou soutiennent un regard. Voilà une attitude, en effet, qui selon l’optique de Nadia Burner, témoigne d’une volonté de résistance. Perspective soulignée à travers cette toile sur laquelle il est possible de remarquer le visage d’une femme recouvert de cendre et surmonté d’une multitude de pinces nourricières. Allusion symbolique à cette volonté de relever la tête malgré les pointes qui se plantent dans la chair et l’esprit !

Prendre ses distances par rapport à une société de consommation qui détruit tout, pollue tout, est également un impératif pour Nadia Burner.

Mentionnons alors cette toile où il est possible de voir une…bouteille recouvrant, étouffant un régime de bananes. Cette bouteille qui, sous le pinceau de l’artiste peintre, s’impose comme une vision hyperbolique du sachet plastique qui souille toute une plantation. Dénonciation métaphorique de ce monde moderne qui détruit la nature tout en la consommant !

Face à cette société avec laquelle il faut parfois prendre ses distances, Nadia Burner souligne l’importance, pour nous, de valoriser les ressources locales, à l’instar de ce gros giraumon dont la vitalité intrinsèque est restituée par l’arrière-plan rouge. Deux éléments prennent à cet égard une importance certaine : d’abord, cette pointe, en forme de diamant, d’un fil à plomb, symbole de la présence du géomètre. Ensuite, la racine même du fruit qui n’est pas tout à fait géométrique.

Manière, pour Nadia Burner, de nous inviter précisément à sortir de notre esprit de précision scientifique afin de goûter aux fruits du monde qui ne sont jamais totalement dans l’esprit de rigueur !

Les POST-IT de Nadia Burner nous invitent enfin à nous souvenir des blessures de l’Histoire. L’esclavage est précisément l’une de ces blessures, comme en témoigne par exemple la toile énigmatique faisant référence à Moreau de SAINT-MERY. Occasion, pour l’artiste, de mettre en lumière les contradictions attachées à cet homme, à la fois abolitionniste et servant les intérêts des esclavagistes !

Occasion, pour l’artiste, de mettre en avant son engagement humaniste, soulignant la réalité d’une société aux multiples composantes !

Dans le même ordre d’idée, nous pouvons mentionner la toile intitulée : « Stèle ». Toile qui s’impose comme un hommage à tous les bagnards et forçats condamnés au travail de la pierre, symbole de tant de fracturations !

Philippe CHARVEIN, le 02/10/2024 

 

Expo solo de Nadia Burner au Créole Arts Café  à Saint-Pierre jusqu’au 2 novembre 2024

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