À l’initiative d’Ericka Bareigts, députée PS de La Réunion, les parlementaires se prononceront mardi sur «la responsabilité morale de l’Etat» sur le transfert de 1600 enfants de La Réunion en métropole entre 1963 et 1982. Une affaire méconnue dans l’Hexagone.
Ils attendent que l’Etat français fasse son mea culpa. Entre 1963 et 1982, 1600 enfants réunionnais ont été transférés vers 64 départements, principalement dans le Sud-Ouest et le Massif central, des zones rurales vieillissantes. «La majorité des enfants ont souffert de déracinement, de la déculturation et de racisme», explique l’historien Ivan Jablonka , auteur du livre Exil d’enfants, transfert de pupilles réunionnais en métropole. Mardi, les députés vont se prononcer sur cette page oubliée de l’histoire contemporaine française. Ils seront appelés à voter une «résolution mémorielle» sur cette affaire dite des «Réunionnais de la Creuse».
«Il est grand temps en 2014 de faire ce travail de mémoire et d’en parler sans être dans un esprit revanchard ni de victimisation», explique la députée PS réunionnaise Ericka Bareigts, à l’origine de cette initiative. Mais «il faut a minima reconnaître une responsabilité morale de l’Etat envers ses pupilles et nous demandons une connaissance historique approfondie», ajoute-t-elle. Cette action n’a qu’une valeur symbolique, la reconnaissance morale n’ouvrant pas droit à réparation. Le texte propose «que la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée» et «que tout soit mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle».
«On a menti aux familles et rien demandé aux enfants»
Michel Debré, élu député UDT (Union pour la nouvelle République) de La Réunion en 1963, a organisé ces transferts via la création du programme Bumidom, le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer. Son but: emmener des enfants réunionnais de la DDASS pour repeupler certains départements métropolitains dont la démographie était vieillissante.
Reconnus pupilles d’Etat souvent sans le réel consentement de leurs parents, ils ont été placés en foyer ou dans des familles d’accueil contre la promesse d’études et de travail. «Ces enfants-là sont le pur produit d’une affaire d’Etat et d’un abus de pouvoir: on a menti aux familles et rien demandé aux enfants, alors qu’on avait promis des nouvelles et des retours possibles», explique Philippe Vitale, chercheur du laboratoire CNRS méditerranéen de sociologie, soulignant que dans les années 50, La Réunion était confrontée à une «démographie galopante et à une grande précarité». «10 à 25% des enfants ont vécu des situations de quasi esclavage, des violences physiques et sexuelles», ajoute Ivan Jablonka.
Une «enfance volée»
Longtemps ignorée, l’histoire de ces enfants déracinés a pris une tournure judiciaire en 2001 lorsque Jean-Jacques Martial, placé en famille d’accueil à l’âge de sept ans en Creuse, a porté plainte contre l’Etat pour «enlèvement, séquestration de mineurs, rafles et déportation». Il a demandé un milliard d’euros de réparation pour son «enfance volée». «Un milliard, c’est comme un euro, c’était symbolique. Ca vaut combien l’enfance d’un enfant? La trahison des adultes, la déraison de l’Etat, les larmes des parents?», estime-t-il.
Elisabeth Guigou, alors ministre de l’Emploi et de la Solidarité, a chargé l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) d’un «rapport sur la situation des enfants réunionnais placés en métropole dans les années 60 et 70». «La mission n’est pas conduite à dresser un bilan négatif de la politique de migration des pupilles.», conluent les auteurs. En 2005, l’Association des Réunionnais de la Creuse a assigné l’Etat français devant le tribunal administratif de Limoges. Mais ces actions n’ont jamais abouti, notamment en raison de la prescription des faits.
http://www.lefigaro.fr/politique/2014/02/17/01002-20140217ARTFIG00129-la-migration-forcee-des-enfants-reunionnais-debattue-a-l-assemblee-nationale.php
(Avec AFP)