— Par Guy Pollier —
Où tout a commencé ! Un lundi comme un autre, un 13 pour les superstitieux, ou rien ne laissait présager que la douceur de vivre de ce magnifique territoire du bout du monde allait être le théâtre d’une première nuit cauchemardesque ou dès le coucher du soleil la folie des hommes allait embraser la douceur d’une nuit de fin d’été en remettant en cause un processus de pacification commencé il y a tout juste 36 années. Au lendemain des douloureux événements aux cicatrices indélébiles. Avec le temps et l’espoir né du pacte scellé entre des hommes de bonne volonté, ou chacun s’était approprié un morceau du devoir faire vivre ce désir de construire un avenir commun. Dont il fallait valider chaque étape pour tendre vers une citoyenneté calédonienne partagée.
De grandes espérances s’étaient petit à petit mises en place, dans un contexte économique souriant et porteur de meilleures conditions de vie.
En trompe l’œil cependant, que j’avais qualifié de mirage calédonien *, car au-delà des projets pharaoniques entrepris pour l’exploitation du Nikel qui par ruissellement ont apporté travail et confort, les politiques qui se sont succédés à la tête du territoire n’ont pas su anticiper la crise de cette richesse naturelle et initier des alternatives solides pour accompagner une construction harmonieuse et sécuritaire pour tous.
Et pourtant ils ont eu le temps pour eux et les quasis plein pouvoirs pour organiser une société autonome. Autant de pouvoirs pour ne rien en faire de solide et de durable. Gestion territoriale autonome, de l’énergie, maitrise de l’éducation, propres organismes sociaux au niveau de la santé, de la retraite, du chômage et pouvoir de légiférer sur tous les sujets, en dehors des pouvoirs régaliens réduits. Ce modèle est aujourd’hui en ruines.
La Nouvelle Calédonie n’a jamais été autant dépendante.
En faisant appel à la mise sous tutelle de l’état de ces organismes en faillite, qui ne pourront plus assurer les besoins les plus élémentaires d’une population en déshérence et en grande souffrance dans un isolement mortifère.
C’est dans ce contexte que j’ai pu quitter le territoire au 36 ème jour, pour un voyage de 36 heures vers Paris en évitant tous les dangers érigés, tant sur place que dans l’espace aérien, ou la seule porte de sortie passe par le survol du pôle nord, le seul endroit ou le dégel, bien que prédit, n’est pas d’actualité.
Comment ne pas penser au-dessus du détroit de Béring à tous ces hommes et ces femmes, abandonnés à leur triste sort.
Un certain nombre d’entre eux que j’ai pu côtoyer lors de ce trajet vivaient douloureusement ce drame en temps réel, en ayant tout laissé (travail, maison, souvenirs heureux) pour préserver leurs jeunes enfants témoins, dans une incompréhension totale du désarroi de papa /maman.
Laissant leurs amis dans cette prison à ciel ouvert, offerte à toutes les convoitises des grands de ce monde, obsédés par le projet d’étendre leur hégémonie en récupérant la richesse Nikel qu’ils sauraient exploiter, avec ou sans les protagonistes revendiquant la légitimité d’une citoyenneté calédonienne. Quel gâchis !
Pire est aujourd’hui l’indifférence qui s’est installée, et bientôt l’oubli d’une métropole arque boutée sur ses propres vicissitudes et déchirements qui n’offrent aucune garantie sur les aides à attendre pour colmater rapidement à défaut de reconstruire.
Je ne parle pas des médias qui passent d’un sujet à l’autre, en apportant de l’huile sur le feu, par des analyses superficielles, parcellaires et romancées.
Qui n’hésitent pas pour certains à qualifier de martyrs des délinquants haineux qui ont manipulé une jeunesse en perte de repères et ruinés en quelques heures le destin de ce fabuleux territoire du Pacifique Sud.
1,5 milliards de dégâts matériels, 20 000 chômeurs liés à la destruction, réelle et induite, de 2200 entreprises et autant de familles complètement démunies et promises à des conditions de survie.
Et tout ça au nom d’une revendication identitaire, disputée par les 2 camps, mal évaluée par le pouvoir central, dont la majorité des calédoniens ne se sentaient pas porteurs. Au diable les drapeaux et les oriflammes.
L’escalade verbale des premiers jours s’est hélas transformée en torrent de larmes, de sang et de désespoir.
Jusqu’à qu’un éventuel 36 du mois suivant puisse transformer la flamme de l’espérance en droit de vivre en paix.
Un avenir qu’avaient imaginé, Jean-Marie Tjibaou, Jacques Lafleur et un certain Michel Rocard, cet inlassable réformateur sollicitant l’appel à la responsabilité au dialogue et à l’action au service de tous et non pas d’intérêts particuliers.
Un tel destin doit nous interpeler très fort dans un contexte de grande instabilité de notre monde, qui nous invite à la vigilance et à la concorde nationale pour anticiper tous les dangers (ouragans, séismes, conflits de voisinage, narcotrafics, guerre..) et résister à la faiblesse de croire à notre capacité de peser seul sur notre devenir.
Au risque de tomber au 36ème dessous.