"Savoir, c'est pouvoir"- Francis Bacon (1597)
— Par Roland Sabra —
Le poète est fils de Vulcain et d’Orphée. La forge et la lyre.
Au levé du rideau, dans un clair-obscur, la bandéoniste sur une estrade est immobile, statufiée, sans vie sur le coté jardin de la scène. Coté cour, sur le devant, Brecht est là, massif, il dit « il faut connaître son passé, pour imaginer l’avenir ». Il s’approche de la statue, la touche de sa voix. Sous la force du verbe elle prend vie. Le dialogue entre l’instrument et le poète va se déployer tout au long de ce cabaret parlé-chanté d’un peu plus d’une heure. Ils sont du même monde, tous deux nés en Allemagne, puis exilés en Argentine, ils ont en eux une force sourde, une violence contenue, qui se dévoile dans l’effort qu’elle fait à se tapir dans l’ombre, à se maîtriser dans le dire qu’ils nous adressent.. Si l’histoire se répète de l’oubli du passé, à nous d’entendre l’avertissement de ce raccourci, osé pour qui ne sait pas, 1933-2014.
Deux jours après l’incendie du Reichstag, faussement attribué à des militants communistes, Brecht et sa famille sont contraints à la fuite. Ils seront, comme tant d’autres destitués de leur nationalité allemande. Apatrides, proscrits et déportés vers des lieux de passage, ils resteront sans foyer dans des pays qui portent le nom douloureux de l’exil.
Paroles, anecdotes, chansons, poèmes chantés ou parlés, petits récits humoristiques, rappels de faits précis dans un décor qui figure en abîme une autre scène, sur laquelle viendra prendre place Aïni Iften, l’autre complice de Serge Barbuscia s’enchaînent à un rythme plus ou moins soutenu, mais presque toujours avec bonheur, pour les petits et pour les grands. Sur une musique de Kurt Weill et des arrangements de Pascal Fodor, Yvonne Hahn, au bandonéon, dans un jeu très expressif, pieds, tête, jambes et mains mobilisés est le fil conducteur de cette longue errance si bien restituée sur l’espace mesuré du plateau.
Un spectacle déchirant et émouvant, de bout en bout, les occasions de rire ou même de sourire sont rares, tant l’insistance sur la mise en garde est forte. « Prévenir n’est pas guérir » écrit Selim Lander à propos de ce travail. Certes, mais on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas, car sans pour autant se faire les hérauts d’un théâtre à surcharge pédagogique nous rappellerons volontiers le mot de Francis Bacon ( 1561-1626), « Savoir, c’est pouvoir ». Condition nécessaire mais insuffisante.
Théâtre A. Césaire les 13, 14 et 15 mars 2014
Cie Serge Barbuscia
CREATION 2014
Spectacle de théâtre, poèmes et chansons
Mise en scène et adaptation : Serge Barbuscia
Adaptation : Aurélie Barbuscia
Avec : Aïni Iften et Serge Barbuscia
Bandonéon :Yvonne Hahn
Musique : Kurt Weill
Scénographie et lumière : Sébastien Lebert
Arrangement : Pascal Fodor