— Par Jean-Marie-Nol, économiste —
C’est une première dans l’histoire politique récente de la France : la dissolution de l’Assemblée nationale le soir même des résultats des élections européennes. Cette décision, surprenante et inattendue pour de très nombreux citoyens et observateurs de la vie politique, marque un tournant majeur et suscite de nombreuses interrogations quant à ses motivations et ses conséquences. Le président Emmanuel Macron, qui avait auparavant affirmé à plusieurs reprises son intention de ne pas lier les élections européennes à la politique nationale, a surpris en prononçant cette dissolution immédiatement après les résultats. Cette décision semble nationaliser l’interprétation des élections européennes, ce qui contraste fortement avec les déclarations faites par Macron pendant les années précédentes et durant la campagne. Ainsi à plusieurs reprises Emmanuel Macron a montré une attitude pleine d’ambiguïté et un discours paradoxal. Emmanuel Macron a-t-il tout prévu ? En désignant systématiquement le Rassemblement National (RN) comme le principal adversaire politique, le président français semble avoir joué un rôle crucial dans la banalisation de l’extrême-droite en France. L’annonce récente de la dissolution de l’Assemblée nationale a suscité des critiques acerbes de la part des experts politiques, qui y voient une stratégie minutieusement orchestrée pour les trois dernières années de son mandat. Mais s’agit -il bien là d’une banalisation orchestrée de l’extrême-droite au fin d’une stratégie délibérée ?
Depuis son ascension au pouvoir, Emmanuel Macron a souvent positionné le RN comme son principal rival. Cette tactique a contribué à normaliser l’extrême-droite dans le paysage politique français. À chaque échéance électorale, Macron a insisté sur la nécessité de faire barrage au RN, consolidant ainsi la position de ce dernier comme la principale force d’opposition. Suite à l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, des analystes politiques ont dénoncé ce qu’ils considèrent comme une stratégie délibérée de Emmanuel Macron. Selon eux, le président chercherait à provoquer une situation où le RN obtient un score suffisamment élevé pour permettre à Marine Le Pen ou à défaut Jordan Bardella de devenir Premier ministre. L’objectif serait alors de démontrer son incompétence, la discréditant ainsi pour l’élection présidentielle de 2027.
Mon hypothèse est présentement partagée par certains analystes et au-delà des frontières françaises ( à ce sujet lire ou relire mes précédentes tribunes sur la question ).
Le journal britannique The Times a commenté que Macron pourrait parier que le RN, en remportant les élections et en gérant le pays en temps de crise, verrait sa popularité chuter avant 2027. Cette analyse suggère que Macron espère affaiblir le RN en l’exposant aux défis de la gouvernance. Ce scénario contraste fortement avec le discours de Macron au soir de son élection au Louvre. Ainsi, s’adressant à ceux qui ont voté pour lui uniquement pour empêcher l’extrême-droite d’accéder au pouvoir, Emmanuel Macron avait promis de respecter leurs voix et celles des électeurs de Marine Le Pen. Il déclarait : « Ils ont exprimé aujourd’hui une colère, un désarroi, parfois des convictions. Je les respecte, mais je ferai tout durant les cinq années qui viennent pour qu’ils n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes. »… alors mirage ou vision prospective empreinte de vérité ?
Avec du recul, bien que l’on puisse comprendre la nécessité de dissoudre l’Assemblée nationale en raison des blocages et dysfonctionnements du Parlement, notamment le refus des oppositions de voter le budget, le moment choisi par Macron reste discutable et les contradictions relevées par nous sont susceptible de réflexion. Une dissolution à l’automne, après les Jeux olympiques, aurait peut-être été plus opportune pour engager la responsabilité des oppositions.
Personnellement en dépit de la formation à gauche d’un nouveau front populaire, je pense que l’on se dirige vers une Chambre Ingouvernable même en cas de majorité du RN ou du nouveau front populaire. En effet, cette décision audacieuse comporte des risques significatifs. La nouvelle configuration de l’Assemblée pourrait aboutir à une Chambre ingouvernable, avec des groupes parlementaires inconciliables formés par le Rassemblement national (RN), les gauches sur dans un front populaire, une frange des Républicains (LR) allié au rassemblement national et un parti Renaissance très minoritaire. Aucun de ces groupes ne semble en mesure de constituer une majorité stable. Est -ce là le résultat formidable d’une stratégie doublée d’une tactique d’un coup de billard à trois bandes de Emmanuel Macron ?
Certains analystes maintenant interprètent cette dissolution comme une manœuvre tactique de Macron visant à forcer le RN à gagner les législatives. En faisant cela, Macron espère que le RN échouera sur les questions économiques et lors d’une crise prévisible de la dette, discréditant ainsi le parti de Marine Le Pen. Nous l’avons déjà dit dans un précédent article que nous sommes confrontés à un jeu de poker risqué. La stratégie supposée du président Macron comporte des risques considérables. En facilitant l’accès du RN au pouvoir, même temporairement, il pourrait non seulement renforcer la légitimité de ce parti, mais aussi accroître sa base électorale. Si le RN parvient à surmonter les défis de la gouvernance, il pourrait en sortir renforcé, compliquant davantage les perspectives pour les forces centristes et modérées en 2027. Nonobstant cet épisode du rideau de fumée du président Emmanuel Macron, à notre avis le Rassemblement National est bel et bien piégé et avec lui Marine le Pen qui pourtant a fini par sentir le piège et cherche à se sortir de la nasse. Mais pour ce qui nous concerne la capacité du RN et de Marine le Pen à sortir de ce piège reste incertaine et pleine d’embûches. Malgré la contre-offensive à peine voilée de Marine Le Pen, qui commence à modérer son programme et revenir sur certaines promesses phares comme l’Europe, la retraite à 60 ans, et l’augmentation des enseignants, etc, certains signes suggèrent qu’elle pourrait préférer ne pas remporter les législatives.
Le Rassemblement National (RN) semble reculer face à l’éventualité de gagner le pouvoir, un succès qui pourrait s’avérer être un piège pour Marine le Pen à cause de l’état des finances publiques françaises. En effet, les marges de manœuvre budgétaires apparaissent très limitées pour le RN, ce qui les oblige à reconsidérer certaines de leurs promesses électorales.Par exemple, Jordan Bardella a récemment annoncé que la réforme des retraites, qui avait été un point central de la critique contre la réforme d’Emmanuel Macron en 2023, serait reportée si le RN arrivait au pouvoir. Bien que le parti continue de soutenir que cette réforme ne bénéficierait pas à l’État, il envisage désormais son abrogation à une phase ultérieure d’un futur mandat.En outre, selon des informations rapportées par Le Monde, d’autres mesures emblématiques ne seraient pas incluses dans le premier budget d’un gouvernement dirigé par le RN. Cela comprendrait la suppression de la TVA sur 100 produits de première nécessité, l’exonération d’impôts sur le revenu pour les moins de 30 ans, et une exonération plus significative des droits de succession. Ces ajustements indiquent que le RN pourrait être en train de préparer le terrain pour renoncer à certaines de ses promesses en raison des contraintes budgétaires.Cette situation reflète les difficultés financières auxquelles le parti serait confronté s’il accédait au pouvoir, remettant en cause leur capacité à tenir leurs engagements sans aggraver la dette publique.
La communication et la campagne de Jordan Bardella seront cruciales pour clarifier la position du RN. Cela étant, on note déjà les premiers symptômes de l’effet de souffle de la stratégie de Emmanuel Macron sur la vie politique française. Les finances publiques françaises sont dans une situation critique, limitant considérablement les marges de manœuvre pour tout gouvernement futur. Le déficit budgétaire et la dette publique ont atteint des niveaux préoccupants, exacerbés par les crises successives des dernières années. Dans ce contexte, les programmes coûteux et mal financés du RN et du NFP risquent d’aggraver la situation. Emmanuel Macron a souligné que ces partis ne respectent pas une « éthique de la responsabilité » en promettant des « cadeaux » électoraux sans prévoir les financements nécessaires. Il a averti que ces programmes pourraient entraîner une crise économique majeure, affectant gravement la stabilité financière du pays.Une Incapacité à Gouverner« Ils ne sont pas prêts à gouverner », a déclaré Macron, affirmant que les promesses irréalistes des blocs extrêmes montrent une méconnaissance des réalités économiques. Il a insisté sur le fait que la France traverse un « moment gravissime », nécessitant des politiques responsables et réalistes pour éviter une crise économique destructrice.Les propos du président visent à alerter les électeurs sur les dangers potentiels d’élire des partis dont les programmes pourraient déstabiliser l’économie nationale.Mais il faut aussi noter que l’exercice du pouvoir au gouvernement à l’issue des résultats des élections législatives serait tout aussi périlleux pour une éventuelle majorité présidentielle. C’est un leurre que nous vend Emmanuel Macron tant le discrédit est palpable au sein de l’opinion. L’incertitude politique dans laquelle nous a plongés la dissolution de l’Assemblée nationale a fait plonger la bourse qui a effacé les gains de deux ans et fait grimper les taux d’intérêt sur la dette de l’État. Le meilleur indicateur à cet égard est le différentiel de taux sur les emprunts à 10 ans comparé à l’Allemagne : il est passé de 47 à 67 points de base (0,67 %) en quelques jours. Et ce n’est pas fini : ce spread avait atteint 1,5 % en 2012, lorsque les marchés redoutaient un éclatement de l’euro. C’est une mauvaise nouvelle pour les crédits immobiliers dont les taux sont indexés sur les emprunts d’État. Emmanuel Macron n’a pas manqué de le souligner dans sa conférence de presse, oubliant qu’il en est à l’origine avec son coup de dés de la dissolution.
« Un coup de poker menteur jamais n’abolira le hasard », dit-on. La vérité est que nous sommes tous aujourd’hui vulnérables au chaos, car la crise financière menace très sérieusement les français. Alors que les tensions politiques s’intensifient à l’approche des élections, la question de la viabilité économique des propositions des partis extrêmes reste entière et seront au cœur du débat public. Incontestablement, la stratégie de Macron dans la droite ligne de François Mitterrand provoque des secousses sur la scène politique française. Le président des Républicains, Éric Ciotti, a choqué en formant une alliance avec l’extrême-droite du RN, ce qui lui a valu une exclusion du parti Républicain par le bureau politique. De même, Marion Maréchal a été exclue du parti Reconquête par Éric Zemmour pour des raisons similaires. C’est là ce que je qualifie de l’effet papillon en politique. Cette série d’événements peut être vue comme un exemple de l’effet papillon, une métaphore décrivant la sensibilité aux conditions initiales dans la théorie du chaos. Chaque décision, même mineure, peut avoir des conséquences imprévisibles et considérables. Cette dissolution inattendue de l’Assemblée nationale en est une illustration frappante, invitant à la réflexion sur les décisions politiques et leurs impacts à long terme. Pour conclure, la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron marque un tournant décisif dans la politique française. En choisissant un moment aussi surprenant pour cette action, Emmanuel Macron a non seulement bouleversé le paysage politique, mais a également lancé des défis majeurs à ses adversaires. La dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron a provoqué un véritable séisme dans le paysage politique français. Alors que certains y voient une manœuvre tactique pour affaiblir le RN à long terme, d’autres craignent que cette stratégie ne se retourne contre lui et par voie collatérale sur les français. Seul l’avenir dira si cette approche permettra à Emmanuel Macron de consolider sa position ou si elle contribuera à une nouvelle montée de l’extrême-droite et à une prise de pouvoir en France. Dans tous les cas, le jeu politique à venir s’annonce particulièrement complexe et incertain. La France se trouve à un carrefour crucial, où les choix électoraux auront des conséquences significatives pour l’avenir économique du pays. Les programmes du Rassemblement National et du Nouveau Front Populaire, bien que séduisants pour certains électeurs, présentent des risques importants en raison de leur manque de financement et de leur éloignement des réalités budgétaires.
L’avenir politique de la France reste incertain, et le verdict des urnes et les prochains mois de la nouvelle gouvernance seront déterminants pour comprendre les réelles conséquences de cette décision de génie au demeurant très pernicieuse pour ne pas dire machiavélique au sens du terme de la science politique. De toute façon, quelque soit le scénario de la recomposition du paysage politique français, l’heure de vérité de la crise à venir est incontestablement désormais sous nos yeux.
« DEBROUYA PA PECHE »
– traduction littérale : faire le débrouillard n’est pas pécher
– moralité : On ne blame pas quelqu’un qui se débrouille avec habileté…
Jean-Marie Nol, économiste et juriste