— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Le problème des institutions de la Guadeloupe actuellement, c’est qu’elles ont été construites et pensées pour appliquer un modèle économique qui a été conçu initialement pour sortir de l’ancien modèle productif de la période coloniale et de la déconfiture de l’industrie sucrière. Tout cela, a impliqué un autre modèle économique et social basé sur le développement des services publics et la consommation de masse. Mais maintenant la donne est entrain de changer car une Guadeloupe qui vieillit est par définition un pays qui consomme de plus en plus de services et de produits.
De fait, dans le nouveau modèle économique qui se dessine pour l’avenir, la valeur des services va encore croître de plus en plus fortement et de plus en plus vite.L’augmentation de la classe moyenne explique l’augmentation de la richesse générale. Le fait découle de cet élément démographique qu’il est impossible d’avoir une absence de croissance économique. Ainsi le système politique de la départementalisation a crée inévitablement de la consommation en plus, des attentes en plus, des besoins en plus. Nous sommes donc mathématiquement obligés à la croissance parce qu’il faut satisfaire de nouveaux besoins des agents économiques.
Ça, c’est une approche à courte vue, pour la bonne raison que nous devons envisager une croissance différente avec un double défi historique qui est le dérèglement climatique et la diminution de la taille de la population locale. En fait, là où l’équation se complique, c’est que nous sommes à l’aube de la révolution technologique de tous les temps au moment où il nous faut absolument changer de modèle économique.
Il n’existe en fait pas de croisement providentiel plus incroyable que cela. Au moment où également l’humanité toute entière doit inventer un nouveau modèle économique, avec l’éradication des matières premières fossiles et la révolution écologique, elle a la plus grande révolution technologique de tous les temps qui commence avec l’intelligence artificielle.
Cette nouvelle révolution technologique sera aussi la première qui n’est pas énergétique, mais purement intellectuelle, et c’est une révolution qui ne se fonde pas sur les idéologies du passé mais sur le paradigme de l’innovation. C’est là l’essence même des travaux de l’économiste Joseph Schumpeter sur la destruction créatrice à ceux de Nicolaï Kondratiev sur les cycles de l’économie. En effet, depuis deux cent cinquante ans, le progrès technologique reposait sur la répétition d’un même modèle. Il y a eu la révolution industrielle à la fin du XVIIIe siècle (machines et usines), la révolution de la vapeur, du charbon et des chemins de fer vers 1830, celle de l’acier, de l’électricité et de l’ingénierie (1875), celle du pétrole, de l’automobile et de la production de masse au début du XXe siècle. Et enfin, l’actuelle révolution des technologies de l’information commencée au début des années 1970. A chaque fois, il y a eu une « période d’installation » dans laquelle les nouvelles technologies se développent, imposant de nouvelles façons de penser (comme dans les années 1920). Mais elles produisent aussi des périodes cycliques faites de ruptures. Pour la Guadeloupe, le cycle de la départementalisation se conclut par un « âge d’or » durant laquelle la société entière quoiqu’on en pense, a amélioré son niveau de vie parallèlement à la France hexagonale (les Trente Glorieuses). Mais maintenant que la productivité s’épuise, et qu’un nouveau cycle doit normalement débuter, alors peut – t- on dans ces conditions, dire que le concept d’évolution statutaire ou institutionnelle préfigure la déconstruction de la départementalisation ?
La réponse pour nous est oui dans la mesure où le modèle économique et social actuel de la Guadeloupe donnerait de nombreux signes d’épuisement. Ses performances seraient médiocres, notamment en terme de création d’emplois et de développement de la production, surtout lorsqu’on les compare à celles de pays émergents de taille comparable. Cela rendrait urgente sa redéfinition, voire son abandon, au profit d’un nouveau modèle de société. Désormais certains économistes font état d’une « société bloquée » . La mise en crise du modèle économique et social de la Guadeloupe peut néanmoins être interprétée comme l’aboutissement d’une dynamique idéologique qui se cristallise vraiment au début des années 2000. Ce mouvement se caractérise par la remise en cause d’un Etat-providence jugé inadapté dans le nouveau contexte de la mondialisation et face à une crise économique devenue structurelle.
En Guadeloupe comme en France, la prétendue « générosité » du système social issu de l’après-guerre est pointée du doigt par divers acteurs et commentateurs comme un facteur important d’assistanat qui se trouve être l’une des sources majeures d’inefficacité économique et sociale voire d’insécurité de la jeunesse.
En effet, l’Etat-providence en Guadeloupe s’est développé dans le cadre d’une « économie fermée », son ébranlement actuel avec la crise inflationniste est un sous-produit du mouvement de démondialisation et des relants de protectionnisme et fermeture des frontières qui accentuent les effets délétères de vie chère. Parallèlement à ces difficultés économiques, un discours se développe aujourd’hui autour de la perte de fiabilité de l’Etat et de l’allergie aux contraintes administratives. Des courants idéologiques très divers et parfois opposés multiplient les attaques contre l’Etat. Le thème de l’Etat inefficace apparaît dès les années 2000 en Guadeloupe par exemple avec la crise sociale de 2009 sur le sujet brûlant de la vie chère, et se focalise aujourd’hui sur la rigidité, le formalisme ou encore la lenteur bureaucratique de l’Etat « tentaculaire » et « inefficace ».
Vers les années 2000 les tenants de l’évolution statutaire s’inscrivent alors dans une démarche « positive » visant à améliorer les méthodes de gestion publique ; au même moment les préceptes managériaux commencent à se diffuser dans la haute fonction publique locale. Les débats d’aujourd’hui se situent dans une tout autre perspective : il s’agit davantage de critiques négatives mettant en cause les insuffisances de l’Etat-providence et de la régulation étatique. Au premier rang de ceux-ci figure le thème de l’Etat oppressif qui est au cœur des thèses des nouveaux responsables politiques désirant plus de compétences et de responsabilités locales. Ils développent une vision très négative de l’Etat-jacobin, présenté comme une contrainte, un élément important de l’exil des jeunes, réduisant la marge de liberté des collectivités territoriales en matière de politique de développement économique, derrière lequel se profilerait toujours le spectre du colonialisme. Cette critique témoigne aussi d’un certain renouvellement du débat public, que l’on pourrait caractériser par la généralisation de la comparaison dépréciatrice : le modèle social de la France est constituée en contre-modèle sous le rapport de ses performances devenues insuffisantes et c’est sur la base de ce constat aussi de la future réduction des transferts publics et surtout sociaux que la nécessité de réformes s’imposera comme une évidence logique. Mais nonobstant cela, le hic surtout est que nous vivrons demain un grand bouleversement économique !Le progrès technologique viendra révolutionner l’économie ou tout au moins la faire évoluer notamment en s’immisçant dans les activités traditionnelles.
Les acteurs économiques de ces dernières voient déjà ainsi leur quotidien perturbé. Ils seront à l’avenir de plus en plus concurrencés par de nouveaux protagonistes qui utilisent et maitrisent parfaitement ces nouvelles technologies leur permettant alors d’offrir un service ou un produit au plus près des besoins des consommateurs, une personnalisation de l’offre optimisée. De plus, l’essor de ces nouveaux acteurs économiques est d’autant plus inquiétant pour les acteurs traditionnels qui évoluent dans la sphère économique en Guadeloupe que le poids économique des premiers va croître exponentiellement et forcément l’évolution statutaire ou institutionnelle risque d’être une source de tensions insoupçonnées par nos décideurs.Tous ces éléments renvoient inévitablement à la question de la place de l’Etat et du rôle des collectivités locales dans leur action sur et dans la sphère économique.
Dans ce contexte mouvant et sujet à des évolutions rapides, à notre sens l’Etat se doit de réguler l’économie dite sous serre, pendant la période de transition de la destruction créatrice, afin de trouver cet équilibre nouveau de responsabilités locales de concert avec les élus locaux entre la gestion finissante de la société de consommation d’un côté et l’intérêt général sur le plan social ( Revenu universel de base pour tous )et la Disruption d’une production locale innovante gage d’efficacité économique de l’autre.
« A pa jiwèt la ki ka touné, sé van la »
Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent…
Moralité : Il ne faut pas se fier aux apparences.
Jean marie Nol économiste