— Par Jean Samblé —
Le 1er décembre 1944, au camp militaire de Thiaroye, près de Dakar au Sénégal, des tirailleurs africains ont été massacrés par des officiers français alors qu’ils réclamaient le paiement de leurs arriérés de soldes. Soixante-dix-neuf ans plus tard, six de ces tirailleurs viennent d’être reconnus « morts pour la France » à titre posthume, marquant une avancée mémorielle significative dans l’histoire franco-africaine.
Cette décision, prise le 18 juin par l’Office national français des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG), concerne quatre tirailleurs sénégalais, un ivoirien et un de la Haute-Volta, actuel Burkina Faso. Ce geste, inscrit dans le cadre des commémorations des 80 ans de la libération de la France et des événements de Thiaroye, est un pas vers la reconnaissance officielle de cette tragédie.
Le massacre de Thiaroye demeure un sujet sensible et controversé. Selon les autorités françaises de l’époque, au moins 35 tirailleurs ont été tués, mais des historiens estiment ce chiffre beaucoup plus élevé. Les lieux d’inhumation, que ce soit dans des tombes individuelles ou des fosses communes, restent également incertains, alimentant le traumatisme et le souvenir vivace de cet événement au Sénégal et sur le continent africain.
L’ancien président français François Hollande avait déjà rendu hommage aux victimes de Thiaroye en 2014. Aujourd’hui, cette nouvelle reconnaissance s’inscrit dans la politique mémorielle d’Emmanuel Macron, qui souhaite que la France affronte pleinement son passé colonial.
Pour Aïssata Seck, présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais, cette décision est une étape essentielle vers l’apaisement. Elle appelle également à des fouilles archéologiques pour déterminer le nombre exact de victimes et identifier leurs tombes, afin de rendre un hommage approprié à chaque soldat.
Cependant, cette reconnaissance par la France suscite des réactions mitigées. Le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a critiqué la démarche française, rappelant que ce n’est pas à la France de fixer unilatéralement le nombre de victimes et les modalités de reconnaissance et de réparation. Il a insisté sur le fait que le Sénégal donnera désormais un nouveau sens à ce douloureux souvenir lors des célébrations du 80e anniversaire de Thiaroye cette année.
Martin Mourre, historien spécialiste des tirailleurs sénégalais, souligne l’importance de cette décision sur les plans politique et diplomatique. Il voit dans ce geste un acte de diplomatie mémorielle entre la France et le Sénégal, un effort pour apaiser les relations franco-africaines malgré les zones d’ombre qui subsistent autour du massacre de Thiaroye.
En fin de compte, cette reconnaissance posthume de six tirailleurs africains « morts pour la France » représente un pas vers la justice historique et la réconciliation, bien qu’il reste encore beaucoup à faire pour éclaircir pleinement les événements de Thiaroye et honorer toutes les victimes de cette tragédie.