L’étrange cécité des élites antillaises incapables d’assumer un mea culpa salvateur !

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

L’éclatement de l’identité antillaise est souvent évoqué pour expliquer une partie du mal-développement et du malaise politique et identitaire persistant qui touche la Guadeloupe et la Martinique. Dans les périodes de tourmente, quand la démocratie vacille depuis la dissolution de l’Assemblée nationale et la possibilité de l’extrême droite d’arriver au pouvoir dans les prochaines années, il est de grands livres dans lesquels il est revigorant de se replonger. Pour retrouver de l’espoir quand l’heure n’en fournit guère, pour prendre de la hauteur et savoir faire un mea culpa au lieu de rechercher des boucs émissaires. Connaît-on vraiment la responsabilité des élites antillaises dans les mauvaises performances du système économique en Guadeloupe et Martinique ?

À travers le constat et l’analyse approfondie de la situation socio-économique et politique de ces îles,  il faut nécessairement explorer les causes et les conséquences de l’origine du chômage de masse, de l’exode des jeunes, du manque de perspectives locales, et de l’influence persistante des séquelles du colonialisme français sur la neuropsychologie des élites antillaises. Malgré leur statut de départements français d’outre-mer, ces îles présentent des caractéristiques économiques et sociales distinctes de celles de la France hexagonale. Le taux de chômage, notamment chez les jeunes, est nettement supérieur à la moyenne nationale. Selon l’INSEE, en 2023, le taux de chômage des jeunes de 15 à 29 ans atteint 41,6% en Guadeloupe et 37,4% en Martinique, contre 20% en France hexagonale. Cette situation de précarité pousse de nombreux jeunes à quitter leurs îles natales en quête de meilleures opportunités. L’attrait des perspectives d’emploi et de formation en « métropole » ou à l’étranger est un facteur clé de cet exode massif. Beaucoup d’entre eux ne reviennent jamais, aggravant le phénomène de « fuite des cerveaux » qui prive les Antilles de leur jeunesse dynamique et bien éduquée.

La persistance des structures de pouvoir héritées du colonialisme français est souvent citée pour expliquer les blocages économiques et les handicaps sociaux dans les Antilles. Certes, c’est vrai que les postes à responsabilité, tant dans le secteur public que privé, sont majoritairement occupés par des métropolitains. Cette domination des cadres métropolitains sur les fonctions stratégiques crée un sentiment d’exclusion parmi les Antillais et freine quoiqu’il en soit l’émergence de leaders locaux.En outre, les grands groupes opérant aux Antilles sont souvent détenus par des sociétés françaises. Cette concentration des pouvoirs économiques et décisionnels dans les mains des « békés » et des personnes de la « métropole » depuis la colonisation et qui perdure sous le régime de la départementalisation, limite les possibilités de développement endogène et renforce les inégalités sociales et économiques. Les secteurs clés comme la grande distribution, les télécommunications et les infrastructures sont largement contrôlés par des entreprises métropolitaines, ce qui empêche l’émergence d’entrepreneurs locaux et réduit les marges de manœuvre pour une économie plus résiliente. Les conséquences de cette situation sont particulièrement visibles chez la jeunesse antillaise. Le manque de perspectives professionnelles locales entraîne un désintérêt pour l’éducation et favorise le décrochage scolaire et au bout l’échec scolaire. En 2022, le taux de décrochage scolaire en Guadeloupe et en Martinique était respectivement de 19% et 16%, des chiffres largement supérieurs à la moyenne nationale de 8,2%. Ce désenchantement face à l’avenir se traduit souvent par une montée de la violence et de l’oisiveté. Les jeunes qui restent, confrontés à un marché du travail saturé et à des perspectives d’avenir limitées, sont plus susceptibles de se tourner vers des activités illégales ou de sombrer dans l’oisiveté et l’inactivité, et pour cause très souvent ils ne veulent pas travailler, en raison entre autres de l’assistannat mortifère de leurs parents.

La violence urbaine et les comportements délinquants augmentent, alimentant un cercle vicieux de précarité et de désespoir. Certains intellectuels et hommes politiques attribuent ces problèmes aux séquelles du colonialisme et à la gestion métropolitaine des affaires antillaises. Ils appellent non pas à une décentralisation plus poussée avec l’octroi d’habilitation générale pour permettre l’adoption de lois pays possible dans le cadre de l’article 73 de la constitution, mais à une plus grande autonomie des institutions locales dans le cadre de l’article 74 pour permettre un développement plus adapté aux réalités antillaises. Cependant, cette ambition soulève des questions cruciales sur la capacité réelle des dirigeants locaux à assumer de nouvelles compétences, surtout lorsque l’on constate la gabegie actuelle en matière de gestion des transports, des réseaux d’assainissement et d’eau, domaines où les carences actuelles sont déjà flagrantes.L’autonomie sans ressources financières supplémentaires apparaît comme une entreprise risquée. La gestion des services publics, le soutien aux secteurs économiques en difficulté, et la lutte contre l’insécurité nécessitent des investissements significatifs et une gouvernance locale efficace. Les défis posés par la situation économique et sociale actuelle rendent d’autant plus difficile la mise en œuvre d’une autonomie qui pourrait, sans les moyens financiers adéquats, aggraver la situation plutôt que l’améliorer. Au lieu de brandir des chimères, il est plutôt crucial à notre sens de promouvoir l’éducation et la formation professionnelle en accord avec les besoins du marché local. Le soutien aux initiatives entrepreneuriales locales, notamment dans des secteurs comme le tourisme de haut de gamme et durable, l’agriculture biologique ainsi que les investissements dans le secteur de l’agroalimentaire, et les énergies renouvelables, pourrait créer des emplois et dynamiser l’économie. La valorisation de la culture et la redéfinition à partir d’une hybridation de l’identité antillaise est essentielle pour redonner confiance aux jeunes et renforcer le sentiment d’appartenance. Les politiques culturelles doivent encourager la création artistique et littéraire locale, et les médias doivent jouer un rôle actif dans la promotion des réussites professionnelles antillaises.La responsabilité du mal-développement ne saurait être mise seulement sur les séquelles de l’esclavage et du colonialisme, mais incombe aujourd’hui en grande partie à l’élite intellectuelle, politique, syndicale, et économique des Antilles françaises. Cette élite semble aveugle à ses propres responsabilités, préférant souvent se réfugier derrière des excuses historiques plutôt que d’affronter de front les défis actuels de la mutation du monde et de la quatrième revolution technologique de la robotisation et de l’intelligence artificielle.

Les activités productives purement manuelles n’existeront pratiquement plus. Il faut un minimum de compétences intellectuelles qui font défaut à bon nombre de jeunes qui accèdent au marché de l’emploi. Des chercheurs antillais ont fait la démonstration à des formateurs de jeunes pour un diplôme bac+3 que certains apprenants étaient au niveau CE1 (test à l’appui en orthographe, grammaire, compréhension de l’écrit). Des apprenants qui avaient le bac. Cette situation inquiétante révèle les défaillances profondes du système éducatif antillais, incapable de préparer efficacement les jeunes au marché du travail moderne.Ne parlons même pas de ceux qui n’ont aucun diplôme et qui semblent se complaire dans l’oisiveté et les paradis artificiels. Comment peut-on les insérer ?
Mais on peut être perplexe quand on lit que l’éducation nationale jette à la rue autant d’élèves. Que peut-on faire contre la volonté de certains qui, malheureusement, n’ont pas eu la chance d’avoir de leurs géniteurs une bonne éducation, un accompagnement paternel et qui abandonnent l’école en se tournant vers des chemins de travers ? Ne demandons pas trop aux professeurs même démissionnaires et à l’État,  quand c’est la déliquescence du tissu social qui est en cause à l’origine des maux.

Le problème de la Guadeloupe et de la Martinique n’est ni social, encore moins sociétal en dépit du malaise identitaire actuel, mais quasi exclusivement d’origine économique. Toutes les problématiques liées au mal-développement et au malaise identitaire des Antilles relèvent de la mauvaise orientation de l’économie antillaise. L’épargne en Guadeloupe et Martinique s’élève à environ 6 milliards d’euros et pourtant cette épargne n’est pas orientée vers le développement économique comme dans d’autres pays.

Et que dire de l’imposant patrimoine immobilier de beaucoup d’Antillais de la classe moyenne qui préfèrent investir dans la pierre en France hexagonale, une manne qui pourrait être potentiellement mobilisée pour le développement à travers un investissement de nature patriotique dans une société financière de développement ?

Dans ce contexte de crise multidimensionnelle, pour fuir leurs responsabilités, les élus de la Guadeloupe et Martinique prônent un processus d’autonomie et cèdent aux sirènes d’une idéologie du passé découlant du tiers mondisme. Il est temps pour les élites antillaises d’assumer un véritable mea culpa, de reconnaître leurs échecs et de s’engager résolument dans une voie de réformes profondes de l’économie. Cela implique une réorientation des ressources financières et des atouts économiques locaux vers le développement, une révision radicale du système éducatif pour qu’il soit en phase avec les exigences contemporaines, et une prise de conscience collective de la nécessité d’une éducation parentale solide.L’éclatement de l’identité antillaise, exacerbé par l’héritage colonial et la gouvernance métropolitaine, est un facteur clé du mal-développement de la Guadeloupe et de la Martinique. L’exode des jeunes, le décrochage scolaire et la violence urbaine sont des symptômes de ce malaise profond. Pour inverser cette tendance, il est impératif de repenser les politiques économiques et sociales en faveur d’un développement plus endogène et inclusif, qui redonne espoir à la jeunesse antillaise et valorise les richesses locales à partir d’un nouveau modèle économique et social. La Guadeloupe et la Martinique ne peuvent plus se permettre de continuer sur la voie actuelle sans risquer un effondrement social et économique. Les élites doivent cesser de se voiler la face et prendre leurs responsabilités pour guider ces territoires vers un avenir prospère et durable. Le temps des excuses est révolu ; place à l’action et à la responsabilisation, sinon c’est la radicalisation et le syndrome Calédonien de la terre brûlée qui  guettent les Antilles beaucoup plus rapidement qu’on ne le pense.

En nouvelle Calédonie qui s’avère largement autonome, l’on peut noter que depuis le début de la crise, le 13 mai dernier, à date, ce sont :
– 11 morts ;
– Un coût actuel de la crise de 2,2 milliards d’euros équivalent à 24% du PIB de la Nouvelle-Calédonie, soit un coût équivalent de 682 milliards d’euros à l’échelle de l’hexagone ;
– 900 entreprises détruites, soit l’équivalent de 226 000 entreprises dans l’hexagone ;
– 4000 véhicules incendiés, soit l’équivalent de 830 000 véhicules détruits à l’échelle hexagonale ;
– 24 000 destructions d’emplois anticipées dans le secteur privé, pour 68 000 emplois privés ;
– 8000 élèves déscolarisés, soit l’équivalent de 1,6 millions d’élèves à l’échelle de l’hexagone
– 3 usines de nickel menacés de faillite dont déjà près de 2000 licenciement dans l’industrie du nickel dont la fermeture probable de la province Nord tenu par les indépendantistes kanaks. Qui pourrait supporter cela à l’échelle des Antilles ?

Mais ne nous faisons aucune illusion,car les sages et les visionnaires ne sont souvent pas écoutés pour plusieurs raisons, même lorsqu’ils sont clairvoyants sur les événements à venir. En somme, les gens ont tendance à résister au changement, surtout si cela implique de modifier des croyances profondément ancrées ou des habitudes confortables. Les prédictions des visionnaires peuvent souvent sembler perturbatrices ou menaçantes pour l’ordre établi. Les idées visionnaires peuvent paraître trop avant-gardistes ou improbables pour être prises au sérieux. Il est difficile pour beaucoup de personnes aux Antilles de concevoir des réalités qui s’écartent trop de leur expérience actuelle. Souvent, les prédictions des visionnaires manquent de preuves tangibles au moment où elles sont formulées. Les gens ont tendance à se fier aux preuves concrètes du désastre annoncé et aux résultats mesurables plutôt qu’à des prédictions basées sur des intuitions ou des observations subtiles. Nos élus et élites auraient pu passer un palier depuis longtemps mais ne le font pas, c’est vraiment dommage !

« Fò ou mankyé néyé pou apwann najé »

Traduction littérale : Il faut avoir manqué de se noyer pour apprendre à nager.
Moralité : C’est en s’approchant très près du danger qu’on apprend à le maîtriser
C’est en forgeant qu’on devient forgeron.