— Par Jean-Marie Nol, économiste —
La situation en Guadeloupe devient pénible avec la vie chère et les difficultés financières accrues des agents économiques. Le problème de la vie chère en Guadeloupe touche particulièrement la population locale pour plusieurs raisons interconnectées à savoir d’abord une dépendance à l’importation.
La Guadeloupe importe une grande partie de ce qu’elle consomme, notamment les produits alimentaires, les matériaux de construction et les biens de consommation courante. Cette dépendance entraîne des coûts de transport élevés, qui se répercutent sur les prix. Les prix des produits importés sont souvent majorés par rapport à la métropole. L’une des premières causes est l’existence de monopoles et oligopoles. Le marché en Guadeloupe est souvent dominé par un petit nombre d’entreprises qui contrôlent la distribution des produits. Cette concentration limite la concurrence, permettant à ces entreprises de fixer des prix plus élevés. Un autre élément de taille se situe au niveau de l’inégalité des revenus. La Guadeloupe connaît un taux de chômage élevé et une grande disparité des revenus. La population locale, souvent moins bien rémunérée, subit de plein fouet les effets de la vie chère, car une plus grande partie de leurs revenus est consacrée aux dépenses de base comme l’alimentation, le logement, et l’énergie.
Tout cela ajouté au coût élevé du logement est rédhibitoire de la vie chère. Le prix des loyers et de l’immobilier en Guadeloupe est relativement élevé, en partie en raison de la rareté des terrains constructibles et de la spéculation foncière. Cela ajoute une pression supplémentaire sur le budget des ménages. Par ailleurs la fiscalité et les taxes jouent un rôle non négligeable. La TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée) est appliquée sur la plupart des produits, et bien que la Guadeloupe bénéficie d’une TVA réduite sur certains articles, la structure des taxes locales peut tout de même contribuer à l’augmentation des prix. Le dernier facteur à prendre aussi en considération est l’éloignement géographique et l’insularité qui contribuent à grever encore les coûts induits, car l’insularité entraîne des surcoûts liés à l’acheminement des marchandises.
De plus, en cas de pénurie ou de problème d’approvisionnement, les prix peuvent encore augmenter, impactant directement la population locale.Ces facteurs combinés créent un environnement où le coût de la vie est élevé par rapport au niveau de vie moyen des habitants, rendant la situation particulièrement difficile pour la population locale, surtout les plus vulnérables. Mais à notre sens le plus important dysfonctionnement de l’économie à l’origine de la vie chère est la vulnérabilité de la production locale en Guadeloupe. En effet, contrairement aux idées reçues, l’une des principales causes de la vie chère en Guadeloupe réside dans le fait que la production locale est souvent plus coûteuse que les produits importés, et ce malgré les subventions et les exonérations de l’octroi de mer. Plusieurs facteurs expliquent cette situation paradoxale et particulièrement néfastes au développement économique.
– Coût de production élevé : Les coûts de production en Guadeloupe sont particulièrement élevés, notamment à cause du prix des matières premières, de l’énergie, et de la main-d’œuvre. Les petites structures locales peinent à réaliser des économies d’échelle comparables à celles des grandes entreprises internationales, ce qui les rend moins compétitives.
– Manque de compétitivité : Les producteurs locaux sont souvent confrontés à des difficultés pour innover ou moderniser leurs outils de production. Cela limite leur capacité à réduire les coûts et à rivaliser avec les produits importés qui, eux, bénéficient de processus de production plus efficaces et à plus grande échelle.
– Problèmes logistiques internes : Bien que les produits soient fabriqués localement, leur distribution peut être coûteuse en raison des infrastructures logistiques parfois insuffisantes ou mal adaptées. Le transport des produits à l’intérieur de l’île peut aussi souffrir de problèmes d’efficacité, ce qui ajoute un surcoût.
– Concurrence déloyale des importations : Les produits importés, souvent subventionnés par leurs pays d’origine, arrivent sur le marché guadeloupéen à des prix très compétitifs. Les exonérations de l’octroi de mer ne suffisent pas toujours à compenser cette différence de prix, laissant les produits locaux à un désavantage.
– Frais fixes élevés : Les petites entreprises locales doivent supporter des frais fixes importants (loyers, assurances, charges sociales), qui se répercutent inévitablement sur le prix final des produits.
-Subventions insuffisantes ou mal ciblées : Bien que des subventions existent pour soutenir la production locale, elles sont parfois jugées insuffisantes ou mal ciblées notamment pour ce qui concerne les aides européennes. Les aides ne permettent pas toujours aux producteurs locaux de compenser leurs coûts plus élevés ou de se moderniser suffisamment pour devenir plus compétitifs.
– Consommation orientée vers l’importation : La consommation des ménages est souvent orientée vers les produits importés, perçus comme étant de meilleure qualité ou tout simplement moins chers. Cela limite le marché pour les produits locaux, ce qui réduit encore plus leur compétitivité.Cette situation conduit à un paradoxe où, malgré des exonérations et subventions, les produits locaux restent plus chers que les importations. Pour remédier à cette situation, il serait nécessaire de repenser les politiques de soutien à la production locale, d’améliorer l’efficacité logistique, et de renforcer les capacités des producteurs locaux à se moderniser et à innover. Et pour ce faire seul un changement de paradigme du modèle économique s’avère être une des solutions.
Présentement, la dégradation de l’économie en Guadeloupe soulève des questions cruciales, notamment en ce qui concerne la vie chère, qui continue d’alimenter un mécontentement croissant au sein de la population. Ce phénomène, bien que complexe, n’est pas inéluctable et mérite une analyse approfondie pour en comprendre les causes et envisager des solutions adaptées. L’économie guadeloupéenne se trouve dans une situation critique, marquée par une inflation persistante et une stagnation économique qui menacent de se transformer en une crise de grande envergure.La vie chère en Guadeloupe, comme dans d’autres territoires antillais, est une problématique enracinée dans des réalités économiques, historiques et structurelles.
Les crises mondiales récentes, telles que la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, n’ont fait qu’accentuer les tensions inflationnistes dans une région où les prix étaient déjà supérieurs à ceux de la France hexagonale. Les causes de cette inflation sont multiples, mais elles trouvent principalement leur origine dans la dépendance excessive aux importations, la faiblesse de la production locale, l’absence de régulation efficace des prix, et un nombre important d’intermédiaires dans la chaîne de distribution.Les grandes surfaces et autres acteurs économiques justifient souvent la cherté des prix par des facteurs structurels, comme l’éloignement géographique de la Guadeloupe, la petite taille de son marché, le coût du transport et l’octroi de mer. Bien que ces arguments ne soient pas dénués de fondement, ils ne suffisent pas à expliquer l’ampleur du phénomène.
Les marges pratiquées par les distributeurs, bien que selon le MEDEF et les dirigeants de la grande distribution alimentaire, comparables à celles de l’Hexagone, sont souvent pointées du doigt et nécessitent une clarification. Par ailleurs, les solutions proposées, telles que la péréquation double ou la réforme de la continuité territoriale, bien qu’innovantes, semblent difficiles à mettre en œuvre et pourraient ne pas avoir l’effet escompté sur les prix.Un autre aspect de la problématique réside dans le manque de réinvestissement des profits dans l’économie locale. Ivan Odonnat, président de l’Institut d’Émission d’Outre-mer, a récemment dénoncé cet état de fait, soulignant que la non-réinjection de l’épargne ultramarine par les banques locales constitue un frein majeur au développement économique. Ce manque d’engagement des entreprises, qui préfèrent orienter leurs bénéfices vers d’autres marchés, aggrave la situation. Pour remédier à cette situation, une nouvelle société financière de développement, voire une banque de développement, pourrait être créée pour pallier le manque d’investissements.
La colère gronde parmi les Antillais, comme en témoignent les récents appels à la mobilisation pour aligner les prix sur ceux de l’Hexagone. Mais force est de constater que cette demande est irréaliste. Cette exaspération, bien que compréhensible, soulève des enjeux économiques délicats. En 2009, les blocages avaient conduit à des faillites d’entreprises et à un départ massif des investisseurs. Aujourd’hui, la Guadeloupe se trouve confrontée à un danger encore plus grave : la stagflation, un phénomène qui combine une inflation élevée avec une stagnation économique, semble s’installer durablement.Les perspectives économiques pour la fin de l’année 2024 sont des plus sombres.
La dégradation du climat des affaires, la multiplication des défaillances d’entreprises, et la détérioration continue du pouvoir d’achat des ménages sont autant de signes alarmants. L’INSEE a déjà relevé une diminution de l’activité économique de l’île de 0,5 % au deuxième trimestre 2024, alors que la France dans son ensemble enregistrait une légère progression.L’une des raisons de cette dégradation est la baisse de la consommation, notamment touristique, qui est cruciale pour l’économie locale. La Guadeloupe dépend fortement des touristes, dont le nombre et le pouvoir d’achat sont en baisse.
Les entreprises locales sont fortement interdépendantes, notamment à travers les réseaux de grande distribution et les transports, ce qui rend la situation encore plus préoccupante. De plus, les entreprises guadeloupéennes sont confrontées à un mur de dettes avec les PGE, ce qui accélère la crise. La baisse du chiffre d’affaires, combinée à l’accroissement des coûts des matières premières, crée un effet ciseau qui raréfie la trésorerie disponible. De nombreuses entreprises se retrouvent ainsi en situation de sauvegarde préventive, de redressement, voire de liquidation judiciaire. La Guadeloupe n’est plus compétitive et peine à se vendre, ce qui renforce le besoin urgent d’un nouveau modèle économique.Pour surmonter ces défis, il est crucial de restructurer financièrement les entreprises et de trouver de nouveaux débouchés notamment par le biais de la petite industrie agroalimentaire. Cela nécessite de réinventer les stratégies d’entreprise, d’adapter les produits et services, et de diversifier les sources de financement.
La faible taille des sociétés locales et leur dépendance à l’égard des services publics et du tourisme rendent cette tâche ardue, mais indispensable.En attendant, la situation économique en Guadeloupe continue de se dégrader, avec une augmentation prévisible des taux de chômage. Le salut pourrait venir d’une réinvention collective du modèle économique, avec un investissement dans la production locale et le développement de nouvelles infrastructures. Il est également essentiel de réviser des mesures comme le Bouclier Qualité Prix (BQP) et d’améliorer les dessertes maritimes pour réduire les coûts d’importation.En définitive, la vie chère en Guadeloupe n’est pas une fatalité si l’on prend à bras le corps la problématique de la production locale. Elle résulte de facteurs structurels et historiques qui, bien que difficiles à modifier, peuvent l’être avec une volonté politique forte et une coordination efficace entre l’État, les collectivités locales et les acteurs économiques. Les Antilles ne peuvent plus se contenter de promesses non tenues ; des actions concrètes sont attendues pour répondre aux aspirations légitimes des populations locales. Si rien n’est fait, les mêmes débats stériles sur les causes du mal développement risquent de se répéter dans dix ans, sans que rien n’ait véritablement changé. La Guadeloupe a besoin d’une refonte profonde de son modèle économique, centrée sur l’innovation, les énergies renouvelables, et le soutien à l’entrepreneuriat local. C’est une nécessité urgente pour sortir du cercle vicieux de la vie chère, du déclin économique, de la dépendance financière, et bâtir un avenir plus juste et durable pour les générations futures.
« Apré fèt, sé graté tèt ».
Traduction littérale : Après la fête, on se gratte la tête.
Moralité : Les difficultés financières surviennent souvent après la fête…
Jean-Marie Nol, économiste