— Par Michèle Bigot —
Le 13 mai 1938 paraît dans les kiosques français un hebdomadaire intitulé L’Os à moelle. Quatre pages, d’apparence sérieuse, mais entièrement dédié au non-sens , « Organe officiel des loufoques » selon son éditorialiste. Absurde, délirant , l’hebdomadaire ne tarde pas à essuyer des critiques acerbes, en un temps où la plaisanterie dérangeait l’esprit de sérieux dont on sait où il a mené la France. Pourtant le succès fut également considérable, 400 000 exemplaires s’arrachent la première semaine. L’hebdomadaire regorge de petites annonces loufoques , d’articles désopilants , de reportages fantaisistes, d’incongruités en tout genre, de maximes à toute épreuve: L’artichaut est la plus nobles conquête de l’homme après l’arrosoir. Pierre Dac se moque de tout et son sens de l’absurde vise à miner l’idéologie fasciste qui menace. Il entre même ouvertement en résistance en raillant Hitler: ainsi cette annonce: On recherche: recherchons mort ou vif le dénommé Adolf, taille 1m.47, cheveux bruns avec une mèche sur le front. Signes particuliers: tend toujours la main, comme pour voir s’il pleut. Signe spécial, le seul le rapprochant un peu d’un être humain: moustache à la Charlot. Énorme récompense.
Le 7 juin 1940, le journal publie son dernier numéro. Une semaine plus tard, les Allemands entrent dans Paris et Pierre Dac entre en résistance, après avoir été arrêté plusieurs fois par le régime de Vichy.
Anne-Marie Lazarini a eu l’excellente idée de remettre ce journal à l’honneur en proposant au plateau des extraits de ses meilleures pages, de celles qui font singulièrement écho à la montée du fascisme en France et plus généralement en Europe. Toujours aussi décapant, l’humour de Pierre Dac n’a pas pris une ride et son texte est porté de façon parfaitement réjouissante par trois comédiens, Cédric Colas, Emmanuelle Galabru et Michel Ouimet. Il font alterner, recettes de cuisine bidons, maximes loufoques, petites annonces farfelues pour notre plus grande joie. Le comique de Pierre Dac n’a rien perdu de sa force subversive, fidèle à la vraie vocation du comique qui est de bousculer sans ménagement l’ordre établi, d’autant plus que cet ordre repose sur la discrimination, le racisme et l’intolérance politique.
C’est vraiment la fête, et combien c’est réjouissant et nécessaire face au péril qui nous menace à nouveau. Précipitez-vous pour voir ce spectacle, applaudi avec enthousiasme.
Michèle Bigot
D’après Pierre Dac. Un projet imaginé et mis en scène par Anne-Marie Lazarini.
Avec Cédric Colas, Emmanuelle Galabru et Michel Ouimet.
Festival d’Avignon off 2024
Théâtre Le Petit chien
29.06>21.07