— Par Yves-Léopold Monthieux —
La Cour des Comptes vient de donner son verdict : l’octroi de mer n’a plus lieu d’être. Ce n’est pas la première fois que la mort de cette taxe coloniale est annoncée, fusse-t-elle progressive, comme cela semble devoir être le cas. Cette fois-ci, elle ne devrait plus s’appliquer qu’à la protection des seules productions locales existantes, à l’exclusion des nouvelles ou des anciennes qui auraient été “adaptées aux évolutions des consommateurs”. En l’absence in fine de production locale à protéger, son objectif initial, cette taxe ne servirait plus qu’au seul fonctionnement des collectivités territoriales, son intérêt économique s’en trouvant écarté. C’est cela que semble vouloir dire la Cour des Comptes.
Certes, dans l’ambiance de dépopulation galopante que connaît la collectivité martiniquaise, les effectifs diminuent partout et à tous les niveaux : les enfants naissent peu, les vieux meurent de plus en plus et, entre les deux, les forces vives quittent le pays. Bref, au rythme de 2000 habitants de moins par an, hier, on est passé à 4000, aujourd’hui, et on ne sait à combien il en sera demain, ni comment arrêter la fuite. Seul reste inchangé, ou qui augmente, le nombre des agents et des cadres des collectivités territoriales : moins grande est la population, plus nombreux sont ses serviteurs à rétribuer.
Principale source financière des communes, les élus tiennent donc à l’octroi de mer comme à la prunelle de leurs yeux ou de ceux de leur clientèle électorale. Il leur est d’ordre secondaire que cette taxe soit un facteur d’enchérissement du coût des produits qu’elle frappe. Aussi, lorsque le président de l’AMPI (Association martiniquaise pour la promotion de l’industrie) estime la réforme de l’octroi de mer “impossible”, il ne s’agit pas d’une impossibilité technique mais avant tout politique. L’économiste rejoint ainsi la position des élus qui est parfaitement cohérente dans le système politique actuel. Comme la majoration des salaires des fonctionnaires, l’octroi de mer est une disposition issue de la colonisation qui ne fait pas partie des mesures abominées. Ce faisant, le président de l’AMPI confirme implicitement que la notion d’économie n’a pas de sens dans les DOM. Faudrait-il trouver un autre vocable pour désigner cette activité ? Probablement. En effet, il n’y a pas d’activité économique martiniquaise à laquelle ne soit affectée une mesure financière avantageuse.
J’entends les faciles comparaisons faites avec la chère Hexagone-qui-n’est-plus-métropole où des secteurs économiques sont aidés par l’État, comme l’Agriculture. C’est oublier que les pertes des activités déliquescentes, en France, sont compensées par les gains de celles qui sont florissantes. Alors que l’équilibre est impossible à trouver en Martinique où les activités ont toutes besoin d’aide.
Paradoxalement, la collectivité en majorité anticolonialiste voudrait conserver cette taxe coloniale au titre des droits acquis, de préférence dans le cadre de l’Autonomie. L’objectif fondamental n’est-il pas de sortir la Martinique de la colonisation et de l’assujettissement à la Métropole ? L’Autonomie sonnera-t-elle leur fin en maintenant l’octroi de mer et les autres avantages acquis ? A moins, au contraire, que le néo-colonisateur veuille couper des branches de la vieille colonisation.
Fort-de-France, le 10 mars 2024
Yves-Léopold MONTHIEUX