— Par Mireille Jean-Gilles —
Depuis exactement 6 mois, j’étais absorbée par une tâche, seule sur la ligne de front, et maintenant que j’ai terminé, celle-ci peut être emportée par la vague de « La parole silencieuse ».
« La parole silencieuse », c’est justement le titre d’un poème de Lémistè 4 de Monchoachi, et chaque titre des 32 poèmes qui composent ce recueil est un poème en soi : Les lèvres pures, La demeure celestielle, L’ombre de Dieu, Le dieu éblouissant, L’énigme du sceau, La voix de l’époux, La Reine, l’anneau nuptial, l’En haut, l’En bas,…
Je suis particulièrement émue d’écrire sur Streitti, tant il s’agit de la poésie à l’état pur, un poète a dit de cette œuvre : Le dernier Monchoachi, très beau. Très saisissante, cette physique kabbalistique qui s’approprie les sens radicaux en même temps que les racines des lettres. Cela fait ressortir un langage comme de dessous terre, le langage d’une création nouvelle.
Un autre lecteur écrivait : Je suis un peu fatigué de cette poésie d’intellos à laquelle je ne saisis que dalle même si, récemment, un proche a tenté de m’expliquer par le texte (Monchoachi, STREITTI, La Confrontation, chez Obsidiane) pourquoi il fallait passer parfois par des poèmes “obscurs” pour être en mesure d’accueillir le monde.
Il est vrai qu’avec Streitti, Monchoachi dialogue avec les étoiles, c’est l’expression qui me vient, simple terrestre, mais si vous êtes en quête d’élévation pour échapper à l’ im-monde, un langage peut vous y aider. Les mots ne prennent pas sens par leur sens toujours caché chez Monchoachi, mais par leur caractère fulgurant, foudroyant, ce sont des étincelles qui doivent éveiller quelque chose en vous, comme une manière d’onde électrique ou cosmique, c’est une aventure proprement poétique, donc mystique, il existe quelque chose là, à portée de main et inaccessible à la fois, qui échappe au statut d’objet et devrait vous fortifier.
Cette aventure poétique a pour principale préoccupation l’humain et ce qu’il en est advenu sous la férule de l’Occident, car la poésie de Monchoachi, pour gagée qu’elle soit, demeure engagée. La poésie est convoquée pour remonter aux sources de l’Occident que le poète avait commencé à explorer avec Lémistè 3 consacré à l’avènement de l’alphabet grec, particulièrement des voyelles, qui marque une rupture, une fuite en avant, une fugue blanche qui va entraîner dans son sillage l’humanité tout entière, une course folle vers la maîtrise plutôt que l’accordance (Fugue vs Fug)...
Streitti, Lémistè 4 se décline en une confrontation entre la parole poétique et la parole prophétique du judaïsme, l’autre versant d’un Occident vecteur et véhicule du néant, opérant par l’anéantissement des choses auxquels il substitue les objets déchets : toute chose s’absente laissant place au « réel », Monchoachi poursuit dans le liminaire : de la numérotation de la lettre en l’ère informatique, le monde se vitrifie en se commuant irrésistiblement en nombre. Le nombre qui implacablement uniformise.
Une hégémonie du nombre qui conduit à la barbarie, qu’il s’agisse aujourd’hui de la Kanaky ou de la Palestine, où pareillement pointe la décadence de l’Occident. Ce n’est peut être pas un hasard que Streitti achevé depuis deux années soit publiée au cœur de la tourmente. Mais ne recherchez pas dans Streitti, des mots ou des termes, faisant écho aux choses actuelles, aux « actualités », Monchoachi remonte aux premiers temps de cette barbarie, au Livre, ou plus exactement à ses commentaires érudits qui rivalisent de beauté avec l’œuvre originale.
Monchoachi alterne ainsi constamment dans cette œuvre ses propres compositions poétiques avec un choix d’extraits des écrits de la Kabbale juive, saisissants de beauté et de profondeur, dont on sait les vibrations mystiques :
Cela se compare à la fille d’un roi venue de loin. L’on ne savait d’où, jusqu’à ce que l’on vit qu’elle était une femme forte, belle et opportune dans tout ce qu’elle faisait. On disait alors : Elle vient sûrement du côté de la lumière puisque par ses actes le monde devient lumière. On lui demanda : D’où viens tu? Elle répondit : De mon lieu. (Le Bahir)
La parole poétique se confronte à la parole prophétique, non pas de manière frontale, face à face, mais à la manière d’un frère et d’une sœur Toubou, se rencontrant dans le désert, ne se regardant pas pour dialoguer, s’asseyant sur le sable, se mettant dos à dos, chacun ayant l’horizon face à lui. La poésie, de la sorte, face à l’horizon, interroge la parole prophétique. Qu’est-ce qui dans la beauté de ces textes anciens annonçait cette sinistre métastase qu’est l’Occident ?
Le magazine littéraire « Le matricule des anges » vient de consacrer une double page à Monchoachi pour la sortie de Streitti, en faisant un large écho à Retour à la parole sauvage, un essai paru chez Lundimatin en 2023. Il s’agit de deux versants d’une même œuvre, la pensée se muant en poésie. Il ne faut pas craindre de répondre à cet appel : au bout du chemin se profile une échappée belle.
Mireille Jean-Gilles
Vauclin, le 9 juin 2024
Monchoachi, STREITTI, La confrontation, Editions Obsidiane 2024, 150 pages.,