— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Face à la multiplication des chocs économiques, technologiques, sanitaires, climatiques, géopolitiques, les déséquilibres des finances publiques de l’État, des réformes drastiques de la dépense publique sont au bout du tunnel et s’avèrent aujourd’hui la première condition de la reconstruction de la France dans un contexte de mutation économique et sociologique. En Guadeloupe c’est la restructuration de la filière canne et la réforme de l’octroi de mer qui sont à l’ordre du jour dans une atmosphère que l’on peut qualifier de « entre chien et loup » c’est à dire au crépuscule le plus sombre, lorsqu’on ne peut plus, ou pas encore, discerner exactement les choses… La Roue du Destin va -t-elle bientôt s’emballer ou au contraire se stabiliser ?
L’expression « la roue tourne » résonne souvent comme un avertissement rappelant que le succès peut rapidement laisser place à l’échec, et vice versa.. Ainsi laisser penser et dire que la situation économique n’est pas dégradée, alors même qu’au bout du compte, l’on s’est déjà endetté au niveau public comme privé, c’est là une attitude pathétique. Il est difficile de l’être encore plus, et aujourd’hui, la dette, c’est avant tout le rafistolage d’un navire qui prend l’eau, alors qu’à l’époque, pendant les trente glorieuses la dette c’était la construction d’un bâtiment neuf que personne n’avait imaginé 20 ans avant.Aujourd’hui C’est le début de la fin pour les classes moyennes, le début de la précarité, non…. ?
Ça annonce un nouveau régime dont les jeunes générations des années 2000 vont être les victimes. Aujourd’hui, quand on compte le patrimoine et les intérêts du revenu des capitaux, le troisième âge vit beaucoup mieux que les actifs. C’est la première fois depuis les débuts de l’humanité que l’on mesure cela et la dernière fois peut-être, par le remplacement de la génération précaire qu’est devenue la jeunesse. On peut aussi y voir les premiers symptômes de la fin de la « moyennisation » de la société française. Pendant les Trente Glorieuses et après, moins puissamment, toute une partie des catégories populaires et des petites classes moyennes, ouvriers et employés, se sont arrimées pleinement à la société française, notamment par le prisme de la consommation. Ils pouvaient se doter d’un équipement pour leur foyer cochant toutes les cases du standard minimum exigé, c’est-à-dire une maison individuelle, une voiture, de l’électroménager, l’accès aux loisirs et aux vacances et à horizon d’une vie, envisager l’accession à la multipropriété.
La moyennisation s’est aussi caractérisée par le règne de l’hypermarché, où tout le monde allait faire ses courses. Tout le monde ne met pas la même chose dans son Caddie, mais tous se fournissent dans un même lieu.Par exemple, avec l’équipement de tous les membres du foyer en smartphones. Aujourd’hui avec la crise inflationniste les modèles présentés dans certaines émissions publicitaire de télévision pour l’équipement de la maison coûtent très cher et deviennent hors de portée pour toute une partie de la population. Et ne parlons même pas du coût de la construction devenu un rêve inaccessible pour beaucoup de personnes notamment les jeunes. Le fait de ne pas pouvoir accéder à cela, alors même que les deux conjoints travaillent dans le couple, est vécu comme le début d’un déclassement voire d’une déchéance.
Certains Guadeloupéens moyens disent souvent qu’ils n’ont plus rien le 15 du mois, ou qu’ils ne peuvent plus se faire un petit « extra ». Ils se demandent ce qui s’est passé. Ils se retournent alors contre la vie chère et les taxes, ce qui confirme que la question des prélèvements obligatoires est centrale et au surcroît les impôts locaux, même s’il faut aussi y voir les prémices de l’économie circulaire et la fin de cette société de consommation à outrance.
Mais d’où vient cette métaphore » la roue tourne « ? Selon la légende, elle puise ses origines dans la figure mythique de Fortuna, déesse de la chance et du hasard, souvent représentée tenant une roue et une corne d’abondance. Cette roue, ne déverse ses bienfaits qu’aux privilégiés, ceux qui se trouvent au sommet du mouvement. La déesse Fortuna, réputée capricieuse, pouvait aussi bien offrir la prospérité que la ruine, selon son bon vouloir. Ainsi, les mortels se trouvent souvent à crier contre leur destin, et indirectement contre Fortuna, lorsque tout semble tourner au vinaigre. Cet adage résonne aujourd’hui de manière particulièrement pertinente alors que la France hexagonale et par ricochet la Guadeloupe traversent une période de mutations sociales et économiques sans précédent, mais encore invisible pour beaucoup de personnes. Et pour cause en dépit des déclarations lenifiantes de la classe politique au pouvoir, le gouvernement français se trouve dans une quête désespérée de plusieurs milliards d’euros pour redresser les finances publiques, entraînant une sévère chasse aux économies. Avec un budget de 40 milliards d’euros à boucler d’ici 2025, une part substantielle devra être prélevée sur la Sécurité sociale, dont les comptes suscitent critiques et inquiétudes croissantes.Cette crise ne se limite pas à un seul secteur social, elle s’étend à tous les aspects de l’économie. Le mode de vie proposé par la société de consommation devient de plus en plus inaccessible pour une part croissante de la population Guadeloupéenne.
Les signes précurseurs de cette crise sont déjà palpables en Guadeloupe, où l’incertitude autour des blocages et grèves multiples qui pénalise la vie économique pousse les habitants à ressentir les premiers frémissements de l’instabilité.Face à cette situation, il est crucial que des mesures concrètes et des réformes soient mises en place pour rassurer la population guadeloupéenne et démontrer une véritable compréhension des enjeux par les autorités locales. Un vaste plan de restructuration économique, incluant une décentralisation accrue et une transition vers un nouveau modèle économique et social, pourrait être la clé pour surmonter ces défis.Si nous nous contentons de rustines temporaires comme pour la question de l’eau, le risque est grand de retomber dans les mêmes difficultés à court terme. Ces phénomènes sont profonds et complexes, et nécessitent une approche concertée et visionnaire. Il est temps de repenser nos stratégies et de construire un avenir plus solide et plus juste pour tous, avant que la roue du destin ne continue son implacable rotation. La crise va s’amplifier dans le temps et se propager à tous les secteurs de l’économie avec l’avènement de l’intelligence artificielle. Et le « way of life » proposé par la société de consommation actuelle devient hors de portée pour toute une partie de la population des outres-mers.
Préparer les esprits à ne pas faire de miracle, c’est de bonne guerre pour l’État et les élus locaux,mais pas forcément très bon signe. Après la crise du COVID voilà la crise inflationniste et bientôt la crise de la dette, aussi si certains chefs d’entreprises ont repris de l’oxygène, les hommes politiques ont gagné du temps mais pas encore assez pour se remettre les idées au clair. Les Guadeloupéens sentent les tâtonnements autour de la question institutionnelle. Le risque, c’est ce que cela se termine en pétard mouillé. Il faut des mesures et des réformes qui permettent aux guadeloupéens de se dire, « ils ont compris que la roue est entrain de tourner ». Cela pourrait notamment s’inscrire dans un grand plan de restructuration de l’économie de la Guadeloupe avec une étape de décentralisation dans un élargissement des habilitations et adaptations possibles avec l’article 73 de la constitution pour davantage de proximité et de manière parallèle, engager la société dans une transition vers un nouveau modèle économique et social accompagné de la possibilité de faire des lois pays. Si on reste dans le colmatage et la rustine, la sortie en demi-teinte, alors tout peut repartir dans les difficultés dès quelques mois. Les crises sont des phénomènes profonds et il est difficile de lutter contre. On n’a pas retrouvé de matrice qui pourrait jouer un rôle de ciment aussi puissant qu’il y a quelques décennies. Aujourd’hui un plan décennal de grande envergure pour basculer dans un système de production pourrait être la clé pour aider la Guadeloupe à surmonter ces défis. Cela pourrait inclure une étape de décentralisation, permettant une plus grande proximité dans la gestion des affaires locales. En parallèle, une transition vers un nouveau modèle économique et social est nécessaire pour s’adapter aux réalités changeantes du monde moderne. Si nous nous contentons de colmater les brèches et d’apporter des solutions temporaires, nous risquons de retomber dans les mêmes difficultés de la gestion à court terme. Ces défis sont profonds et complexes, et il est essentiel d’y faire face avec détermination et vision à long terme. Il est temps d’abandonner les anciennes matrices qui ne répondent plus aux besoins actuels et de construire à l’aide de la démarche prospective un avenir plus résilient et équitable pour tous les guadeloupéens. Et au final, gageons que stabiliser la roue qui est déjà entrain de tourner ne tient pas uniquement qu’aux élus locaux, mais que c’est l’affaire de l’ensemble des citoyens de la Guadeloupe.
« Kabrit aw’ ka fé bèf. »
– traduction littérale : Ton cabri fait des bœufs.
– moralité : Les choses avanceront à petit pas mais sûrement !
Jean Marie Nol économiste