— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —
La parution le 10 novembre 2023, sur le site Rezonòdwès.org, de notre article « Le remarquable discours de la « superstar » du PHTK néo-duvaliériste Nesmy Manigat à la 42ème Conférence générale de l’UNESCO », a été suivie le 12 novembre 2023 d’une correspondance spéciale adressée à Mme Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO. Dans le contexte de l’amplification de l’insécurité au pays mise en œuvre par les bandes armées plus ou moins liées au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au pouvoir en Haïti, alors même que la survie de l’École haïtienne où sont scolarisés plus de 3 millions d’élèves est en jeu, notre correspondance spéciale à Mme Audrey Azoulay s’avère être d’intérêt public. Par la publication de cette correspondance, nous apportons aux lecteurs un regard citoyen sur le naufrage avéré du système éducatif national que tente de camoufler et de banaliser une institution –le ministère de l’Éducation nationale d’Haïti– et son actuel titulaire, le ministre de facto Nesmy Manigat. Les enjeux sont énormes, il faut en prendre toute la mesure : la survie de l’École haïtienne est menacée, la scolarisation de plus de 3 millions d’élèves est gravement compromise, et la société civile organisée doit en se mobilisant inventer une réponse solidaire et rassembleuse à la catastrophe éducative en cours. Notre correspondance spéciale adressée à Mme Audrey Azoulay a été acheminée en copie conforme aux Bureaux régionaux de l’UNESCO à l’échelle internationale, au ministre de facto de l’Éducation nationale d’Haïti, au recteur de l’Université d’État d’Haïti, au recteur de l’Université Notre-Dame d’État d’Haïti, au recteur de l’Université Quisqueya, à la Délégation de l’Union européenne en Haïti, à l’Observatoire européen du plurilinguisme ainsi qu’à la presse haïtienne. Dans un second temps, cette correspondance spéciale à Mme Audrey Azoulay a également été acheminée à la CARICOM, à l’Association des professeurs de français et de créole d’Haïti, à l’UNICEF, à la FIPF (Fédération internationale des professeurs de français), au Protecteur du citoyen en Haïti, au Partenariat mondial pour l’éducation (Global Partnership for Education), à la FIDH (Fédération internationale pour les droits humains), au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), au Bureau international des droits des enfants, etc.
Mme Audrey Azoulay
Directrice générale
UNESCO
7, place de Fontenoy
Paris
France
C.C. : Bureaux régionaux de l’UNESCO à l’échelle internationale
C.C. : Nesmy Manigat
Ministre de l’Éducation nationale d’Haïti
C.C. : Fritz Deshommes
Recteur
Université d’État d’Haïti
C.C. Jacky Lumarque
Recteur
Université Quisqueya
C.C. : Père Jean-Marie Louis
Recteur
Université Notre-Dame d’Haïti
C.C. : Délégation de l’Union européenne en Haïti
C.C. : Observatoire européen du plurilinguisme
Montréal, le 12 novembre 2023.
OBJET / Intervention de M. Nesmy Manigat, ministre de l’Éducation nationale d’Haïti, à la 42ème Conférence générale de l’UNESCO
Madame la Directrice générale de l’UNESCO,
Linguiste-terminologue canadien originaire d’Haïti et spécialiste de l’aménagement linguistique, je suis particulièrement ravi de vous acheminer, en pièce jointe, mon analyse de l’intervention du ministre de l’Éducation nationale d’Haïti à la 42ème Conférence générale de l’UNESCO tenue à Paris le 8 novembre 2023. Le document que je soumets à votre vigilante appréciation a pour titre « Le remarquable discours de la « superstar » du PHTK néo-duvaliériste Nesmy Manigat à la 42ème Conférence générale de l’UNESCO ».
J’attire votre attention sur les caractéristiques socio-politiques de la situation actuelle en Haïti qui ont été totalement éludées par M. Nesmy Manigat durant son intervention marquée, entre autres, par une volontaire amnésie sélective. La situation politique actuelle en Haïti a des effets dévastateurs considérables sur les écoles haïtiennes où sont scolarisés environ 3 millions d’élèves.
Pour mémoire, il y a lieu de rappeler que la situation politique aujourd’hui en Haïti se caractérise principalement (1) par la criminalisation/gangstérisation du pouvoir politique et de la gouvernance du pays mise en œuvre, avec l’appui public du Core Group, par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste ; (2) par le quasi-démantèlement des institutions de l’État que le PHTK n’a de cesse de rançonner et de dépecer au fil des assauts des ayant-droit de la « rente financière d’État » ; (3) par la concentration totalitaire des pouvoirs du Parlement haïtien, de la Primature et de la Présidence par Ariel Henry, le supplétif et homme de main du PHTK inconstitutionnellement nommé « Premier ministre » par le Core Group ; (4) par la mainmise violente des bandes armées sur plusieurs quartiers de la capitale et nombre de territoires de la province ; et (5) l’augmentation constante du nombre de victimes de l’insécurité résultant de l’action des bandes armées plus ou moins liées au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste et au secteur mafieux de la grande bourgeoisie compradore. Ainsi, le CARDH (Centre d’analyse et de recherche en droits humains) a récemment confirmé que « 1 564 personnes ont été tuées et 901 autres enlevées, du 1er janvier au 30 septembre 2023, dans le contexte du climat de terreur qui sévit en Haïti, notamment dans la zone métropolitaine de la capitale, Port-au-Prince (…) et quelque 200 mille cas de personnes déplacées (dont la moitié sont des enfants), à cause des violences, ont été signalés, selon les Nations unies » (AlterPresse, 12 octobre 2023).
Selon l’évaluation menée par le MENFP et l’UNICEF, plus de 500 sur 976 écoles évaluées sont dysfonctionnelles ou inaccessibles tandis que 54 d’entre elles sont complètement fermées depuis plusieurs mois, en grande majorité à cause des rivalités entre groupes armés, des affrontements entre les gangs et la police, ou des problèmes d’accès des enseignants dans ces zones » (voir le communiqué de presse paru le 23 juin 2022 sur le site officiel de l’UNICEF en Haïti, « Haiti : une école sur trois est cible de violence à Port-au-Prince »). Selon le site ONU Info, « Les actes de violence armée contre les écoles en Haïti, notamment les fusillades, les saccages, les pillages et les enlèvements, se sont multipliés par neuf en un an, alors que l’insécurité grandissante et les troubles généralisés commencent à paralyser le système éducatif du pays, a averti l’UNICEF jeudi. (…) Au cours des quatre premiers mois de l’année scolaire (d’octobre à février), 72 écoles auraient été prises pour cible, contre huit au cours de la même période l’année dernière. Le bilan comprend au moins 13 écoles prises pour cible par des groupes armés, une école incendiée, un élève tué et au moins deux membres du personnel enlevés, selon les rapports des partenaires du Fonds des Nations Unies pour l’enfance. Au cours des six premiers jours du mois de février, 30 écoles ont été fermées en raison de la montée de la violence dans les zones urbaines, tandis que plus d’une école sur quatre est restée fermée depuis octobre 2022.
Madame la Directrice générale,
Je partage en toute clarté la préoccupation d’un grand nombre d’enseignants et de directeurs d’écoles d’Haïti où la survie même de l’École haïtienne est aujourd’hui menacée. Aussi je joins ma voix à la leur pour vous appeler à prendre des mesures institutionnelles immédiates afin que l’action de l’UNESCO en Haïti s’inscrive dans un partenariat solidaire et novateur avec les enseignants, les associations d’enseignants et les directeurs d’écoles. Dans cette optique, nous vous exhortons à mettre très rapidement en route une révision majeure de la politique d’intervention de l’UNESCO en Haïti en conformité avec sa mission centrale, et, également, afin que l’UNESCO se tienne à distance mesurable de tout appui au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste qui occupe aujourd’hui –de manière inconstitutionnelle et frauduleuse–, la direction politique de notre pays.
Veuillez agréer, Madame la Directrice générale, l’assurance de ma haute considération.
Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue
Repères biobibliographiques du linguiste-terminologue Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue canadien originaire d’Haïti, spécialiste de l’aménagement linguistique, Robert Berrouët-Oriol a longtemps travaillé à l’Office québécois de la langue française où il a contribué à l’analyse, au stockage, à la mise à jour et à la diffusion des vocabulaires scientifiques et techniques de la Banque de terminologie du Québec (aujourd’hui dénommée Grand dictionnaire terminologique). Par la suite il a enseigné la linguistique et la terminologie à la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Depuis avril 2021, il est membre du Comité international de suivi du Dictionnaire des francophones, le DDF. Auteur depuis plusieurs années d’articles de vulgarisation linguistique parus en Haïti dans Le National, il a publié en 2011 le livre collectif de référence « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions » (Éditions de l’Université d’État d’Haïti et Éditions du Cidihca). En 2014 il a publié le livre « Plaidoyer pour une éthique et une culture des droits linguistiques en Haïti / Pledwaye pou yon etik ak yon kilti ki tabli respè dwa lengwistik ann Ayiti (Centre œcuménique des droits humains (Port-au-Prince) et Cidihca (Montréal). Par la suite, en 2017, il a publié, en tandem avec Hugues Saint-Fort, le livre « La question linguistique haïtienne / Textes choisis » (Éditions Zémès et Éditions du Cidihca). Il a fait paraître en 2018 le livre « Plaidoyer pour les droits linguistiques en Haïti / Pledwaye pou dwa lenguistik ann Ayiti » (Éditions Zémès et Éditions du Cidihca). Également, il a coordonné et co-écrit le livre collectif de référence, « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021). Son prochain livre de linguistique, qui paraîtra sous peu en Haïti et au Canada, s’intitule « Haïti – L’œil de la parole, chroniques linguistiques 2011 – 2021 ».
Poète et critique littéraire, Robert Berrouët-Oriol est l’auteur de la première étude théorique portant sur les « écritures migrantes » au Québec, et, en 2010, il a obtenu à Ouessant, en France, le grand Prix de poésie du Livre insulaire pour « Poème du décours » (Éditions Triptyque). Parue en 2021, sa huitième œuvre poétique a pour titre « Simoun » (Éditions Triptyque).
Montréal, le 13 novembre 2023