L’autonomie en question ?

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

L’autonomie des territoires d’outre-mer est aujourd’hui remise en question par certains experts politologues , et la situation en Nouvelle-Calédonie en est un exemple frappant. Ce territoire français, autrefois prospère à cause de l’industrie du nickel aujourd’hui en faillite et souvent cité comme modèle de développement dans la région, se trouve désormais au bord du gouffre, englué dans une crise économique, sociale et politique profonde. En Nouvelle-Calédonie, c’est toute la filière nickel la principale ressource qui est en difficulté. Mais la première fermeture est celle de l’usine du Nord .Le problème du nickel calédonien, c’est qu’il coûte trop cher. Le coût de l’énergie, le coût de la main d’œuvre est élevé. L’usine du Nord géré par les indépendantistes kanaks fermera donc ses portes le 31 août laissant près de 2000 personnes sur le carreau . C’est un nouveau coup dur pour l’économie calédonienne, déjà exsangue avec plus de 20000 chômeurs supplémentaires, et la fin d’un rêve pour certains indépendantistes, qui voyaient dans le nickel la clef de l’émancipation. Et derrière la fermeture de l’usine du Nord, c’est bien un rêve qui se brise pour les Kanak et un choc politique et social terrible.Cet échec apparent de l’autonomie, acquise après des décennies de luttes, laisse présager un avenir incertain pour les autres territoires d’outre-mer qui aspirent à plus d’autonomie.

La Nouvelle-Calédonie, avec ses atouts touristiques de paysages paradisiaques et sa population d’environ 270 000 habitants, a longtemps été un symbole de tentative de décolonisation dans le Pacifique Sud. Pourtant, les récents événements ont révélé la fragilité de cette volonté d’autodétermination du peuple Kanak . Le territoire est aujourd’hui confronté à une situation économique catastrophique, marquée par un chômage galopant dû à la destruction de plus de 800 entreprises et l’arrêt progressif des aides publiques. Le système de santé est en crise, les aides sociales s’amenuisent, et l’insécurité augmente. Cette dégradation générale a conduit à des troubles sociaux d’une violence inédite, culminant avec graves troubles  qui a fait onze morts et causé des destructions économiques importantes.

Face à cette situation, le gouvernement local, désemparé, a dû se résoudre à demander l’aide de l’État français. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie a ainsi voté une résolution sollicitant une aide d’urgence de 500 milliards de francs Pacifique (environ 4,2 milliards d’euros) pour financer la reconstruction du territoire. Cette demande s’accompagne de l’exigence de créer un comité interministériel à Paris pour gérer une crise qui dépasse désormais les capacités des autorités locales. Pour le moment, cette requête financière semble avoir été balayé d’un revers de main par le gouvernement français au motif que la compétence du développement économique est du ressort exclusif du gouvernement autonome local. L’ampleur de la crise en Nouvelle-Calédonie n’est pas seulement le résultat de circonstances récentes. Elle découle de causes profondes, notamment l’effondrement de l’économie locale, la montée des tensions sociales et la paralysie d’un gouvernement local incapable de faire face aux défis auxquels il est confronté. Les divisions internes au sein du mouvement indépendantiste ont également affaibli la capacité de ce dernier à gérer le congrès du territoire de manière cohérente. Le récent échec de Roch Wamytan, figure emblématique de la politique indépendantiste, à conserver la présidence du Congrès de Nouvelle-Calédonie, illustre bien cette perte d’influence.Roch Wamytan, qui occupait cette fonction sans discontinuer depuis 2019, a été évincé au profit de Veylma Falaeo, une femme issue du petit parti de l’Éveil océanien (EO). Ce changement a été rendu possible par un report des voix des non-indépendantistes, signe d’un rééquilibrage des forces politiques dans le territoire. Le soutien de l’Éveil océanien, jusqu’alors allié des indépendantistes, est une perte majeure pour ces derniers. Le basculement de l’EO, qui prône une « voie médiane » entre indépendance et maintien sous souveraineté française, est interprété comme une prise de distance stratégique, un reproche implicite aux indépendantistes d’avoir trop focalisé leurs efforts sur la lutte pour l’indépendance au détriment de la question économique et des avancées sociales. Pour les non-indépendantistes, la victoire de Veylma Falaeo est une bouffée d’oxygène dans un climat politique extrêmement tendu.

Ils critiquent la gestion de Roch Wamytan, notamment son rapprochement controversé avec l’Azerbaïdjan, et voient dans cette élection un signe que les équilibres politiques en Nouvelle-Calédonie sont en train de changer.Mais la question demeure : cette défaite des indépendantistes au Congrès signifie-t-elle l’échec de l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie ? Si elle affaiblit indéniablement la position des indépendantistes, elle ne marque pas nécessairement l’échec complet de l’autonomie. Ce revers pourrait inciter à une reconfiguration des alliances politiques et à une réflexion plus approfondie sur la gouvernance du territoire. L’autonomie en Nouvelle-Calédonie, conçue pour offrir un compromis entre les aspirations indépendantistes et la réalité d’une société plurielle, montre aujourd’hui ses limites , et ce à tel point que Sonia backes une dirigeante loyaliste influente veut aujourd’hui la partition du territoire sous prétexte que le vivre ensemble n’est plus possible entre kanaks et Caldoches . Les dissensions internes et la fatigue d’une population lassée des luttes politiques qui retardent le progrès social et économique sont autant de signes que l’autonomie, telle qu’elle est appliquée, ne répond plus aux attentes.Les conséquences de cette crise ne se limitent pas à la Nouvelle-Calédonie. En Polynésie française, où le contexte est différent mais où les aspirations indépendantistes gagnent du terrain, l’échec calédonien suscite des inquiétudes. Le récent vote en faveur des députés indépendantistes en Polynésie témoigne d’une possible désillusion vis-à-vis du statut d’autonomie, adopté en 2004. Ce statut, censé offrir un équilibre entre autodétermination et sécurité apportée par le lien avec la France, semble aujourd’hui remis en question par une partie de la population polynésienne. Les défis économiques, l’insatisfaction générale et le désir de revalorisation des cultures autochtones sont autant de facteurs qui poussent les Polynésiens à reconsidérer leur avenir. L’autonomie n’a pas nécessairement amélioré les conditions de vie des polynésiens avec une vie très chère , et la dépendance aux aides françaises reste très forte. Le vote indépendantiste pourrait ainsi refléter une volonté de changement face à un modèle d’autonomie jugé insuffisant.

Toutefois, le soutien à l’indépendantisme en Polynésie ne signifie pas un rejet total de l’autonomie actuelle. Il traduit plutôt une frustration accumulée et une recherche de solutions alternatives. La situation en Polynésie est donc plus nuancée que celle de la Nouvelle-Calédonie, mais elle n’en reste pas moins inquiétante pour l’avenir de l’autonomie dans les territoires d’outre-mer.En réalité , l’autonomie, si elle est mal conçue ou mal appliquée, peut conduire à des situations de crise profonde, comme en témoigne la situation en Nouvelle-Calédonie. Les leçons à tirer de cet échec doivent être prises en compte par d’autres territoires, tels que la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique, qui aspirent à une plus grande autonomie. La priorité, pour l’heure, reste la survie économique et la stabilisation sociale  de ces territoires en proie à de grandes difficultés , qui nécessitent encore quoiqu’il en soit une solidarité nationale accrue et à court -moyen terme des réformes en profondeur du modèle économique et social actuel pour éviter une dérive vers le chaos.C’était déjà bien dit par aimé Césaire au moment du moratoire ; j’approuve sa prudence : Il était expérimenté, et  savait que la prudence est mère de la sûreté.

 » Chak bèf kònèt pikèt ayo « 

Traduction littérale :Chaque bœuf connaît son piquet. Moralité :Que chacun reste à sa place.

 

Jean-Marie Nol économiste