— Vu par José Alpha—
Annoncée comme la meilleure édition de la nouvelle année qui a de plus en plus difficilement du mal à se libérer des turpitudes de l’année passée, les organisateurs du rituel du carnaval martiniquais qui marque la fin des hostilités et des rigueurs subies par les populations, entrent dans la transe des préparatifs d’une nouvelle ère à la faveur de la plus grande expression populaire planétaire.
La frénésie qui s’empare alors des personnes autant que des associations antillaises, caribéennes (Haiti, Saint Domingue, Cuba …) comme au sein des Ecoles de Samba du Brésil, des associations bretonnes, méditerranéennes, africaines, asiatiques, européennes, italiennes avec la Venise de Pampiglione (Comédia delarte), annonce la déflagration sonore, imagée et imaginée qui résonnera en tous lieux placés sous la voûte céleste percée par les puissants rayons du Papa Soleil. Parce que le Soleil apporte au monde la fertilité, la lumière donc la vie.
Il parait même, selon les Dogons, comme rappelant les révélations de Grazielle Bontemps, de Loulou Boislaville et du Chaman Suffrin, pour ce citer que ceux là, que les dieux participent aux libations des peuples, dissimulés derrière les masques, les sexes et les interdits, pendant généralement huit jours si ce n’est davantage, poussant autant à la transgression des lois, qu’aux excès d’élégance, de bassesse et de bacchanale.
Parce que c’est de la fête solaire dionysiaque (Dionysos ou Bacchus) que surgit le Théâtre de l’existence. Parce que le Papa soleil explose les ombres, les esprits chagrins, les retenues, les commisérations ; il transgresse les philosophies, les éducations, désobéit aux lois pour rétablir avec malice les plus « simples » des relations interpersonnelles : l’enthousiasme et les désirs amoureux.
Alors pourquoi veut-on que l’ordre social établi prévale encore durant ces relâchements, ces défoulements, « ces manifestations diaboliques » qui sommeillent au fond de chacun jusqu’aux prochaines flèches solaires ? Ces bénéfiques rayons solaires lancés pour le plaisir de chacun, activent « la fonte des neiges », réchauffent les relations humaines, déclenchent le réveil de la nature et des sens, provoquent l’explosion de la joie et encore une fois de l’amour.
Curieux rappel du fétichisme de la nuit des temps que la liesse du «veau d’or » biblique soit associée à la manifestation de l’interdit, du péché originel occidental et certainement aux rites diaboliques dont on ne se libère que par le feu. Etranges similitudes retrouvées à travers la planète avec les luxueux costumes, les inquiétantes élégances des énigmatiques Touloulou , des Caroline ziékoki , des Mariane lapofig, des Doktè lopital, des bradjaks pétaradantes qui injurient le sort imposé par les psycho rigidités ecclésiastiques et sociopolitiques.
Il n’est de secret pour personne que les carnavaliers cherchent à offenser les Diables rouges, les Papa Legba, les Papas Diab ; ils provoquent la Mort Maitresse dont la présence polymorphe est pourtant relevée à tous les coins de rue.
Avec leurs chants, leurs masques, leurs cris, leurs bwabwas (marottes et marionnettes géantes), leurs rad kabann (guenilles), leurs diablesses, avec les corps dénudés des negs gwo siro magnifiés de sirop de mélasse, les strings ficelles, les déshabillés féminins suggestifs des « malpropres », les carnavaliers martiniquais notamment accompagnent dans un brouhaha musical et de plaintes larmoyantes, l’idole du carnaval jusqu’au bucher dressé face à la mer au vent portant sur l’horizon. Certains disent que c’est pour ramener le calme, l’unité populaire et la prospérité au pays qu’il faut jeter à la mer les cendres du Vaval imprégnées des malheurs sociopolitiques.
Le regard que nous portons aujourd’hui sur cette fête païenne, à cette explosion du chaos, à ce que nous nommons « bordel organisé », observe Manifestement une régression de la créativité et surtout des imaginaires des artistes.
Pourquoi ? Certainement parce que même les artistes dont on connait la liberté, les bénéfiques transgressions et désobéissances civiles, ont perdu aujourd’hui de leur insolence, de leur surprenante folie alternative. Ils semblent être encore une fois coincés par des philosophies délétères qui s’imposent de plus en plus à la faveur des menaces d’explosions dépressives du monde moderne pourtant déjà en pleine décrépitude ?
Sont-ils alors dépossédés de vitalité, de caractère et de fulgurance poétique pour que le dieu du Carnaval en Martinique et aussi en Guadeloupe dans la commune de Baie Mahaut je crois, soit le Chicungunya? Sont-ils donc réduits en cette nouvelle ère culturelle et touristique à répondre aux appels de la prévention, de la misère sociale et de la violence urbaine ?
Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur l’efficacité des mises en scène actives réalisées autour du moustique responsable de l’épidémie, il s’agit surtout de se poser la question essentielle partagée par de trop nombreux observateurs : Pourquoi faire du dieu de la bacchanale, de l’explosion du plaisir intergénérationnel, du wélélé populaire, un moustique porteur du Chicungunya, immobile alors que naturellement ambulant, même si esthétiquement acceptable ?
Où sont passés les symboles de la domination, des perversions sociales ou de la victoire sur la bêtise politique qui imprègnent nos relations ? Où sont passés les valorisations des dépassements, de la vanité humaine, de l’exaltation insensée, de la résistance aux lieux communs quand on baptise le dieu du carnaval 2014 Chicungunya dont la traduction est semble-t-il, la maladie de l’homme courbé, abattu et terrassé.
Peut être est-ce alors la manifestation de l’état de la société martiniquaise ? Ou alors, faut il y voir une nouvelle acceptation sociale de l’artiste en proie au doute, à la banalisation de son génie écrasé par les obligations du ventre et de la consommation ?
Et pourtant l’homme comme l’artiste a d’abord à conquérir ses dieux, je veux dire à les fixer. Qui n’a pas achevé une œuvre littéraire, un dessin, une mise en scène commencée par le hasard ? Qui n’a pas sculpté une figure de bête ou d’homme dans une racine ou dans une roche, comme si le modèle est d’abord ce qu’on entrevoit dans la racine, dans l’arbre ou dans la matière même ?
Pour ma part, je suis convaincu que le modèle est réellement caché dans la matière, dans le bois, dans la pierre, dans l’eau ou dans le souffle espiègle du Roi Vaval qui nous pénètre dès la Nativité comme une suite logique de la célébration du divin; il s’agit de le délivrer.
Les mythes sont faits pour que l’imagination les anime, nous a rabâché Albert Camus dans le Mythe de Sisyphe. Fouté difé an kannaval-la. Allumez le feu dans le carnaval n’est pas ignorer l’ordre, la sécurité et la prévention. Enfin .