La possibilité du pire, l’urgence du meilleur !

— Le n° 363 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —

En quelques heures seulement, la cristallisation de notre situation coloniale s’est étalée dans des faits et gestes lourds de conséquences pratiques ou de force symbolique.

Le gouvernement le plus à droite depuis celui de Vichy, installé avec l’aide ouverte de l’extrême droite, arrive aux affaires en France. Dans sa besace, il amène quatre cadeaux empoisonnés pour les peuples coloniaux, dit d’«outre mer » : deux nouvelles victimes de la répression en Kanaky, un budget réduit de 9,2%, un ministre qui vient de s’illustrer dans le vote d’une loi provocatrice détruisant des décennies d’une paix fragile en Kanaky, l’envoi en Martinique des CRS chassés du pays suite à la révolte de Décembre 59, il y a un 65 ans.

Ce pouvoir, dont l’instabilité prévisible est évidente, baigne dans un environnement international lourd de menaces de guerre, sur une toile de fond de génocide à Gaza et en Cisjordanie, de conflit meurtrier d’Israël avec le Liban, de guerre impérialiste russe contre l’Ukraine, de montée de l’extrême droite dans le monde entier.

La résistance des peuples, la solidarité internationaliste sont aussi une réalité dont la force est encore insuffisante. La polarisation en camps ennemis que nous signalons depuis des années, se produit dans un moment où le mouvement ouvrier anticolonial et anticapitaliste ne mène pas la danse, et son idéologie critique, la pensée marxiste, ne tient pas le haut du pavé. Le pire est donc possible.

La face sinistre de Trump en est le symbole le plus éloquent. Le répit gagné en France contre Le Pen peut bien être de courte durée. La conscience de ces enjeux est une condition de la lucidité dont nous avons besoin pour avancer aujourd’hui même.

Chez nous, une frange grandissante de la population s’engouffre dans la brèche ouverte par un groupe inconnu jusque là, le RPPRAC, qui a eu le mérite, quelles que soient ses faiblesses et contradictions, de brandir l’étendard de la révolte contre la vie chère et de le tenir contre vents et marées. Tout le monde comprend bien que « l’alignement des prix des produits alimentaires et des médicaments sur les prix de « La France », ne résoudra pas la misère qui ronge les classes populaires de nos pays.

La question des prix est, les syndicats l’ont dit, liée à bien d’autres problèmes qui plongent la population dans le gouffre. Force est de reconnaître que la question d’une plate-forme populaire de lutte et d’un plan de mobilisation pour la faire aboutir, est restée là où le mouvement de février 2009 l’a laissée.

Tel qu’il est, le mouvement initié par le RPPRAC secoue le monde politique et syndical, et il faut s’en réjouir. Il faut surtout accélérer la dynamique de l’implication du mouvement syndical dans la lutte. La CDMT et la CGTM ont mis sur la table le projet d’une grève générale reconductible. La CGT dépose un préavis de grève pour jeudi. La CDMT lance un rassemblement samedi 16h à la maison des syndicats. Un groupe de mouvements politiques et associatifs, dont le GRS, appelle à une mobilisation sur les problèmes de fond des classes exploitées.

L’urgence c’est de mettre rapidement en chantier les éléments d’une stratégie revendicative unitaire. La CDMT appelait cette perspective de ses vœux, une énième fois, dans son dernier congrès. Combiner l’entrée en action des équipes militantes avec le travail pour combler les lacunes programmatiques du mouvement populaire, s’orienter, sur ces bases, en direction des couches les plus larges de la population est la tâche de l’heure.

L’écho de la mobilisation de Martinique en France, parmi les Antillais de la diaspora et bien audelà, crée les conditions pour organiser la rencontre des colères et des luttes des forces progressistes antillaises, guyanaises, kanak et françaises. De tous ces fronts de lutte, nous devons prendre de vitesse un pouvoir dominant avide de tuer dans l’œuf toutes les contestations naissantes comme son histoire le montre amplement.

La tâche est immense. Il faut pourtant oser l’entreprendre pour éviter le pire, et ouvrir un chemin vers le meilleur.

 

Une citation d’actualité

« Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers : constitution du prolétariat en classe ». Voici une petite phrase du Manifeste du Parti Communiste, de Marx et Engels qui n’a pas pris une ride, et dont nous avons bien besoin en ces temps où l’accélération de l’Histoire ne va pas sans confusions idéologiques.

D’abord, elle nous rappelle que, contrairement à la vulgate stalinienne, Marx et Engels ne prétendaient pas que le prolétariat n’avait qu’un parti. La pluralité des partis prolétariens, n’était à leurs yeux ni une aberration ni un désastre. Les partis ouvriers avaient, pouvaient, devaient avoir un but immédiat commun. On est loin de la caricature suivant laquelle le pouvoir des travailleurs/ses devrait être le pouvoir dun parti unique. Ensuite il faut s’arrêter sur la nature de ce but immédiat : constituer le prolétariat en classe. Cela souligne que ce n’est pas une donnée automatique mais une construction. Transformer la classe en soi en classe pour soi, est une tâche politique, idéologique, organisationnelle. Et cette tâche est un but immédiat incontournable.

Ce but n’est pas contraire à la recherche d’alliance avec d’autres partis, d’autres classes. Le prolétariat serait ridicule de s’isoler en permettant à l’ennemi de mieux le frapper. Mais il a tout intérêt à préserver son indépendance de classe, à se porter candidat à la direction de la société, ce qui est rigoureusement impossible s’il se met sous la houlette de classes dont les intérêts particuliers ne coïncident pas avec ceux du plus grand nombre. Dans les temps actuels, on assiste à la fois à une extension des classes subalternes et à un émiettement en statuts, en catégories, en sous groupes divers. La « constitution du prolétariat en classe » suppose alors, aujourd’hui encore plus qu’à l’époque de Marx, un travail de cohésion idéologique sans la tutelle politique d’aucune autre classe.