— Rapporteur Johnny Hajjar —
Le 9 février 2023,à l’initiative de MM. Johnny Hajjar, Christian Baptiste, Elie Califer, Philippe Naillet, Boris Vallaud et plusieurs de leurs collègues, Califer, Philippe Naillet, Boris Vallaud et plusieurs de leurs collègues, l’Assemblée nationale a décidé à l’unanimité de créer une commission d’enquête chargée d’étudier et d’évaluer l’ensemble des mécanismes qui concourent au coût de la vie,c’est-à-dire à la vie chère, dans les départements et régions d’outre-mer –la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, la Réunion et Mayotte –et dans les collectivités d’outre-mer –la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna….
Aux termes de l’exposé des motifs de la résolution qui l’a créée, cette commission d’enquête a eu pour mission d’examiner le rôle de quatre déterminants,à la fois structurels et conjoncturels : des niveaux de vie et de revenus significativement moins élevés, des prix effectivement et fortement plus élevés qu’en Hexagone, un sous-financement des collectivités territoriales, un traitement de l’État injuste et inéquitable vis-à-vis de ces territoires.
Un niveau de vie médian qui reste très inférieur à celui constaté en France hexagonale (enquête Insee Budget de famille de 2017) :
Martinique : 1 360 €/mois
Guadeloupe : 1310€/ mois
La Réunion : 1 160 €/mois
Mayotte : 260 €/mois
France hexagonale : 1 700 €/mois
Les prix moyens en Outre-mer sont en revanche nettement supérieurs à ceux pratiqués dans l’Hexagone(enquête Insee de comparaison spatiale des prix de 2022):
+ 15,8 % en Guadeloupe,
+ 13,8 % en Martinique,
+ 13,7 % en Guyane,
+ 8,9 % à La Réunion
+ 10,3 % à Mayotte
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Le coût de la vie élevé dans les Outre-mer est un phénomène lié à des prix plus élevés, mais surtout à des revenus plus faibles. Les habitants des départements et régions d’outre-mer ont globalement un niveau de vie plus faible qu’en France hexagonale et les inégalités y sont plus marquées, encore plus en Guyane et à Mayotte.
Ainsi, d’après la dernière enquête disponible Budget de famille réalisée par l’Insee en 2017, le niveau de vie médian se situe en Martinique et en Guadeloupe respectivement à 1 360 et 1 310 euros mensuels, soit 20 % et 23 % de moins que le niveau de vie médian en France hexagonale (1 700 euros par mois). Celui de La Réunion (1 160 euros mensuels) est inférieur d’un tiers au niveau de vie médian de l’Hexagone et celui de la Guyane de moitié. À Mayotte (260 euros), il ne représente qu’un sixième de la valeur hexagonale. Depuis, la crise liée à l’épidémie de Covid19 n’a pu qu’aggraver cette situation.
Dans le même temps, en 2022, les prix sont supérieurs à ceux pratiqués dans l’Hexagone : les écarts de Fischer constatés avec l’Hexagone sont de 15,8 % en Guadeloupe, de 13,8 % en Martinique, de 13,7 % en Guyane, de 8,9 % à La Réunion et 10,3 % à Mayotte. Si ces écarts ne sont pas nouveaux, ils continuent de se creuser d’année en année : en 2018, les écarts observés étaient de +12 % en Martinique et en Guadeloupe, +11,7 % en Guyane et +7 % à La Réunion et à Mayotte.
S’ils concernent la quasi-totalité des secteurs économiques, ces écarts sont particulièrement importants en matière de produits alimentaires : en 2022 leurs prix étaient de + 42 % en Guadeloupe, + 40 % en Martinique, + 39 % en Guyane, + 37 % à La Réunion et + 30 % à Mayotte, par rapport aux prix alimentaires hexagonaux. Le rapport s’intéresse ainsi à d’autres secteurs et notamment celui du transport aérien et maritime, du logement, des télécommunications, de la santé, ou encore des banques.
La combinaison de ces facteurs a produit des conséquences insupportables : mal développement, insécurité, chômage endémique, précarité et extrême pauvreté, crises socio-économiques récurrentes, graves dégradations de l’offre publique de santé ….
Ce problème global du coût de la vie et donc de vie chère dans les territoires ultramarins résulte en parties de causes structurelles :
l’éloignement géographique, engendrant des coûts d’approche et de stockage renchérissant les prix;
l’insularité,sauf en Guyane, source d’isolement et de difficultés logistiques;
l’exiguïté des marchés à desservir–facteur moins important à La Réunion–expliquant la faiblesse des économies d’échelle potentielles, les faibles débouchés,les problèmes liés au manque de foncier.
Mais celles-ci, qui ne sont ni inéluctables ni une fatalité,ne suffisent pas à l’expliquer.
Le rapport pointe en effet la responsabilité du modèle économique des territoires ultramarins. Malgré des potentialités énormes de ces territoires qui font de la France, dans plusieurs domaines, une puissance mondiale, celui-ci est caractérisé par :
une faible concurrence,
une production locale insuffisante voire trèsfaible,
des importations historiques et massives depuis la France et l’Europe–au détriment de la production locale–en raison d’un modèle de consommation calqué sur celui de l’Hexagone.
la présence d’oligopoles et de monopoles et la multiplication des intermédiaires –et donc des coûts– dans la chaîned ’approvisionnement. De ce fait, le rôle des armateurs, dont le rapport analyse la situation, est prépondérant.
Le rapport s’intéresse également aux acteurs économiques de la grande distribution dans ces territoires, à l’organisation trèsmorcelée, agissant souvent comme titulaires de franchises de la part de distributeurs nationaux qui font le choix de ne pas s y installer eux-mêmes, et au cœur, comme l’avait relevé l’Autorité delaconcurrence en 2019, de schémas de concentration horizontale–en détenant de nombreux acteurs économiques locaux dans de nombreux secteurs et verticale–en possédant plusieurs acteurs de la chaîne d’approvisionnement.
Ainsi, le rapport met notamment en lumière :
l’existence d’importants importateurs, fournisseurs, et grossistes locaux, détenant une exclusivité de fait dans la distribution de certaines marques nationales, à défaut d’une exclusivité de droit désormais interdite. Dans une telle situation, un acteur économique devient donc faiseur de prix ;
des petits producteurs locaux, notamment dans l’agriculture, soumis au pouvoir économique des grands groupes, dont la concentration s’est consolidée au fil du temps, qui sont à la fois importateurs grossistes et distributeurs et qui imposent des prix d’achat en dessous du prix de revient pour ces producteurs captifs.
Le rapport pointe aussi, le manque de transparence des acteurs de la grande distribution, sur leurs comptes –en préférant payer une amende plutôt que de respecter la loi et de déposer leurs comptes –comme sur les marges, en particulier les marges arrières, pratique jugée contraire à l’éthique économique et qui ne bénéficie pas au consommateur en bout de chaîne.
es 73 et 74 de la Constitution
Le rapport fait clairement ressortir l’inefficacité des outils mis en place par l’État pour réguler certains prix en outre-mer –notamment les limites du bouclier qualité prix (BQP) –et pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, et dénonce plus généralement le manque de volonté des pouvoirs publics, tout en marquant leurs défaillances historiques dans la lutte contre ces phénomènes.
Il regrette notamment l’efficacité très limitée de l’application des règles du droit de la concurrence spécifiques aux Outre-mer –telle l’injonction structurelle –et le manque de moyens des Observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), mais aussi des services statistiques et des autorités de concurrence, qui manquent de coordination, de moyens et d’expertise sur les spécificités de ces territoires.
Ce manque conséquent de connaissances, de contrôle, de régulation d’État et de vision globale favorise la consolidation des concentrations économiques dans le temps, l’accroissement des inégalités et la captivité des peuples et populations des territoires ultramarins.
Il en résulte une situation devenue urgente et critique dans ces territoires, encore marqués, outre leur modèle économique spécifique, par des inégalités liées à leur histoire coloniale, alors que ces territoires présentent des potentialités énormes faisant de la France une puissance mondiale.
Le rapport dénonce également le sous-financement des collectivités territoriales, défavorisées dans l’attribution des dotations de l’État. S’il approuve la nécessité de le réformer, le rapport réfute en revanche le rôle prépondérant de l’octroi de mer dans la cherté de la vie, et invite à étendre la réflexion sur la fiscalité ultramarine globalement où la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prélevée par l’État s’additionne à l’octroi de mer institué et perçu par les collectivités territoriales.
Face à ce constat et à la gravité de cette situation, le rapport propose d’agir structurellement et conjoncturellement simultanément au travers d’un « plan de déchoquage économique et social en faveur des Outre-mer », décliné en 68 mesures multidimensionnelles, à associer en fonction des réalités et singularités propre à chaque territoire, à traduire dans une programmation concrète à court, moyen et long terme.
Le rapport propose un diagnostic global et détaillé. Il s’agit, en synthèse et manière endogène, d’agir concrètement pour réduire les inégalités de niveaux de vie entre les Français de l’Hexagone et ceux de l’Outre-mer par l’augmentation des revenus des ménages, la baisse des prix, le renforcement de l’accompagnement à l’investissement public et privé mais aussi par la mise en œuvre de la subsidiarité dans le cadre des politiques publiques. Chaque territoire ultramarin pourra puiser dans cette boîte à outils les propositions qui lui conviennent.
Parmi ces mesures proposées figurent notamment :
Organiser, dans chaque territoire, les états généraux du coût de la vie et du pouvoir d’achat Outre-mer, pour établir une feuille de route consensuelle et concertée sur la durée et décliner un programme d’actions convergentes et partagées.
Obtenir une baisse des prix de l’ordre de 10 à 20 % sur l’ensemble des références, en négociant avec les grands groupes une diminution des marges de l’ensemble des acteurs des filières et en réglementant les prix, c’est-à-dire en bloquant les prix des produits de première nécessité.
Pour baisser les prix des produits de première nécessité, expérimenter, pour une durée limitée, un dispositif de compensation intégrale des coûts d’acheminement de ces produits de première nécessité.
Pour augmenter le niveau de revenu, favoriser la consommation et la création de richesse endogène: tendre vers une hausse des salaires ultramarins, de l’ordre de 20 %, en réunissant une conférence sociale, et créer une prime de vie chère de 20 % également pour les salariés du secteur privé, financée par une taxe sur les profits des grandes entreprises opérant en Outre-mer sans obérer la compétitivité des PME. Cette taxe prélevée sur les grands groupes permet de ne pas augmenter les charges des petites et moyennes entreprises.
Pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages, l’activité économique et maintenir localement la richesse créée dans chaque territoire, à court terme: rétablir les plafonds de la réduction d’impôt sur le revenu des contribuables ultramarins, et affecter les recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) des trois départements d’outre-mer dans lesquels elle existe –Guadeloupe, Martinique et La Réunion –aux ménages modestes sous la forme d’une allocation destinée à acheter des services et des produits issus des circuits courts; majorer les prestations sociales légales versées Outre-mer d’un complément égal au différentiel de coût de la vie avec l’Hexagone.
Pour garantir la concurrence et un développement économique sain, éthique et équitable: contrôler les concentrations Outre-mer dans tous les secteurs économiques dès que le chiffre d’affaire réalisé dans les territoires ultramarins atteint 5 millions d’euros.
Pour augmenter la production locale, favoriser l’initiative locale et la création d’activité et d’emploi : Simplifier les procédures et raccourcir les délais d’instruction pour les financements et subventions aux petites et moyennes entreprises, et réformer les règles d’attribution des fonds du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Posei) afin de les conditionner notamment à un critère de diversification de la production locale ; accompagner les petits producteurs, les petites et moyennes entreprises dans leur développement dans une logique de démocratie économique.
Pour sauvegarder et développer l’essentiel du tissu économique, créer de la richesse et de l’emploi: créer des zones franches globales et des ports francs c’est-à-dire des territoires zéro charges fiscales et sociales, où les TPE et PME seraient exonérées pendant dix ans de cotisations fiscales et sociales, à condition de créer des emplois et de recruter, en étant aidées pour embaucher des résidents du territoire ultramarin concerné.
Pour notamment augmenter la capacité de production locale, développer l’exportation, créer des activités nouvelles, des emplois et créer de la richesse supplémentaire: créer des filières industrielles de transformation pour le marché local et l’exportation à partir de matières premières importées de l’environnement régional et créer des pôles d’exportation de services et d’expertises locales.
Pour respecter l’équité entre Français, dans le cadre de la continuité territoriale: garantir des prix raisonnables pour les prix des billets d’avion en appliquant aux Outre-mer le dispositif en vigueur pour la Corse, en y affectant un financement public équivalent; pour encourager et favoriser le retour des forces vives, accorder une priorité d’affectation dans leur territoire d’origine des lauréats ultramarins des concours de la fonction publique.
Pour redonner de la capacité d’investissement local aux ménages, entreprises et associations: compléter la loi en interdisant aux établissements bancaires de pratiquer des tarifs supérieurs dans les territoires ultramarins aux tarifs pratiqués en France hexagonale pour les mêmes prestations.
Pour rétablir la capacité d’investissement publique des collectivités locales d’Outre-mer: rétablir le montant de leurs dotations au niveau de 2013 avant l’application de la contribution solidaire au redressement des finances publiques, avec rattrapage de l’inflation et indexation sur le coût de la vie pour les années suivantes.
Pour favoriser l’investissement public local d’État et des collectivités locales: faciliter localement la gestion et la consommation de crédits dédiés à l’Outre-Mer, en accroissant la fongibilité des crédits entre les différents budgets opérationnels de programmes contributeurs aux contrats de convergence et de transformation.
Pour développer la concurrence et favoriser le désenclavement des territoires insulaires: favoriser la création d’une nouvelle compagnie aérienne par zone océanique (océan Atlantique, océan Indien, océan Pacifique), à l’instar du projet Toucan.
Pour améliorer l’offre de service publique de santé par compensation des surcoûts liés à l’insularité et réduire les inégalités avec l’Hexagone: Revoir en urgence les coefficients géographiques et augmenter les dotations de financements des missions d’intérêt général des hôpitaux ultramarins.
Pour favoriser les échanges économiques avec les pays présents dans l’environnement voisin des territoires ultramarins et élargir le périmètre et le marché économique: renforcer les dispositions de la loi Letchimydu 5décembre 2016 et la responsabilité locale pour agir dans le cadre d’une véritable diplomatie territoriale.
Enfin, dans le respect de la volonté des peuples et des populations des territoires ultramarins, poursuivre la concertation et la réflexion sur le plan institutionnel, en envisageant le transfert aux collectivités ultramarines qui le souhaitent du pouvoir normatif nécessaire au développement notamment économique et social, en matière d’aménagement du territoire, de transport, d’énergie, d’écologie, de régulation économique, d’échanges commerciaux, d’aides et subventions, de diplomatie territoriale, de continuité territoriale ou de fiscalité. Il s’agit, dans une logique, de responsabilité, de subsidiarité et d’efficacité, de pouvoir localement initier et d’adapter les lois et règlements, et donc les politiques publiques régionales et de proximité, aux réalités et aux différences locales dans un objectif d’épanouissement humain, individuel et collectif. De surcroit, il conviendrait d’encourager l’État à co-construire ses politiques publiques avec les collectivités locales ultramarines.
« Lorsque le patient est en état d’arrêt cardiaque, il n’est plus temps de prendre des mesures palliatives. Il faut que l’État, en partenariat avec les collectivités et les forces vives locales, mette en place un grand plan d’investissement productif, comportant des moyens financiers exceptionnels pendant au moins une décennie, afin de susciter un choc d’activité, de créer de la confiance et d’inciter les initiatives privées à investir, afin d’accroitre le niveau de vie des peuples des territoires ultramarins et de réduire durablement les inégalités entre l’Hexagone et les territoires dits d’outre-mer. »
Johnny Hajjar, rapporteur
Au rapport d’enquête, rédigé par le rapporteur et adopté par la commission d’enquête, s’ajoutent en annexe la contribution du président de la commission d’enquête, M. Guillaume Vuilletet (Renaissance –Val d’Oise) et les contributions des députés membres représentants des groupes politiques (Renaissance, Rassemblement national, La France Insoumise –NUPES, Les Républicains, Socialistes, Gauche démocrate et républicaine –NUPES, Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires), développant leurs propres analyses et leurs propres propositions.