Genèse d’une œuvre par Patricia Lollia, artiste peintre
« Irma mon amour » est un polar écrit par Patricia Lépine et Errol Nuissier. Il est publié par les éditions « Jets d’encre »
Sur le fond du cataclysme cyclonique qui a ravagé l’île de Saint-Martin en 2017, Amélia, l’héroïne de cette histoire se retrouve mêlée à un vol. Prise dans un tourbillon incontrôlable où tout l’accuse, Amélia saura-t-elle se disculper et repartir de l’île ?
Les auteurs m’ont proposé de réaliser la première de couverture de leur livre.
J’ai accepté cette proposition mais pourquoi?
Comment une telle œuvre a-t-elle vu le jour ? Quelles sont en fait, les motivations d’un artiste au départ d’un projet ? Quel idéal esthétique nourrit son enthousiasme créateur ?
Je vais tenter d’aborder avec vous ces questions et tout d’abord, je vais évoquer la chronologie de l’affaire.
Un matin du mois d’ Avril, j’ai reçu un appel de Patricia Lépine. La communication passait très mal mais j’ai cru comprendre qu’elle me demandait de réaliser une œuvre afin d’illustrer le livre qu’elle était en train d’écrire avec Errol Nuissier.
Je lui ai répondu que je n’avais pas cette expérience et que j’étais très prise en ce moment car je préparais mon exposition à la POOL ART FAIR.
Je lui ai tout de même demandé de m’en dire un peu plus pour comprendre ce qu’ils attendaient de moi.
Patricia m’a alors dit que l’histoire se déroulait à Saint-Martin en plein cyclone IRMA. Il y avait bien sûr une héroïne qui essayait de faire face à l’ouragan mais aussi à sa relation amoureuse tumultueuse.
La communication passant très mal, je lui ai alors proposé une rencontre dans la semaine.
Quand j’ai raccroché, j’étais un peu abasourdie par la demande. En effet, je suis autodidacte, je travaille depuis peu de temps et j’ai toujours apprécié cette liberté dans la création. Mais là, il me fallait répondre à une commande bien précise.
J’ai alors pris mon cahier de croquis et j’ai commencé à travailler.
Quelques jours plus tard, nous nous sommes rencontrés et là, j’ai pu obtenir quelques informations supplémentaires. Le personnage principal est une métisse d’une trentaine d’années, originaire de l’île de Saba. Elle est avocate et vit à Saint-Martin depuis quelques années.
J’ai alors montré les trois croquis que j’avais déjà réalisés. Je crois que les auteurs se sont trouvés surpris de voir que j’avais déjà réfléchi à la première de couverture d’un roman dont je ne savais rien ou en tout cas, pas grand-chose. A partir de ces premiers jets, le projet a pu alors être affiné.
J’ai presque immédiatement commencé l’œuvre et je l’ai achevée quelques jours plus tard. Très inspirée par le sujet, j’ai réalisé une seconde œuvre.
Nous avons alors pris RDV trois semaines plus tard. Le regard d’Errol et de Patricia s’est spontanément porté sur un des deux tableaux. Ils se sont tout de suite appropriés l’œuvre. Apparemment, ils étaient ou ils semblaient pleinement satisfaits. Lorsque je leur ai indiqué qu’il y avait une autre œuvre car ils ne la voyaient pas, ils furent vraiment surpris. En fait, cela leur a compliqué la tâche quant au choix à faire. Ils ont finalement opté pour la deuxième œuvre.
« IRMA », c’est cette œuvre que j’ai réalisée sur un médium que j’utilise depuis peu. Il s’agit des banderoles publicitaires qui sont laissées à l’abandon et qui polluent l’environnement. L’œuvre a été réalisée à l’acrylique. En arrière fond, j’ai représenté le déchaînement cyclonique avec le vent monstrueux, la mer démontée, les arbres arrachés, les maisons éventrées et les bateaux broyés.
En filigrane, apparaît un couple enlacé. L’homme apprécie cet instant : il a les yeux fermés et une attitude protectrice à l’égard de la femme. On peut aussi penser qu’il cherche lui-même à se raccrocher à elle pour faire face ensemble aux éléments déchaînés. La jeune femme accepte cette étreinte mais avec une certaine retenue. Elle garde les yeux ouverts comme pour affronter les éléments, affronter la réalité. Ces deux êtres se retrouvent emportés dans un tourbillon : celui de l’ouragan et celui de la vie tout simplement.
Ce n’est pas la partie technique qui est fondamentale. L’essentiel du projet réside dans la rencontre de l’imaginaire de trois personnes :
*Patricia Lépine et Errol Nuissier pour la partie littéraire,
*et moi pour la partie picturale.
Tout le problème était de traduire en peinture les quelques idées émises par les auteurs alors que je n’avais pas lu le livre.
Je crois que le fait d’avoir vécu l’ouragan HUGO, a fait remonter les souvenirs, les peurs, les angoisses que j’avais refoulés depuis toutes ces années. Tout ce qui avait été enfoui, a refait surface : les émotions, le stress, l’anxiété, la dépression même, mais aussi, le combat mené pour remonter la pente, la lutte au quotidien pour avancer contre vents et marées, le partage et la solidarité pour vivre et revivre, l’espoir pour reconstruire, se reconstruire et renaître.
J’ai très certainement réalisé cette œuvre à partir de mon propre vécu de ce traumatisme causé par cet ouragan. Comme un acteur qui entre dans la peau de son personnage, peut-être cette introspection était-elle nécessaire pour entrer dans l’imaginaire des auteurs et réaliser cette œuvre.
Je crois que la créativité artistique est le résultat de notre étonnement devant le simple fait que nous existons et que le monde existe.
C’est là le point de départ de l’activité créatrice qui nous emmène vers de nouvelles formes de pensée dans l’espoir d’une adéquation plus parfaite entre le monde extérieur et le monde intérieur. Mais on ne peint pas le réel qu’on perçoit. On peint ce que l’on a en soi.
L’artiste propose sa propre perception du monde, en fonction de son histoire personnelle, de ses expériences, de sa culture, de son époque et surtout de son état d’esprit. Il ne l’impose pas mais il invite à observer le monde autrement. En modifiant notre rapport au réel, une création artistique, modifie notre regard.
La création artistique est rarement comparable au flot d’un long fleuve tranquille. Elle est parsemée d’embûches, de difficultés imprévues, de variations dans son déroulement, de va et vient incessants. Elle suscite des hésitations, des retournements de situations accompagnés aussi de conquêtes exaltantes. C’est ici que se manifeste la part de mystère et d’inconnu dans la création artistique.
La première de couverture est la première chose que l’on voit. C’est le premier contact du lecteur avec le livre. Elle doit attirer l’œil et donner envie au lecteur de s’intéresser à l’ouvrage. Sa composition doit être soigneusement pensée pour éveiller la curiosité et inciter à imaginer l’histoire.
L’œuvre de la première de couverture est maintenant achevée. Mais elle n’est pas nécessairement définitive. Elle va vivre sa propre vie. Elle vit déjà sa propre vie. Il me plaît d’ailleurs à dire que l’œuvre échappe à son créateur dès lors qu’elle est offerte au regard de l’autre : une œuvre s’en va et trouve vie dans un ailleurs………
Patricia LOLLIA, artiste peintre
Septembre 2023
« Irma, mon amour » de Patricia Lépine et d’Errol Nuissier : Un roman-policier pour témoigner de la résilience des habitants de Saint-Martin après le passage de l’ouragan Irma — par Jean-Tenahe FAATAU —