…conformément à la Constitution de 1987
— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —
Liminaire
Le présent « Plaidoyer pour l’établissement du Forum national sur l’aménagement des deux langues officielles d’Haïti conformément à la Constitution de 1987 » est un document de projet et les institutions et personnalités mentionnées le sont à titre indicatif. Ces institutions et personnalités mentionnées seront incessamment invitées à contribuer à la réalisation du Forum. Le présent document de projet consigne l’argumentaire définissant (1) la nature du Forum, (2) la mission et les objectifs du Forum, (3) l’identification des partenaires potentiels, (4) le financement du Forum, (5) la proposition de composition du Comité de pilotage et de suivi du Forum, (6) le mode de fonctionnement du Forum et l’adoption des résolutions finales, (7) la date proposée pour la tenue du Forum. Les résolutions adoptées durant le Forum feront l’objet d’un cahier des charges rédigé par le Comité de pilotage et de suivi et qui sera ensuite soumis à l’État haïtien.
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Nature du Forum
Le Forum national sur l’aménagement des deux langues officielles d’Haïti conformément à la Constitution de 1987 est un espace inclusif d’échanges et d’analyse de la problématique linguistique haïtienne sous l’angle particulier de l’aménagement des deux langues officielles d’Haïti conformément à la Constitution de 1987, dans l’espace public et dans le système éducatif national —en priorité mais de manière non limitative puisque celui-ci doit faire partie du cadre de Politique publique dans tous les domaines d’expression et de communication du gouvernement et de l’État haïtien. Il constitue un espace inclusif d’échanges et d’analyse entre les linguistes et les non-linguistes, les enseignants et leurs associations professionnelles, les directeurs d’écoles, les rédacteurs et éditeurs de manuels scolaires ainsi que les cadres du ministère de l’Éducation nationale. Ce Forum est conçu au titre d’un espace rassembleur où les différents intervenants de la société civile et de l’écosystème éducatif haïtien sont invités à une commune réflexion devant déboucher sur l’élaboration de propositions concrètes à adresser à l’État haïtien.
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Mission et objectifs du Forum
Le Forum a pour mission d’élaborer une vision consensuelle et partenariale de l’aménagement des deux langues officielles d’Haïti conformément à la Constitution de 1987 et cette vision sera consignée dans une proposition exploratoire de Loi d’aménagement linguistique de la République d’Haïti. Son objectif central est (a) l’adoption de résolutions exprimant une vision consensuelle et partenariale de l’aménagement des deux langues officielles d’Haïti conformément à la Constitution de 1987, ainsi que (b) l’élaboration de propositions concrètes à adresser à l’État haïtien, notamment une proposition exploratoire de Loi d’aménagement linguistique de la République d’Haïti définissant l’aménagement des deux langues officielles d’Haïti conformément à la Constitution de 1987 dans l’espace public et dans le système éducatif national. L’aménagement des deux langues officielles dans le système éducatif national fera l’objet d’un décret-loi assorti de deux énoncés de politique d’État : celui portant sur la formation et la certification des enseignants et cadres du système d’éducation et celui relatif à la politique nationale du livre scolaire. Au terme de ses travaux le Forum donnera le mandat au Comité de pilotage et de suivi d’élaborer le document-cahier des charges à soumettre à l’État haïtien (1) pour le système d’éducation et (2) pour l’ensemble des autres administrations de l’État central et des collectivités territoriales.
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Identification des partenaires du Forum (institutions, associations, etc.)
–Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti
–Faculté des sciences de l’Éducation de l’Université Notre-Dame d’Haïti
–Faculté des sciences de l’Éducation de l’Université Quisqueya
—L’Université publique du Sud aux Cayes (UPSAC)
–L’Université publique de l’Artibonite aux Gonaïves (UPAG)
–L’Université publique du Nord au Cap-Haïtien (UPNCH)
–L’Université publique du Sud-Est à Jacmel (UPSEJ)
–L’Université publique du Nord-Ouest à Port-de-Paix
— L’Université publique des Nippes
–L’Université Publique du Nord-Est (UPNE)
–L’Université Publique de la Grand-Anse (UPGA)
–L’Université Publique du Bas Artibonite à Saint-Marc
– L’Université Quisqueya
– L’Univertité Notre Dame d’Haiti
–Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti
–L’Association des professeurs de français d’Haïti
—Fondation haïtienne de l’enseignement privé (FONHEP)
–Éditeurs de manuels scolaires (Éditions Pédagogie nouvelle, Éditions Université Caraïbe, Éditions Canapé Vert, Éditions Zémès, Éditions Henri Deschamps…)
— École supérieure d’infotronique d’Haïti (ESIH)
–École de la magistrature
–Fédération des Barreaux d’Haïti
—-Faculté de Droit, Université d’État d’Haïti
–Faculté de Droit, Université Notre-Dame d’Haïti
–L’ISTEAH/GRAHN (Institut des sciences, des technologies et des études avancées d’Haïti
–Direction du contrôle et de la qualité, ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle
–Ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle
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Financement du Forum
Dès sa création, le comité de pilotage et de suivi du Forum entreprendra d’utiles démarches de financement auprès du gouvernement haïtien qui devrait être le principal bailleur de ce projet majeur pour le renforcement de la citoyenneté haïtienne et l’inclusion de toutes les catégories de citoyens.nes (Primature, ministère de l’Éducation, ministère de la Culture, ministère chargé de l’Inclusion citoyenne, ministère des Collectivités territoriales), en tout premier lieu et en identifiant les partenaires financiers à l’échelle nationale (Fondations privées) et internationale et en sollicitant immédiatement leur appui. Un budget prévisionnel sera préparé dans ce but par le responsable administratif du Forum.
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Proposition de composition du Comité de pilotage et de suivi du Forum (Proposition indicative et exploratoire, sous réserve de la confirmation ultérieure des personnalités dont les noms suivent)
1–Antoine Augustin, ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, ministre de la Culture : président d’honneur.
2–Renauld Govain, linguiste, Doyen de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti : président et responsable scientifique du Forum.
3–Peter Frisch, PDG des Éditions Henri Deschamps : vice-président et responsable administratif du Forum.
4–Charles Tardieu, Directeur, Éditions Zémès : rédacteur principal des résolutions du Forum, coordonnateur technique et général du Forum.
5–Alain Guillaume, juriste et enseignant-chercheur : responsable du volet juridique des résolutions du Forum.
6–Pierre-Michel Laguerre, linguiste et spécialiste du curriculum : co-responsable du volet curriculum.
7–Jonathan Thermidor, enseignant, président de l’APKA (Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiyi) : co-responsable du volet curriculum.
8–Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue : coordonnateur technique et général du Forum, personne-ressource en appui à la rédaction des résolutions du Forum.
9–Roody Edmée, enseignant et éditorialiste, membre de l’AEP (Association des écoles privées).
10–Caroline Hudicourt, enseignante, membre du COSPE (Consortium des organisations du secteur privé de l’éducation).
11–Frédéric Jean Mathieu, enseignant, Université Publique du Nord-Est, représentant en Haïti du KEPKAA (Comité international pour la promotion du créole et de l’alphabétisation).
12—Michelle Pierre-Louis, Directrice générale, FOKAL (Fondasyon konesans ak libète)
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Proposition de composition du Comité international d’appui au Forum (Proposition indicative et exploratoire, sous réserve de la confirmation ultérieure des personnalités dont les noms suivent)
—Georges Daniel Véronique, linguiste, Président du Comité international d’études créoles
—Albert Valdman, linguiste-lexicographe, ancien Directeur du Creole Institute, Indiana University
—Nathan Ménard, linguiste et ancien directeur du Département de linguistique de l’Université de Montréal
—Joseph-G. Turi, secrétaire général de l’Association internationale de droit linguistique
—Michaëlle Jean, ex-Gouverneure générale du Canada, ex-Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie
–Dominique Malack, Présidente-directrice générale, Office québécois de la langue française
—Paul De Sinety, Délégué général à la langue française et aux langues de France
—Frantz Voltaire, politologue et historien, Directeur du CIDIHCA et des Éditions du CIDIHCA
—Yanick Lahens, romancière
—Nadève Ménard, enseignante-chercheure, École normale supérieure, Université d’État d’Haïti
—Stéphane Martelly, enseignante-chercheure, Université de Sherbroole, et
Directrice littéraire de la collection Martiales, Éditions du Remue-Ménage
—Gary Victor, écrivain
—Raphaël Confiant, romancier et lexicographe, enseignant-chercheur à l’Université des Antilles en Martinique
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Mode de fonctionnement du Forum et adoption des résolutions finales
Le mode de fonctionnement du Forum sera établi par le Comité de pilotage dès sa création, notamment par la création d’un secrétariat opérationnel. Les résolutions finales seront adoptées à l’unanimité par les participants du Forum. Le Forum prendra la forme (1) d’ateliers thématiques (aménagement linguistique, droits linguistiques, didactique/didactisation du créole, lexicographie créole, énoncé de politique linguistique éducative, énoncé de politique relative au livre scolaire, Loi d’aménagement linguistique de l’État haïtien…), et (2) d’une assemblée générale au cours de laquelle les résolutions adoptées durant les ateliers thématiques seront validées en vue de leur consignation dans le cahier des charges. Les langues de travail des ateliers sont le créole et le français.
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Date et lieux proposés pour la tenue du Forum
Lieu : Cap-Haïtien, Haïti.
Ouverture officielle sous la haute présidence du Premier ministre : 14 décembre 2024.
Clôture : 17 décembre 2024 sous le haut patronage du ministre de l’Éducation et de la formation professionnelle et de la Culture
La participation de personnes ressource vivant en dehors d’Haïti fera l’objet d’un dispositif dédié (Zoom, Google Meet…).
Deuxième partie : argumentaire
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Contextualisation
Il est amplement attesté qu’à l’échelle internationale de nombreux États souverains, des provinces ou des États associés ont adopté des énoncés constitutionnels ou des législations comprises sous l’appellation générique d’« aménagement linguistique ». Le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois définit comme suit l’aménagement linguistique : « Intervention d’une autorité compétente, souvent étatique, sur la gestion d’une langue, par l’élaboration et l’instauration d’une politique linguistique ». Le GDT précise que la « politique linguistique » comprend un « Ensemble de mesures législatives et exécutives prises à l’égard d’une langue ». Le site spécialisé élaboré par le sociolinguiste québécois Jacques Leclerc, collaborateur à la CEFAN de l’Université Laval, « L’aménagement linguistique dans le monde », comprend des données amplement documentées et à jour sur différents aspects de l’aménagement linguistique à travers le monde (aspects démolinguistique, jurilinguistique, constitutionnel, administratif, etc.). Au chapitre consacré à la « La politique linguistique nationale de l’Afrique du Sud », le site renseigne sur « Le statut des langues » présentes sur le territoire national, sur « Les langues des législatures », « Les langues de la justice », « Les langues de l’Administration », « Les langues de l’éducation » ainsi que sur les langues de « La vie économique ». L’actuelle Constitution du 4 décembre 1996 (entrée en vigueur le 4 février 1997) précise que l’Afrique du Sud dispose de onze langues nationales et officielles et que toutes les langues officielles doivent bénéficier de la même égalité et être traitées de manière équitable sans diminuer le statut constitutionnel d’une de ces onze langues officielles.
La vision que nous offrons en partage dans nos livres et dans nos articles consacrés à l’aménagement linguistique en Haïti est amplement ancrée dans les sciences du langage et dans le liant que constituent les droits linguistiques (voir le livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en Haïti / Pledwaye pou dwa lengwistik ann Ayiti » (par Robert Berrouët-Oriol, Éditions Zémès, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, Montréal, 2018). Il existe à l’échelle internationale une « Déclaration universelle des droits linguistiques », elle a été proclamée à Barcelone entre le 6 et le 8 juin 1996 durant la Conférence mondiale des droits linguistiques. La Déclaration stipule que « Tous les peuples ont donc le droit d’exprimer et de développer leur culture, leur langue et leurs normes d’organisation, se dotant pour cela de leur propres structures politiques, éducatives, de communication et d’administration publique ».
Il importe de noter que la Déclaration universelle des droits linguistiques établit deux champs de compétences lorsqu’elle proclame l’égalité des droits linguistiques. Un des apports les plus importants au droit linguistique consiste dans le fait que la Déclaration considère inséparables et interdépendantes les dimensions collective et individuelle des droits linguistiques, car la langue se constitue d’une manière collective au sein d’une communauté et c’est aussi au sein de cette même communauté que les personnes en font un usage individuel. De cette manière, l’exercice des droits linguistiques individuels peut seulement devenir effectif si l’on respecte les droits collectifs de toutes les communautés et de tous les groupes linguistiques :
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le droit pour chaque groupe à l’enseignement de sa langue et de sa culture ;
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le droit pour chaque groupe à une présence équitable de sa langue et de sa culture dans les médias ;
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le droit pour chaque membre des groupes considérés de se voir répondre dans sa propre langue dans ses relations avec les pouvoirs publics et dans les relations socio-économiques.
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le droit pour chaque groupe de travailler et de s’exprimer pleinement dans la langue de son choix
Toujours dans la même optique, et en référence aux droits langagiers de la personne, il s’agit de bien faire comprendre que « Parler de droits linguistiques des citoyens renvoie à la fois à l’idée du droit qu’a tout locuteur d’user de sa langue et du droit de toute langue à être préservée ». La Charte universelle des droits langagiers fondamentaux de la personne rédigée en 1993 par la Fédération internationale des professeurs de langues vivantes à l’attention de l’UNESCO décrit bien les droits langagiers de la personne. En voici des extraits :
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toute personne a le droit d’acquérir sa langue maternelle ;
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toute personne a le droit d’acquérir la langue officielle ou au moins une des langues officielles du pays responsable de l’enseignement qu’elle reçoit ;
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tout jeune a le droit de recevoir l’enseignement de la langue avec laquelle lui-même ou sa famille s’identifie le plus ;
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le droit d’utiliser, parler, lire ou écrire une langue, de l’apprendre, l’enseigner ou d’y accéder ne peut être délibérément opprimé ou interdit.
En phase avec la Déclaration universelle des droits linguistiques, la linguiste Christiane Loubier, dans l’étude « Politiques linguistiques et droit linguistique » –qui est un chapitre du livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en Haïti / Pledwaye pou dwa lengwistik ann Ayiti », par Robert Berrouët-Oriol, Éditions Zémès, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, Montréal, 2018–, nous fournit un éclairage essentiel sur la notion de droits linguistiques dans ses rapports étroits avec la politique d’aménagement linguistique :
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« À partir du moment où l’on suppose que certaines situations ou certains comportements linguistiques peuvent être orientés par le droit, il est possible de parler de droit linguistique (au singulier). Selon le territoire politique considéré, on parlera de droit linguistique international (ex. : les droits linguistiques garantis par l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) ou du droit linguistique interne (constitutions, lois linguistiques, décrets, règlements administratifs, etc.) ».
Dans le cas d’Haïti, il faudra que l’État légifère sur le registre de « l’équité des droits linguistiques », qui s’entend au sens où tous les Haïtiens, égaux devant la loi, ont tous les mêmes droits linguistiques tels que définis plus haut. Les créolophones comme les bilingues créole-français (les francocréolophones) ont les mêmes droits et doivent pouvoir en tout temps les faire valoir aussi bien devant un tribunal, dans une entreprise privée que dans un service de l’Administration publique. Cette équité désigne la reconnaissance et l’effectivité du droit à l’usage sans restrictions de la langue maternelle, le créole, reconnue et promue à parité statutaire avec le français. L’équité des droits linguistiques s’entend également au sens où tous les Haïtiens ont le droit d’être scolarisés et éduqués dans les deux langues du patrimoine linguistique national, le créole et le français.
Et il faut bien prendre en compte que ces droits linguistiques, en conformité avec la jurisprudence internationale, sont d’abord et avant tout du ressort du droit constitutionnel interne (art. 5 de la Constitution haïtienne de 1987) : la constitutionnalité de ces droits oblige donc l’État à légiférer pour en garantir le respect et l’efficience. En clair, il revient à l’État haïtien de légiférer par une loi linguistique particulière qui édicte d’une manière assez exhaustive des droits et des obligations linguistiques. Nous avons établi la configuration préliminaire d’une telle législation par l’énoncé d’une exploratoire, notre « Proposition pour l’élaboration de la première loi sur l’aménagement linguistique en Haïti » (au chapitre VII du livre L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions (Éditions de l’Université d’État d’Haïti et Éditions du Cidihca, 2011).
Synthèse — L’aménagement linguistique consiste donc en la mise en œuvre de la politique linguistique d’un État ou d’une organisation qui font le choix politique (et constitutionnel dans de nombreux cas) d’intervenir explicitement sur la question des langues. L’aménagement implique généralement des décisions d’ordre glottopolitique, mais il englobe aussi tous les choix relatifs aux domaines et aux modes d’intervention. Ces choix supposent une connaissance approfondie de la situation linguistique du territoire visé et l’identification de problèmes à résoudre. La vision de l’aménagement linguistique préconisée par les linguistes aménagistes depuis plusieurs années ne se limite pas à la simple défense/promotion du créole : arrimée à la Déclaration universelle des droits linguistiques de 1996 et à la Constitution haïtienne de 1987, l’approche promue est une vision citoyenne et rassembleuse dont l’épicentre est constitué des droits linguistiques et des obligations constitutionnelles de l’État qui doit les définir et les mettre en œuvre à travers une législation et des règlements d’application.
L’élaboration d’un plan d’aménagement linguistique comprend plusieurs étapes :
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la connaissance précise et détaillée de la situation sociolinguistique de départ;
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le marché linguistique (national, infranational, régional, international);
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l’état de la description des langues;
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l’évaluation de la demande sociale;
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l’évaluation de la demande politique;
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la détermination des besoins;
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les ressources linguistiques existantes;
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la définition de la situation souhaitée;
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la détermination du plan de travail;
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le contrôle et l’évaluation de la stratégie et de sa mise en œuvre à la lumière des résultats obtenus.
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L’État haïtien et l’aménagement linguistique
Au cours des quarante dernières années, l’État haïtien est intervenu de manière différenciée dans la vie des langues en Haïti. Toutefois l’on observe qu’il s’est révélé incapable d’élaborer un énoncé de politique linguistique nationale définissant la double perspective centrale d’aménagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français, dans l’espace des relations entre l’État et les citoyens et dans le système éducatif national et aucune loi spécifique d’aménagement linguistique incluant ces deux volets n’a jusqu’à aujourd’hui été adoptée à cet effet par le Parlement.
En l’absence d’un énoncé de politique linguistique nationale définissant la double perspective centrale d’aménagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, l’État haïtien est toutefois intervenu dans le champ éducatif au moyen de la réforme Bernard (voir plus loin une brève présentation de cette réforme éducative). Elle
a été officiellement lancée le 18 septembre 1979 par la « Loi autorisant l’usage du créole comme langue instrument et objet d’enseignement ». Cette loi était assortie d’un document maître intitulé « La réforme éducative – Éléments d’information » (Département de l’Éducation nationale, Port-au-Prince, 1979).
La Constitution de 1987 –la première véritable Constitution démocratique de toute l’histoire du pays et elle a été votée par référendum–, consigne en ses articles 5 et 40 des dispositions qui sont au fondement de l’aménagement constitutionnel de nos deux langues officielles. À cet égard, l’article 40 de notre charte fondamentale est particulièrement éclairant puisqu’il fixe une obligation contraignante à l’État, celle de diffuser tous ses documents administratifs et officiels dans nos deux langues officielles. Mais cette disposition contraignante n’a jamais été appliquée. En ce qui a trait à l’alphabétisation, il est tout indiqué de l’inclure dans la sphère de l’aménagement linguistique en Haïti puisque l’article 32.9 de la Constitution de 1987 en fait une obligation d’État. Force est de constater toutefois que les différentes campagnes menées sous différents régimes politiques ont connu un retentissant échec et n’ont fait l’objet d’aucun bilan analytique connu de la part des pouvoirs publics. C’est plutôt un linguiste qui en a fait un bilan d’étape (voir l’article « Dix nouvelles années d’alphabétisation en Haïti : quel bilan tirer ? », par Renauld Govain, Le Nouvelliste, 5 septembre 2005).
C‘est donc sur le terrain de l’éducation qu’il faut interroger les différentes interventions de l’État haïtien. L’on observe que l’article 32 de la Constitution de 1987 –en ses déclinaisons 32.1, 32.2, 32,3, 32.4, 32.5, 32,6, 32.7, 32.8–, consigne un droit citoyen fondamental, celui de l’éducation : « L’État garantit le droit à l’éducation », mais sa traduction dans le système éducatif national est depuis fort longtemps un parcours du combattant semé d’embûches de toutes sortes. Pour la plupart des observateurs et analystes, le système éducatif haïtien est lourdement déficient, il est « malade », « erratique », « non adapté » sinon anti-national et il cultive un« apartheid » à peine larvé. Il est perpétuellement en crise alors même qu’il est soutenu à coups de centaines de millions de dollars par la coopération internationale qui entonne, d’une saison à l’autre et de concert avec les responsables nationaux, un discours mettant de l’avant une énième « réforme » l’École haïtienne. Alors même qu’il est attesté que l’État haïtien proclame sur toutes les tribunes qu’il est en train de « réformer » le système éducatif national tout en finançant toujours trop peu l’Éducation nationale, celle-ci se débat de crise en crise et est en état de « crise chronique » : « L’éducation haïtienne connaît une crise chronique provenant fondamentalement de deux facteurs principaux : le problème de gouvernance politique et administrative et la faiblesse des politiques éducatives qui en résulte. Un autre facteur crisogène est le choix initial de fonder cette éducation sur une expérience d’acculturation où les apprenants ont toujours été contraints d’être scolarisés en français, une langue qu’ils ne connaissent pas, tandis que tous maîtrisent le créole. Cette acculturation vient notamment du fait que les premiers éducateurs et responsables d’écoles de l’État d’Haïti étaient des Français qui enseignaient en français dans la négation du créole et qui sont à l’origine de la créolophobie qui perdure aujourd’hui encore. Mais il est quand même dommage que la prise en main de l’école par les nationaux n’ait pas permis de régulariser la situation. Il se pose dès lors le problème de l’inculturation de l’école notamment sur le plan linguistique. Que le système éducatif connaisse des crises n’est pas une fatalité. Au contraire. Les crises constituent un baromètre qui permet de prendre le vrai pouls de la situation. Elles offrent ainsi l’occasion d’amélioration, de redéfinition, d’ajustement, d’un nouveau départ. Le problème est d’être incapable de s’en sortir ou même de pouvoir reconnaître l’ampleur de la situation comme on en a l’impression depuis plusieurs décennies » (Renauld Govain : « De la crise de l’éducation à l’éducation à la crise en Haïti », Études caribéennes 56/décembre 2023).
À propos de la gouvernance politique et administrative erratique du ministère de l’Éducation nationale ces onze dernières années, il y a lieu de revisiter l’approche analytique de Patrice Dalencour, philosophe, enseignant de carrière et ancien ministre de l’Éducation nationale. En voici une illustration consignée dans l’entrevue qu’il nous a accordée et qui a été publiée en Haïti, « L’École haïtienne sous la loupe du philosophe Patrice Dalencour, ancien ministre de l’Éducation nationale » (Le National, 29 novembre 2022). « Dans un texte retentissant et qui porte haut un questionnement de fond sur les errements linguistiques du ministère de l’Éducation nationale d’Haïti, « Réforme éducative ou coup d’État linguistique ? » (Le National, 5 mai 2022), Patrice Dalencour invitait à une réflexion analytique exigeante. Auparavant, il avait livré une dense réflexion sur plusieurs goulots d’étranglement du système éducatif haïtien dans l’article « Le diable se cache dans les détails… » (revue Haïti Perspectives, cahier thématique « L’École fondamentale haïtienne », vol. 5, no 1, printemps 2016). « (…) RBO – À propos de la récente décision du [ministère de l’Éducation nationale] de ne financer que les manuels scolaires rédigés en créole, tu éclaires les enjeux cachés de la démarche ministérielle. Dans l’article « Réforme éducative ou coup d’État linguistique ? », tu exposes avec rigueur que « (…) dans la boule de cristal ou dans l’intuition ministérielle censée remplacer le débat public sur des enjeux nationaux, notre deuxième langue [le français] serait rétrogradée au rang de langue étrangère. Elle céderait même la place à celle de la puissance nord-américaine ou dans une deuxième éventualité, son retrait scellerait dans le registre de la culture et de l’identité nationale la soumission à l’hégémonie de notre voisin de l’Est. » Ton diagnostic a-t-il été favorablement entendu ? « PD – Il a été positivement accueilli par une large portion de l’opinion, mais pas vraiment appuyé par notre intelligentsia frileuse. Au niveau décisionnel, je ne sais s’il produira des effets, par impuissance à décrypter les circonlocutions embarrassées que j’ai entendues ou lues en retour ».
Poursuivant sa réflexion analytique dans l’entrevue « L’École haïtienne sous la loupe du philosophe Patrice Dalencour, ancien ministre de l’Éducation nationale », Patrice Dalencour précise ceci : « RBO – Un nombre relativement limité d’enseignants haïtiens a osé prendre publiquement la parole, ces dernières années, sur la question linguistique au creux du système éducatif national (notamment Charles Tardieu, Lyonel Trouillot, André Vilaire Chery, Rochambeau Lainy et Renauld Govain). Tu l’as fait récemment dans un texte retentissant, « Réforme éducative ou coup d’État linguistique ? » (Le National, 5 mai 2022). Peux-tu nous rappeler –à propos de la question linguistique au creux du système éducatif national–, les grandes lignes de la réflexion citoyenne qui articule dans ce texte ton regard critique sur les dimensions pédagogique, linguistique et de gouvernance éducative ? » — PD – Je commence par signaler un motif d’inquiétude suscité par la trajectoire que dessinent en filigrane des annonces du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle sur la place des langues dans l’École et qui semblent tendre à un effacement progressif du français, de l’enseignement, puis de l’univers culturel haïtien. Éviction sous des prétextes didactiques et apparemment au bénéfice du créole, assisté de l’anglais ou de l’espagnol pour l’ouverture au monde moderne. Je pose que dans ce bouleversement de la configuration linguistique, le créole sera à son tour éjecté en marge. Et compte tenu du poids historique de notre double héritage linguistique et de son rôle dans notre identité de peuple, j’invite à la résistance. Enfin, puisqu’on ne doit pas faire de la question linguistique la cause unique des inégalités scolaires, je demande de ne pas s’abriter derrière elles pour faire avancer d’autres causes, ainsi soustraites au débat libre et public ».
L’on observe que les maux chroniques de l’Éducation nationale sont bien connus. En effet, le système éducatif national d’Haïti a fait l’objet de plusieurs diagnostics élaborés par des experts nationaux et par des institutions internationales. L’un des diagnostics les plus fouillés et les plus méthodiques est celui élaboré par le GTEF (Groupe de travail sur l’éducation et la formation) et porte le titre de « Pour un pacte national pour l’éducation en Haïti » (août 2010). Ce volumineux document de 332 pages est issu de plusieurs rencontres et forums de consultation conduits à travers le pays et en outremer avec divers interlocuteurs institutionnels, y compris avec les associations d’enseignants et les cadres du ministère de l’Éducation nationale, les secteurs organisés de la société civile, etc. La Deuxième partie, chapitre 1, section 5.4 de ce document est consacrée à « L’enseignement des langues » (page 148), tandis que section 3 de la Troisième partie, chapitre 1, est consacrée à « Apprendre dans sa langue maternelle et maîtriser les deux langues officielles du pays » (page 173). Parmi les nombreux diagnostics réalisés par l’International à hauteur de plusieurs millions de dollars, il y a le « Diagnostic technique du système éducatif haïtien » / « Rapport de synthèse, septembre 1995 » élaboré par le Research Triangle Institute – The Academy for Educational Development Educat S.A. dans le cadre des programmes d’activités financés et soutenus par l’USAID en appui, est-il précisé, à l’élaboration du Plan national d’éducation. Il y a également le moins bien connu « Diagnostic Éducation – République d’Haïti et République dominicaine » daté de 2016 et élaboré par l’Observatoire binational sur ma migration, l’environnement, l’éducation et le commerce (OBMEC). Peu connu, ce document d’analyse comparative a entre autres le mérite de chiffrer une problématique jusqu’ici méconnue, à savoir le nombre d’élèves et d’étudiants haïtiens scolarisés en République dominicaine ces dernières années, illustrant ainsi que l’offre scolaire d’Haïti à ses jeunes est lourdement déficiente et insuffisante. Ce document cite en référence un document très peu connu de l’enseignant-chercheur Hérard Jadotte daté de 2004, « Le créole et le français dans l’École fondamentale haïtienne : perspective bilingue ou unilingue ? », communication au colloque « L’enseignement bilingue en Haïti – 20 ans après la réforme Bernard ». Mais en amont de la rédaction du présent « Plaidoyer », nous n’avons pas pu accéder ni à cette étude ni aux Actes de ce colloque. Une meilleure connaissance de la crise chronique du système éducatif haïtien passe donc par un bilan actualisé, et l’on pourra se référer entre autres à la thèse de doctorat de Jean Louiner St-Fort soutenue le 7 septembre 2016 à l’Université Sorbonne Paris Cité, « Les politiques de la réforme éducative en Haïti, 1979-2013 : de la logique socioprofessionnelle des acteurs politico-administratifs à la situation des établissements scolaires du département de la Grand-Anse ». Le bilan actualisé du système éducatif haïtien saura également s’éclairer des données analytiques contenues dans le « Cahier thématique » de la revue du GRAHN, « Haïti Perspectives », consacré à l’« École fondamentale haïtienne » (volume 5, no 1, printemps 2016) –voir en particulier l’article de Roody Edmée, « Quelques éléments pour la refondation de l’École fondamentale en Haïti ».
L’État haïtien n’est toutefois pas dépourvu de « documents majeurs » concernant le système éducatif national. Sur le registre de la réflexion analytique et de la production de « documents majeurs » au ministère de l’Éducation nationale, il est attesté que la question de la langue d’enseignement occupe une place centrale : constamment évoquée, jamais résolue… En voici une synthèse par l’identification de quatre « documents majeurs ».
1.– Vingt-et-un an après l’implosion de la réforme Bernard de 1979, le ministère de l’Éducation nationale a commandité un ample travail de recherche dont l’objectif était d’effectuer un état des lieux sur « la place des langues créole et française à l’École fondamentale ». Des enseignants-chercheurs de premier plan, notamment Alain Gilles, Rachel Charlier Doucet, Pierre Vernet et Asselin Charles ont été mis à contribution et le document issu de leurs recherches de terrain a pour titre « L’aménagement linguistique en salle de classe – Rapport de recherche » (MENFP/Ateliers de GrafoPub, Port-au-Prince, 272 pages, année 2000). Le chapitre IV de ce document (pages 67 à 93), intitulé « L’aménagement linguistique dans les salles de classe », est assorti de « Conclusions et recommandations » (pages 87 à 90).
2.– L’on observe également que trente-sept ans après l’implosion de la réforme Bernard de 1979, le ministère de l’Éducation nationale a passé commande auprès de plusieurs spécialistes et pris possession du document qu’ils ont élaboré, le « Cadre pour l’élaboration de la politique linguistique du MENFP / Aménagement linguistique en préscolaire et fondamental » daté de mars 2016. Ce document de 70 pages porte la mention suivante : « Travail réalisé par Marky Jean Pierre et Darline Cothière sous la direction de Marie Rodny Laurent Estéus consultante au cabinet du Ministre ». Il est précisé que le document « (…) contient deux contributions produites séparément par les consultants : L’aménagement du créole et du français en préscolaire et fondamental de Marky Jean Pierre qui se veut un cadre théorique et Le plan stratégique d’aménagement des langues en préscolaire et fondamental de Darline Cothière qui pose la base pour l’adoption d’un plan stratégique ».
3.– Du même allant, l’on a noté que trente-neuf ans après l’implosion de la réforme Bernard de 1979, le ministère de l’Éducation nationale a commandité et reçu le « Référentiel haitien de compétences linguistiques (Français – Créole) » daté de février 2018. Ce document de 127 pages a été rédigé par la linguiste-didacticienne Darline Cothière. Élaboré selon le modèle de l’Union européenne, celui du « Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer », ce référentiel a été réalisé sous contrat de l’Organisation internationale de la Francophonie pour le compte du ministère de l’Éducation nationale.
4.– Le tout dernier « document majeur » élaboré par le ministère de l’Éducation nationale s’intitule « Cadre d’orientation curriculaire du système educatif haitien 2024-2054 – Version officielle » (Nectar COC 2024). Ce document consigne plusieurs chapitres, entre autres « Le choix du plurilinguisme fonctionnel et ouvert » (page 16), « Les langues et la communication » (page 30), « La formation des enseignants (page 45).
Existe-t-il un destin commun à ces quatre documents ? L’observation attentive révèle qu’ils ont tous été élaborés suite à une demande explicite du ministère de l’Éducation nationale. L’observation révèle également qu’ils ont tous été relégués –« exilés », nous a précisé un enseignant ayant autrefois travaillé au ministère de l’Éducation nationale : « exilés » sur une planète lointaine et inaccessible… « Exilés » et frappés du sceau infâmant de l’oubli ; « exilés » au périmètre des objets perdus dans le lakou encombré de dizaines de « documents majeurs » du ministère de l’Éducation nationale…
L’observation attentive indique bien que les quatre « documents majeurs » cités plus haut ont connu un lourd « exil politico-administratif » entre 2000 et 2024 et n’ont pas servi, durant cette période, à l’élaboration de la « pensée stratégique », de la vision et des actions du ministère de l’Éducation nationale alors même qu’il soutient sur différentes tribunes, d’année en année et singulièrement au cours des onze dernières années, qu’il a engagé une « réforme majeure » du système éducatif national « dans le prolongement de la réforme Bernard de 1979 » (nous reviendrons là-dessus).
L’examen attentif de ces « documents majeurs » du ministère de l’Éducation nationale systématiquement tombés dans l’oubli est particulièrement instructif. Sur le registre de la gouvernance politico-administrative du secteur de l’Éducation nationale, l’examen de ces « documents majeurs » révèle (1) la permanence de la discontinuité de la vision et de l’action d’un ministre à l’autre, d’une administration ministérielle à l’autre et, de manière plus essentielle, (2) l’absence d’une réelle volonté politique au plus haut sommet de l’État d’instituer l’aménagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français, conformément à la Constitution de 1987. En effet, l’observation attentive de la gouvernance du système éducatif national ces onze dernières années révèle qu’au ministère de l’Éducation l’on a privilégié la navigation à vue, l’accumulation de « mesures administratives » parfois sans liens entre elles, l’absence d’un énoncé de politique linguistique éducative, l’absence d’une politique nationale du livre scolaire, l’absence de support et de mesures d’accompagnement des éditeurs de manuels scolaires. NOTE – À propos de la sous-qualification des enseignants dans le système éducatif national haïtien, voir l’article « L’enseignement en Haïti » paru le 10 janvier 2019 sur le site de la Fédération enfants-soleil. Il y est précisé, à la section 3 de ce texte, « Profil des enseignants selon le niveau d’études », que « Les enseignants haïtiens sont majoritairement sans diplôme et sans reconnaissance sociale. Ils cherchent à exercer d’autres métiers jugés plus prestigieux. Le corps enseignant a une moyenne d’âge plutôt jeune, élément qui peut expliquer la grande mobilité/labilité connue dans ce secteur. Les enseignants représentent une main-d’œuvre disponible et bon marché pour les écoles/industries, qui peuvent offrir jusqu’à trois vacations par jour. D’après les statistiques, plus de 60% des enseignants du secteur privé n’ont aucune qualification académique et professionnelle. Toutefois, plus d’un tiers des enseignants du public sont issus des Écoles normales ».
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Synthèse de la réforme Bernard de 1979
L’histoire du système éducatif haïtien a bien enregistré que la réforme Bernard de 1979 a été la plus ambitieuse entreprise de réforme du secteur de l’éducation en Haïti et que, pour la première fois, le créole a accédé au statut de langue d’enseignement et de langue enseignée (l’article « L’aménagement du créole en Haïti et la réforme Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste à faire », par Robert Berrouët-Oriol, Rezonòdwès, 16 mars 2021).
La réflexion sur le statut, le rôle et la place du créole dans le système éducatif haïtien, souventes fois fragmentaire et inaboutie, n’est pas nouvelle en Haïti. Comme le rappelle à juste titre le linguiste Renauld Govain dans son article intitulé « Le créole haïtien : de langue d’alphabétisation des adultes à langue d’enseignement » (researchgate.net, 11 avril 2018), « En 1898 déjà, Georges Sylvain [déclarait] que « le jour où (…) le créole aura droit de cité dans nos écoles primaires, rurales et urbaines, le problème de l’organisation de notre enseignement populaire sera près d’être résolu ». Dans les années 1930-1940, cette réflexion a été poursuivie notamment par Christian Beaulieu, compagnon de lutte de Jacques Roumain et auteur de « Pour écrire le créole » (Les Griots, 1939), et qui fut l’un des premiers, à cette époque, à réclamer l’utilisation du créole à des fins pédagogiques. Bien plus tard, l’aménagement et le rôle du créole dans le système éducatif haïtien ont été institutionnalisés par la réforme Bernard de 1979, mise en veilleuse en 1987, et qui faisait du créole, pour la première fois dans l’histoire du pays, langue d’enseignement et langue enseignée aux côtés du français langue seconde.
Le premier constat que l’on peut faire au terme d’une recherche documentaire est qu’il n’existe aucun document officiel et public consignant un bilan exhaustif de la réforme Bernard de 1979 élaboré par l’État haïtien, en particulier par le ministère de l’Éducation nationale. Cela peut sembler paradoxal sinon aberrant, mais la réalité historique est que la plupart du temps l’État haïtien et plusieurs auteurs font référence à cette réforme éducative en dehors d’un bilan exhaustif réalisé par une institution haïtienne, en particulier au plan linguistique et didactique. Ainsi, des éléments d’analyses sectorielles peuvent être répertoriés dans divers types de documents produits non pas par l’État mais plutôt par des individus, par des chercheurs rattachés ou pas à une institution universitaire, parmi lesquels il convient de citer :
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Jean Louiner St-Fort auteur en 2016, à la Sorbonne, de la thèse de doctorat « Les politiques de la réforme éducative en Haïti, 1979 – 2013 : de la logique socioprofessionnelle des acteurs politico-administratifs à la situation des établissements scolaires du département de la Grand-Anse » ;
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Michel Saint-Germain, de l’Université d’Ottawa, auteur de l’étude « Problématique linguistique en Haïti et réforme éducative : quelques constats (Revue des sciences de l’éducation, 23(3), 1997) ;
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Michel Saint-Germain (1989), auteur de l’« Analyse de quelques facteurs relatifs au volet linguistique de la réforme de l’éducation en Haïti », Revue éducation canadienne et internationale, 18 (2),18-33 ;
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Jacques Rosembert, auteur de l’« Analyse sociologique des intentions de la réforme du système éducatif haïtien – (Réforme Bernard : 1979-1980) », mémoire de maîtrise, Université d’Ottawa, 1998 ;
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Patrick Agnant, auteur en 2018 du mémoire présenté à l’Université de Sherbrooke « Le système d’éducation haïtien : une étude néo-institutionnaliste en trente ans, de la Réforme Bernard en 1979 jusqu’au tremblement de terre de 2010 » ;
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Robert Chaudenson & Pierre Vernet (1983), auteurs de « L’école en créole : étude comparée de réformes éducatives en Haïti et aux Seychelles », Québec, Agence de coopération culturelle et technique ;
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Guy Alexandre, auteur de l’article « Matériaux pour un bilan de la réforme éducative en Haïti », Le Nouvelliste, 6, 11, 16 mai 1999.
Dans tous les cas de figure, l’on observe de manière générale et en particulier sur le site officiel du ministère de l’Éducation nationale que les diverses « réformes » du système éducatif national n’ont pas fait l’objet d’un bilan synthèse, analytique et documenté, élaboré par l’État haïtien, et encore moins d’un bilan synthèse conjoint élaboré par l’État haïtien et les bailleurs de fonds internationaux ces onze dernières années. En dépit de ce lourd défaut d’imputabilité, le système éducatif national continue d’être financé par les bailleurs de fonds internationaux et par l’État haïtien. Et la référence à la réforme Bernard de 1979 se retrouve dans un grand nombre de documents officiels du ministère de l’Éducation sans que l’on sache à quoi précisément l’on se réfère (voir l’article « L’aménagement du créole en Haïti et la réforme Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste à faire » (par Robert Berrouët-Oriol, Le National, 16 mars 2021.
À contre-courant de l’instrumentalisation folklorisante, au ministère de l’Éducation nationale, de la première grande réforme du système éducatif national, il existe pourtant un rapport-synthèse de la réforme Bernard de 1979 : nous l‘avons identifié et cherché ces trois dernières années et ce n’est que tout récemment que nous l’avons enfin trouvé. Rédigé par Uli Loche,r Thierry Malan et Charles Pierre-Jacques, il a pour titre « Évaluation de la réforme éducative en Haïti » (Banque mondiale, Genève, octobre 1987). Le document comporte le sous-titre « Rapport final de la mission d’évaluation de la réforme éducative en Haïti », ce qui indique explicitement qu’une mission d’évaluation a été conduite en Haïti avant la rédaction de ce rapport. Le sommaire du document comprend notamment les titres et sous-titres suivants : 1.1 « Historique et contexte de la réforme » ; 1.2 « Évolution des objectifs et des résultats » ; 1.4.4 « Production et distribution des matériels didactiques » ; 2. « Les résultats de la réforme » ; 3. « Conclusions et recommandations » ; 3.2.8 [« Recommandations relatives aux] manuels scolaires ». Il sera certainement utile d’effectuer à l’avenir un compte-rendu analytique du rapport-synthèse de Uli Locher, Thierry Malan et Charles Pierre-Jacques sur la réforme Bernard de 1979.
Autrefois Représentant-résident de l’UNESCO en Haïti, Bernard Hadjadj est l’auteur de l’étude « Education for All in Haiti over the last 20 years : assessment and perspectives » (Bureau de l’UNESCO, Kingston, 2000). Cette étude comprend une importante section, le chapitre 2.1.4, qui est consacré aux « politiques de la réforme » et à la datation des principales étapes de l’implantation de la réforme Bernard de 1979. En voici la traduction française.
« 2.1.4 Les politiques de la réforme
« La réforme Bernard
« Comme il a déjà été souligné, la réforme Bernard a été la première tentative conséquente de modernisation du système éducatif haïtien. Lancée à la fin des années 1970, elle est le résultat d’un processus de planification initié au début des années 1970. Il est donc utile de rappeler d’abord les dates importantes qui ont ponctué cette nouvelle politique éducative.
L’évolution de la réforme — Les dates importantes
1972-1976 : Mise sur pied de l’Institut pédagogique national (IPN) et tentative de modernisation pédagogique du système. Pré-test du créole comme langue d’enseignement. Fusion de l’enseignement primaire et de l’enseignement rural.
1977 : Création du Corps des conseillers pédagogiques dans le cadre de la modernisation du système scolaire haïtien.
1979 : Début de la réforme du système éducatif avec le lancement de la Réforme Bernard. L’IPN joue le rôle de conseiller technique du ministre et de laboratoire de la Réforme en ce qui concerne l’élaboration et l’expérimentation de nouveaux programmes et la formation des agents éducatifs.
1979-1980 : Création du Comité national des programmes, chargé de définir les contenus et les plans de cours du système scolaire modernisé.
1980 : Suppression des examens officiels de fin d’études primaires.
1980-1982 : Test par l’IPN des livres du premier cycle.
Août 1982 : Publication de la brochure verte, premier document officiel d’information sur la réforme.
1982-1987 : Période d’inertie de la Réforme. Moratoire du MENJS sur les activités d’extension de la Réforme.
1986-1987 : Restructuration de l’IPN. Reprise des activités de la Réforme.
1987-1988 : Élaboration des programmes des trois cycles de l’École de base formelle.
Mars 1989 : Promulgation du décret statutaire déclarant officiels les programmes des trois cycles de l’École de base formelle.
Juillet 1991 : Tenue officielle des examens de la 6ème année.
1991 : Fermeture de l’Institut pédagogique national.
1995 : Organisation des examens (non officiels) de la 9ème année.
Janvier 1996 : Organisation des États généraux de l’éducation en vue de l’élaboration d’un Plan national d’éducation et de formation.
Bernard Hadjadj précise par ailleurs que « Malgré toutes les difficultés sociales, politiques, structurelles et éducatives, on peut dire que la réforme de l’éducation a gagné et continue de gagner du terrain. Malheureusement, depuis sa création, elle s’est heurtée à des obstacles liés aux contraintes financières et au contexte sociopolitique des années 1980 et 1990. L’absence d’un véritable débat national sur ce projet de modernisation du système, l’ignorance du grand public sur le bien-fondé des innovations réalisées, l’inertie des agents de terrain chargés de veiller à l’application des directives du MENJS et la réticence des parents quant à l’utilisation du créole comme langue d’enseignement ont contribué à freiner cette dynamique de changement vers le développement national ».
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Financement du système éducatif haïtien par la coopération internationale
La recherche documentaire réalisée en amont de la rédaction de ce « Plaidoyer » n’a pas permis d’obtenir un document-synthèse qui consigne (1) le financement détaillé de l’École haïtienne par l’État durant les onze dernières années ainsi que (2) le montant total du financement accordé par les institutions internationales au système éducatif haïtien au cours des onze dernières années (nombre total, années couvertes, objectifs déclarés, montants effectivement décaissés, mécanismes de contrôle, audit). À titre informatif, voici quelques annonces d’interventions de l’International dans le système éducatif national :
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« Le Partenariat mondial pour l’éducation approuve un financement pour aider à faire avancer la réforme de l’éducation en Haïti ». « Le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE) a approuvé le 22 juin 2021 un financement de 16,5 millions de dollars US pour aider à faire avancer la réforme de l’éducation en Haïti à travers le projet Promotion d’un système éducatif efficace en Haïti. » (Source : site du PME/GPE, 4 juillet 2021)
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« La Banque mondiale approuve un financement additionnel de 90 millions de dollars américains pour le secteur de l’éducation en Haïti ». (Source : site de la banque mondiale, 7 mars 2022)
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« Éducation sans délai » annonce une subvention à effet catalyseur de 11,8 millions de dollars É.-U. consacré à un programme pluriannuel de résilience en Haïti ». (Source : site de l’UNICEF, 3 octobre 2022 – « Éducation sans délai » / « Education Cannot Wait »).
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« Promoting a more Equitable, Sustainable and Safer Education » – « Objectif de développement » [« Promouvoir une éducation plus équitable, plus durable et plus sûre »]. Coût total du projet : 105.60 millions $ USD, approuvé le 25 juin 2021 ; montant engagé : 15.60 millions $US. (Source : site de la Banque mondiale)
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« L’UE [l’Union européenne] approuve un financement de 30 millions d’euros en appui au système d’éducation public ». (Source : Le Nouvelliste, 13 juillet 2023)
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« Le gouvernement Haïtien et l’UE signent une convention de financement du programme « Éducation pour vivre ensemble ». Montant : 18 millions d’Euros. (Source : Délégation de l’Union européenne en République d’Haïti, 13 décembre 2023).
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« Signature du projet Lekòl nou : l’Afd [Agence française de développement] renouvelle son engagement en faveur d’une éducation de qualité en Haïti » (site de l’Agence française de développement, 25 avril 2022) : « Le lancement du programme Avni nou, auquel sera étroitement associé le ministère de l’Éducation et de la formation professionnelle, signe l’engagement continu de la France en Haïti à travers l’AFD à soutenir les efforts des autorités publiques et de la société civile en faveur d’un système éducatif de qualité en Haïti. Le programme s’élève à 12 millions d’euros, dont 3 millions d’euros pour le projet Lekòl nou, porté par la FOKAL. Avec 37 millions d’euros d’engagements en faveur de l’éducation et de la formation professionnelle en Haïti, l’AFD est le principal bailleur de fonds bilatéral du secteur et confirme la priorité accordée à l’éducation par l’AFD et la France en Haïti ».
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« Projet d’appui au plan et à la réforme de l’éducation en Haïti (APREH). Montant : 24,250,000.00 USD ; date d’entrée en vigueur : 5 mars 2015 ; durée : 4 ans ; bailleur : Banque interaméricaine de développement (BID).
Cet échantillon d’annonces, qui n’a pour l’heure qu’une valeur illustrative, totalise la somme de 345,15 millions de dollars là où, selon des observateurs familiers de la coopération bi/multilatérale, les sommes consenties à Haïti dans le domaine de l’éducation seraient beaucoup plus élevées et se chiffreraient par plusieurs centaines de millions de dollars rien que pour la dernière décennie…
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Pourquoi est-il nécessaire d’instituer un Forum citoyen, un espace national d’échanges et de débats sur l’aménagement linguistique en Haïti ?
L’aménagement des deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français, est une obligation à la fois politique et constitutionnelle découlant de la Constitution de 1987. La vision constitutionnelle de l’aménagement des deux langues officielles d’Haïti dont nous faisons le plaidoyer est fondée sur le « Préambule » ainsi que sur les articles 5, 32 et 40 de la Constitution haïtienne de 1987. Cette vision ne se limite pas à la simple et très partielle défense/promotion du créole : elle privilégie les droits linguistiques au titre d’un droit essentiel compris dans le grand ensemble des droits citoyens consignés dans notre charte fondamentale (voir le texte constitutionnel, Titre III, article 16 : « La réunion des droits civils et politiques constitue la qualité du citoyen ». Chapitre II : « Des droits fondamentaux » / « Droit à la vie et à la santé », article 19 : « L’État a l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine, à tous les citoyens sans distinction, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme ». Ce qu’il faut donc rigoureusement promouvoir c’est une vision de l’aménagement linguistique dans sa dimension politique : l’État haïtien doit prendre le leadership politique de l’aménagement de nos deux langues officielles dans l’espace public et dans le système éducatif national, en lien avec la dimension constitutionnelle de ses obligations découlant des articles 5, 32 et 40 de la Constitution de 1987.
La Constitution de 1987 dispose en son « Préambule », que « Le peuple haïtien proclame la présente Constitution » (…) « Pour garantir ses droits inaliénables et imprescriptibles à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur ; conformément à son Acte d’indépendance de 1804 et à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (…) « Pour fortifier l’unité nationale, en éliminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l’acceptation de la communauté de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrès, à l’information, à l’éducation, à la santé, au travail et au loisir pour tous les citoyens » (…) Pour instaurer un régime gouvernemental basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité économique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale, par une décentralisation effective ».
En ce qui a trait à la dimension politique de l’aménagement linguistique, le sociolinguiste québécois Jacques Leclerc, collaborateur à la CEFAN de l’Université Laval, précise ce qui suit sur le site « L’aménagement linguistique dans le monde ». Au chapitre « Les enjeux politiques de l’aménagement linguistique », il nous enseigne avec hauteur de vue que « Dans les faits, les interventions politiques en matière de langue s’inspirent rarement de motifs purement linguistiques ; elles se rapportent le plus souvent à des projets de société formulés en fonction d’objectifs d’ordre culturel, économique et politique. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la question de l’aménagement linguistique se présente comme un problème puisqu’il s’agit de trancher dans le vif des situations linguistiques au moyen d’un appareil juridique parfois complexe (Constitution, lois, règlements, directives, contrôles) ». Jacques Leclerc précise davantage sa pensée en faisant sienne l’observation du politologue Léon Dion « [qui] avait raison d’écrire, en 1981 » (…) « Quand les groupes discutent de politique linguistique, qu’ils en soient conscients ou non, c’est en même temps le pouvoir social et le pouvoir économique qu’ils négocient » (Léon Dion, « Pour une véritable politique linguistique », Gouvernement du Québec, ministère des Communications, Québec, août 2011).
D’autre part, et comme nous l’avons explicité dans ce document, il est attesté que l’État haïtien est tributaire d’un lourd défaut de vision et d’une absence de leadership en ce qui a trait à l’aménagement de nos deux langues officielles. Ses interventions institutionnelles sont limitées, parcellaires, souvent incohérentes et parfois inconstitutionnelles. Et de manière liée, il n’existe actuellement en Haïti aucun espace public de dialogue, d’échanges et de débats sur l’aménagement de nos deux langues officielles et le système éducatif national, 45 ans après la réforme Bernard, est encore privé de sa première politique linguistique éducative. Compte-tenu des enjeux éducatifs et citoyens pour l’avenir immédiat et à long terme de la Nation haïtienne, compte-tenu de l’impératif de la refondation complète du système éducatif national, l’aménagement de nos deux langues officielles ainsi que l’élaboration de la politique linguistique éducative constituent une priorité nationale au même titre que la santé et la sécurité publique.
Il convient donc, par l’institution du Forum national sur l’aménagement des deux langues officielles d’Haïti conformément à la Constitution de 1987, de faire maillage du partenariat des secteurs public et privé de l’éducation en contribuant à rendre opérationnel le rôle moteur des institutions de la société civile et des associations d’enseignants. Il convient d’instituer un espace public d’échanges et de débats destiné à élaborer une vision consensuelle et rassembleuse, une vision citoyenne porteuse de propositions concrètes à adresser à l’État haïtien. Telle est la mission centrale, tels sont les objectifs du Forum national sur l’aménagement des deux langues officielles d’Haïti conformément à la Constitution de 1987.
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Montréal, le 15 juin 2024