—-Par Selim Lander —
Adaptée par Sylvain Coher de son roman biopic qui raconte l’histoire assez passionnante de Abebe Bikila, premier Africain médaillé d’or aux jeux olympiques (épreuve du marathon, Rome 1960), labellisée « Olympiades culturelles Paris 2024 », présentée à la Manufacture (hors les murs) lors du dernier festival d’Avignon, Vaincre à Rome avait tout pour convaincre le public martiniquais. Programmée trois soirs de suite la pièce ne parvient pourtant pas à faire salle comble, contrairement à beaucoup d’autres (le programme proposé aux amateurs de théâtre, que ce soit au TAC ou à l’Atrium, n’est pas si abondant, loin de là, pour empêcher les amateurs de tout voir, s’ils le désirent). Madinin’art – dont on ne dira jamais assez quel rôle il joue pour réveiller les acteurs et les spectateurs martiniquais – a déjà publié sous une « plume » anonyme mais que l’on devine être celle de son directeur un article sur ce « superbe spectacle ». La critique, néanmoins, est un art très éloigné de toute science. J’ai souvenir – ou souvenance – d’un stage animé par un des meilleurs critiques métros à l’intention des critiques martiniquais (amateurs, car qui serait disposé à les professionnaliser, soit, en un mot, à les payer ?), stage très convivial mais dont il n’était sorti rien de concret. Le critique, seul en face de sa subjectivité, armé de sa seule expérience des spectacles déjà vus, est entièrement libre de ses opinions, exception faite des quelques critiques stipendiés qui ont tendance à laisser leur sens… critique de côté, comme on peut s’en convaincre en lisant leur prose ou en les écoutant sur certains médias nationaux.
Le directeur de Madinin’Art n’est pas stipendié et il a déjà suffisamment heurté certains créateurs locaux en disant franchement ce qu’il pensait de leur travail pour qu’on ne doute pas de sa sincérité. Notre article n’est donc qu’une confirmation de plus du caractère éminemment subjectif des critiques (d’art, de musique, de cinéma, de littérature, de théâtre aussi bien). À prendre, donc, avec des pincettes.
Premier critère personnel et subjectif : me suis-je ennuyé ou pas ? Réponse, pas tout le temps certes, mais oui. Très peu de moments dramatiques. L’on ne comprend (je ne comprends) pas bien pourquoi le coureur s’effondre par deux fois, tout au plus ai-je admiré la manière qu’a l’interprète de chuter. Quant aux états d’âme de l’épouse de l’athlète : oui, mais encore ?
Deuxième critère : le décor. Ce n’est pas le plus important, loin de là. Aujourd’hui beaucoup de pièces se jouent sans aucun décor et cela ne gêne personne. Mais quand il y a un décor, on est bien obligé de le regarder. À jardin, des quelques objets censés évoquer le logis du coureur émanent une impression de tristesse. La présence d’une sorte de trône, énigmatique, n’ajoute que de la confusion. Où sommes-nous, en Éthiopie, patrie de l’athlète ? Rien ne permet de le croire. Le praticable qui représente la route des marathoniens est heureusement plus convaincant. Match nul, donc pour ce critère.
La musique : bon point. Le musicien sur le plateau rythme la course du marathonien ou tire des sons mélancoliques de sa scie musicale.
Les lumières n’ont rien de frappant, ce qui n’est pas nécessairement mauvais en soi. Plus ennuyeuse l’extinction prématurée des trois torches sur le plateau. Le parcours du marathon, en 1960, était en effet balisé, apprend-on, par des soldats italiens porteurs de torches.
Les comédiens : c’est encore affaire de ressenti mais le jeu des deux hommes blancs (dont le metteur en scène) ne nous a pas convaincu, comme si, par moment, ils ne parvenaient pas entrer vraiment dans leur personnage. Par contre la comédienne qui joue l’épouse de Bikila tire plutôt bien son épingle du jeu, malgré un début un peu laborieux, et le comédien-danseur qui interprète Bikila livre une performance physique impressionnante.
La mise en scène est sans surprise. Et c’est dommage.
Le « pitch » : intéressant, sans aucun doute, tant le destin de ce Bikila, qui fut membre de la garde impériale d’Haïlé Sélassié, paraît extraordinaire. À partir de là, il fallait construire une pièce qui nous bouscule un peu. Nous bousculer, c’est ce qui fait le plus défaut à Vaincre à Rome.
En tournée au TAC, Martinique, du 23 au 25 novembre 2023.