— Par Fernand Tiburce Fortuné —
Bernard Hayot, Président et fondateur de la FONDATION CLEMENT, espace muséal et historique, a invité dans ce cadre prestigieux (et aussi chargé d’histoire) de grands artistes béninois et le Président de la République du Bénin.
L’affiche de l’événement est somptueuse et a toute la magnificence de celle, en 1989 déjà, composée par l’artiste trinidadienne Carol Maugé, lors de la rencontre à l’Université de Howard, Washington DC, qui célébrait la communion extraordinaire « Fwomajé-Africobra ».
A la baguette, le téléphone en action, l’œil partout sur l’organisation qui fut remarquable, le Maître de cérémonie, l’incontournable Florent Plasse.
On a voulu transformer cette invitation en événement politique, et la violente polémique contestataire autour de cette manifestation culturelle de haut niveau pictural, intellectuel, spirituel et esthétique a révélé que certains d’entre nous, assurément de bonne foi et campés sur leurs intimes convictions, veulent nous faire accroire, en 2023, que les différences sont toujours irréductibles, alors que Bernard Hayot, notre hôte, un Martiniquais, clamait haut et fort que les différences ne sont pas des contraires.
Je ne veux retenir de l’un des contestataires, un vieux camarade de combat à Zanma, la Parole au Peuple, le MIM et l’Assaupamar, que l’image du brillant rapporteur efficace, rassembleur au moment décisif des débats sur l’adoption par le Congrès de l’article 74, qui nous gardait – malgré tout -dans le giron de la France néo-coloniale.
Dans un article qui date déjà de 33 ans, à l’occasion d’une exposition du Groupe de plasticiens martiniquais Fwomajé chez Louis de Lucy, je développais longuement le souhait que les Békés prennent la parole, parole que nous aurions confronté à la nôtre pour acter les oppositions, peser les convergences et ouvrir les perspectives d’une rencontre improbable sur un chemin jugé impraticable.
Toutes les voies, à l’époque, semblaient barrées et j’osais prétendre, m’appuyant sur les idées du Groupe Fwomajé et en particulier sur la thèse de doctorat de René Louise (« Le Marronisme moderne » ) que l’ART pourrait bien être le lien qui rapproche, c’est-à-dire qui nous mène là où l’esprit, au-delà des différences et divergences, au-delà des lectures contradictoires de l’Histoire commune, nous rehausse à hauteur d’Homme.
Césaire fait dire à un héros d’une de ses pièces de théâtre qu’il y avait nécessité à ne pas se précipiter et que la raison imposait de faire un pas, puis un autre. C’est ce que les Békés ont fait en reconnaissant, avant la loi Taubira (mais je peux me tromper), que l’esclavage était un crime contre l’Humanité. Césaire a planté, le 17 décembre 2001, avec à ses côtés Bernard Hayot, dans les Jardins de l’espace de la Fondation Clément, un Courbaril de la Réconciliation. Plus tard, le « Président » actuel de la Collectivité territoriale de la Martinique a commémoré le 12ème anniversaire de cet événement aux côtés du même Bernard Hayot.
Bien sûr de tel actes symboliquement puissants, rassurants pour l’intelligence, ne résolvent pas tous les problèmes tant, de part et d’autre, les débris de l’histoire encombrent lourdement nos cerveaux et notre entendement. Bien sûr, comme je l’écrivais dans ce texte vieux de 33 ans (publié par deux fois par notre revue Antilla et sur le site de Montraye Kreyol), il y a dans les murs et sols des plantations des anciens maîtres (ou du Mulâtre Clément, ou de l’Habitation Fonds Saint-Jacques) des rivières de nos larmes, des torrents de notre sang et le bruit encore assourdissant de nos cris et hurlements. Même l’audace de nos silences hardis, assiré, pa pétèt. Mais je disais qu’il y avait aussi au plus profond de ces lourdes pierres, des traces fortes, indélébiles de notre génie et de notre savoir faire. On n’a pas construit ce pays sans que la tête de l’Homme n’agisse ou n’interagisse avec l’environnement humain ou matériel. Combien d’entre nous sont convaincus que nous avons, nous aussi, bâti ce Pays-nôtre ? Que nous avons, nous aussi, été des acteurs de cette terrible Histoire ? Que nous n’avons pas seulement subi cette Histoire inhumaine? Nos combats, notre certitude d’opposer notre humanité à la barbarie, notre conviction que la résistance – même la plus anodine- était nécessaire pour combattre les entreprises diaboliques des esclavagistes (de tous bords), notre force de caractère face à la douleur dans nos chairs, notre capacité à vouloir rester debout, tout cela fait que nous sommes vivants, bien vivants aujourd’hui et que malgré une adversité terrifiante, l’Homme est demeuré en nous. Ce Pays-nôtre qui rayonne dans le Monde (voire le « Tout-Monde ») a développé des idées puissantes pour la compréhension des relations humaines, a décortiqué savamment le fonctionnement et le rôle du colonialisme, a instruit une pensée philosophique d’un nouveau vivre ensemble.
« Un pas, puis un autre », rappelais-je.
Dans son discours, d’une sincérité vraie (il ne faisait pas rôle, piès pa !), dans le rappel des grands événements organisés par la Fondation, seule ou en collaboration avec des Institutions prestigieuses, Bernard Hayot, a prouvé qu’il avait fait 10 pas et qu’il était encore capable d’en faire 10 autres. Capable donc d’avancer pour ôter du chemin qui doit rendre possible la rencontre, les obstacles divers, les pièges, les ronces encore laissés en place, d’un côté comme de l’autre, pour maintenir la revendication intacte.
L’Art comme moteur de l’apaisement ?
Nous ne demandons pas à l’Art, un Art encore élitiste, de faire oublier le passé -ce qui ne serait pas une solution- mais au moins de nous permettre d’arrêter définitivement le constat de l’Histoire et d’asseoir une fois pour toutes les responsabilités. Mais, ma prédiction d’il y a 33 ans – en ce qui concerne les Békés, car il ya d’autres Institutions martiniquaises qui œuvrent avec talent pour la découverte et l’enseignement de l’Art- est en marche.
Dans son discours du 17 décembre, comme dans d’autres, Bernard Hayot n’élude pas le problème de l’esclavage, et en accueillant les artistes béninois – qui portent le sang de nos ancêtres esclavagisés- il interpelle une « histoire commune tissée dans la souffrance ». Après avoir rappelé l’épisode de la plantation de Courbaril de la Réconciliation, il reconnaît Césaire comme une figure martiniquaise fondamentale. Cette qualification est comme un clin d’œil qui a tiré de nous un sourire.
Et mieux encore, Bernard Hayot fait une avancée inattendue, mais pas étonnante, en proposant de lancer un concours parmi les artistes antillais pour l’érection dans les jardins de l’Habitation Clément d’un monument dédié à l’esclavage.
Ce ne sont pas là des idées en l’air. Nos artistes les meilleurs devront être présents, devront répondre présents et se mettre à l’ouvrage. Il ne s’agira pas de figer l’Histoire et dire que tout est réglé. Il ne s’agira pas de donner quitus à Bernard Hayot et aux siens. Il s’agira de dire l’Histoire, de marquer l’Histoire. D’imposer l’Histoire, de la rendre visible. Même pour beaucoup de notre Majorité, encore récalcitrants et dressés sur leurs ergots au simple prononcé du mot esclave. Ce monument, certes, ne dira peut-être pas encore la fraternité, la tolérance, la paix, l’unité, le rassemblement que Bernard Hayot et bien d’autres parmi nous, appellent de leurs vœux. Il y a encore des pas à faire. Faisons en sorte que Nous, la Majorité, ne fassions pas marche arrière. Notre dignité, notre intelligence, notre capacité à comprendre le Monde et notre volonté de conquérir le Monde, notre désir fort de partager avec le Monde, tout cela Bernard Hayot le connait et l’a intégré dans sa démarche. Il sait aussi, comme nous, la Majorité, qu’en revanche, nous avons du mal à partir à la conquête de ce Pays-nôtre. Difficultés incommensurables à nous rassembler pour bâtir la Tour de Saint-Exupéry, cité par le Préfet de la Martinique, présent lui aussi.
Dans un courrier qui date de deux ans, resté sans réponse, j’avais proposé à une Institution de la place, pour appuyer la demande de revendication identitaire affirmée dans un discours inaugural, que l’on donnât aux artistes du Pays-nôtre, la possibilité d’ériger des statues aux Grands Hommes ou Femmes qui ont agi dans le bien de la Martinique ou qui ont œuvré pour son Histoire. Ces statues pourraient, comme l’allée des lions en Egypte, border l’allée qui mène de la grille à la porte d’entrée principale de cette Institution. Une plaque commémorative posée sur chacune des œuvres, pourrait aussi expliquer aux visiteurs et surtout aux enfants, le nom et les actions entreprises par ces Hommes ou Femmes dont nous sommes redevables de certains progrès dans beaucoup de domaines. Dans mes pensées il y avait bien sûr, l’ancien Maire et Conseiller Général du Carbet, celui qui y a fait construire la piscine olympique. Certains diront, qu’avec sa proposition citée plus haut, le Béké les a doublés.
Nous avons apprécié le discours du jeune et talentueux ministre de la Culture du Bénin, qui nous a expliqué que cette exposition itinérante s’appuyait à la fois sur la tradition et la modernité. Nous avons écouté –avec prudence – le discours souriant de M. Talon, Président de la République du Bénin, venu en pèlerinage en Martinique, et qui nous a salués avec un vibrant: « Vive chez vous ! ».
D’autres plus avisés et connaisseurs que moi exposeront en détail le sens du travail et les techniques mises en œuvre par les artistes béninois. Certaines d’entre-elles sont « inimaginablement » belles et forcent l’admiration. Cette exposition va durer un certain temps et mérite absolument d’être vue.
Des artistes martiniquais de renom, bien connus, étaient présents en toute fraternité et en grande confraternité. Notre musique au plus haut niveau et symbole même d’un partage des cultures, des coutumes et pratiques instrumentales, était là avec le groupe Malavoi.
Pour finir, je n’oserai pas dire que la Culture était assiégée. Soyons bon prince, le Préfet a voulu la protéger, en professionnel qu’il est. Il y a certainement des protocoles particuliers et une organisation spécifique autour de la protection d’un Président de la République, M. Talon. Mais la police et la gendarmerie, (l’armée ?) étaient selon moi – mais je n’y connais rien – sur-représentés.
Mais tout s’est bien passé dans le calme. On oubliera Talon, on oubliera la polémique, mais l’Art béninois d’une intensité incroyable restera, et pour longtemps, dans nos têtes et nos yeux éblouis.
© Fernand Tiburce FORTUNE
16/12/2023
© Fernand Tiburce FORTUNE
16/12/2023
Art contemporain du Bénin
Jeudi 14 décembre 2023
Le François
Martinique