Bien que Madinin’Art ait déjà dit brièvement, sous la plume de Roland Sabra, tout le bien qu’il fallait penser de Monsieur Lapousyè, on nous pardonnera de revenir sur ce spectacle étonnant, véritable OTNI dans le paysage théâtral martiniquais. Rien d’original pourtant à considérer le résumé, le « pitch » comme il ne convient pas de dire. On peut même dire que le thème est rebattu en nos contrées puisqu’il s’agit d’un vieux Martiniquais parti en France par l’intermédiaire du BUMIDOM et qui se souvient avec quelques fantasmes en prime. Un peu court peut-être ? Oui, mais le théâtre contemporain nous a habitués à des pièces où l’intrigue se réduit à peu de choses et où la forme importe davantage que le fond.
Si l’on doit parler d’objet théâtral non identifié à propos de cette pièce, c’est que les compagnies martiniquaises ne nous ont jamais présenté quelque chose de semblable. Certes, on a déjà vu quelques bons spectacles de marionnettes mais jamais de ce niveau là et celui-ci peut rivaliser aisément avec toutes les pièces de marionnettes importées auxquelles on a pu assister. Quant au BUMIDOM, il n’est pas cité nommément dans la pièce, c’est un clin d’œil au public antillais et les publics d’ailleurs auxquels elle pourra, espère-t-on, être montrée, si ça n’a déjà été fait, n’auront pas besoin d’être avertis de ce qui ne sera jamais pour eux qu’un « détail de l’histoire » pour goûter tout le sel des aventures de ce M. Lapousyè endormi dans son fauteuil.
Tout commence par une fenêtre derrière laquelle deux silhouettes tout de noir vêtues nous adressent des signes. La fenêtre s’ouvre, un escabeau surgit qui permettra à ces personnes de sortir par la-dite fenêtre. Les deux silhouettes au sexe indéfinissable habillées de noir du bas jusqu’en haut, le visage dissimulé par une résille noire, ressemblent à des spectres plutôt maléfiques et le spectateur qui – comme nous ignorait tout de la pièce et d’abord qu’il s’agissait d’un théâtre de marionnettes – est en droit de s’inquiéter un peu. Les deux silhouettes qui se déplacent maintenant sur le plateau pour ajouter quelques éléments de décor, se déplacent, certes, avec élégance, mais le mystère de leur présence reste entier jusqu’à ce que surgisse par la même fenêtre la marionnette « 1 » représentant M. Lapousyè. « 1 » car il y en aura deux autres l’une à l’âge où l’on se marie (avec une dame blanche en l’occurrence), l’autre bébé (avec néanmoins sa tête de vieillard).
Il faut dire quelques mots de cette marionnette particulièrement élaborée, contribution essentielle au succès de ce spectacle. Depuis le temps où l’on amenait les enfants voir des spectacles de Guignol sous des chapiteaux installés dans les recoins des jardins publics, les marionnettes ont beaucoup évolué. Elles sont désormais d’une infinie variété, tantôt minuscules, tantôt plus grandes que nature, dans toutes sortes de matière, avec parfois des mécanismes incorporés – comme c’est la cas ici où l’on voit l’abdomen de M. Lapousyè endormi sur son fauteuil se gonfler et se dégonfler au rythme de sa respiration. Ce dernier peut également ouvrir ou fermer ses yeux globuleux mais c’est alors commandé par l’une des marionnettistes, l’une puisque celles-ci se révéleront du sexe féminin. L’une d’ailleurs finira par ôter son accoutrement de fatma pour apparaître en jeune femme qui se consacre, entre deux ménages, au plus vieux métier du monde. La marionnette a la taille d’un enfant, on peut la démembrer puis lui rendre ses bras et ses jambes sans dommage, ce qui témoigne de sa solidité. À part ça elle apparaît très réaliste, le visage qui est celui d’un vieillard fatigué est très expressif, le regard (lorsque les yeux sont ouverts) plutôt ironique, une casquette de facteur sur le chef. Son accoutrement est celui d’un vieillard solitaire qui se laisse aller.
M. Lapousyè est-il vraiment revenu sur ses vieux jours jusque dans sa Martinique natale et s’enverra-t-il en l’air (c’est ce qui arrive en tout cas à la marionnette) avec la jeune femme ? Peut-être ou peut-être l’a-t-il seulement rêvé, ce n’est pas important, c’est même l’une des grandes qualité de ce spectacle de nous laisser imaginer, comme déjà souligné ici-même par Roland Sabra.
Théâtre de marionnettes, cette pièce est encore un théâtre d’objets : les attributs du facteur que fut M. Lapousyè, des silhouettes cartonnées pour évoquer sa Martinique natale ou le paquebot « Colombie ». Sans oublier la fenêtre, rappel discret des castelets des théâtres de marionnettes d’antan.
Il faut pour finir féliciter l’équipe qui a conçu et réalisé ce spectacle, en commençant pour une fois par le côté technique, soit Catherine Krémer pour la confection des marionnettes et Annick Serret Amirat pour les costumes. Les deux marionnettistes ensuite : Murielle Bedot, danseuse qui, une fois dépouillée de sa défroque, endossera le rôle de la femme aux mœurs légères et Estelle Butin dont on a pu déjà ici présenter certaines créations. Rita Ravier (à saluer une nouvelle fois pour sa gouaille) et Jean-Pierre Montenot aux voix off. Et last but not least, à la conception et à la mise en scène Dominique Guesdon déjà bien connu à la Martinique comme ingénieur lumières et Jean-Claude Leportier (lequel coanime avec Catherine Krémer citée plus haut la compagnie de marionnettes Coatimundi basée en Provence).