— Par Philippe YERRO,Stéphane TEROSIER,Pascal DELYON,Clarisse LAPART,—
Les voies du Seigneur sont impénétrables. Il aura fallu l’humiliation d’un petit ange par un fonctionnaire trop zélé devant les caméras de RFO, pour que nous puissions mesurer l’ampleur de l’esclavage mental dans ce pays. Les réactions suscitées par ce regrettable incident nous mènent à tirer le double constat d’une société travaillée en profondeur par le déni de l’Afrique et de la négritude fondamentale du peuple martiniquais, mais qui a nourri l’émergence de générations actives, fière de leur histoire nègre, déterminées à dénoncer l’iniquité et la profitasyon. Et à faire en sorte que les choses changent, ici et maintenant.
Si reproches nous adressons au Proviseur du Lycée J. Gaillard, ce n’est pas de vouloir faire régner l’ordre dans son établissement. C’est d’avoir associé, par nature, le désordre à la coiffure africaine. Si, de son point de vue, à la Pointe des Nègres la négritude n’a pas sa place, c’est qu’il s’est cru autorisé d’une décision du Conseil d’Administration de l’établissement, en dépit de l’illégalité manifeste qu’elle pouvait revêtir. Passons sur les faits que les propos télévisés (« Ni locks, ni tresses, ni nattes ») semblent ne s’appuyer sur aucune des résolutions du CA invoquées par le Proviseur (lire les propos de M. Arneton de l’UPEM dans FA du 12 septembre), et que le règlement intérieur porté sur le carnet de correspondance (qui n’avait pas été remis à Noé) mentionne simplement que « les cheveux longs doivent être retenus en arrière ». Retenons que -de fait- ce fonctionnaire s’abrite derrière la pression des Martiniquais eux-mêmes, qui seraient « demandeurs » de cette discrimination. Au Rectorat, on nous précise même « qu’en France, ce genre de problème n’existe pas », soulignant ainsi la spécificité coloniale de notre propre auto-dénonciation. Nous admettons qu’une large fraction des Martiniquais souscrit aux valeurs culturelles de l’assimilation à la civilisation européenne, dont M. Yoyotte et son adjointe sont des relais importants. Toutefois, les règles de la République tolèrent-elles qu’un tel a priori idéologique puisse régir le fonctionnement d’une école censée égale pour tous ? M. Yoyotte n’est pas un mauvais bougre, et il est –de plus- encouragé dans son approche au plus haut niveau de l’Etat (après tout, un Noé ça passe, mais c’est sans doute quand ils sont nombreux que ça pose problème ?). Reste que sa tâche d’honnête homme est rude : il doit imposer son éthique bréhaigne à 1700 jeunes, parfaitement conscients de l’impuissance du système ; il doit présider aux illusions de cette Ecole française en situation globale d’inadaptation et d’échec. Alors pas une tête-zoto ne dois dépasser. L’ordre établi, héritage du Code Noir, doit régner ! Fut-ce au prix de la légalité et de la dignité ; l’important est de garder le sentiment qu’on fait œuvre de « citoyenneté » (sic). Au fond peu importe la réalité éducative…
La société vieillissante martiniquaise peut choisir de relancer la guerre à sa jeunesse. Elle peut également choisir de gérer les choses dans l’insidieux, l’hypocrite complot-chien, silencieux de connivences, dans l’évidence consacrée des vérités historiques, dans les complexes et le refoulé. Mais elle peut aussi choisir d’entendre et de tendre la main. Non pas seulement aux jeunes des élites, mais aussi à « ceux qui désolent » tant certains de nos responsables politiques. Tout être humain a droit à une identité. Même un cancre ; même un voyou. Un Ethiopien peut-il changer la couleur de sa peau ? (Je 23-13). Que la vision d’un retour à l’ordre dans ce lycée passe par la conformité esthétique au canon leucoderme en dit long sur les capacités de nos « pédagogues » à stimuler notre jeunesse, afin qu’elle puisse nous inventer une autre manière de vivre dans notre île. Car il émane des relents infects de cette société dépassée et arrogante. Chacun sait et tait que l’apartheid mesquin (le népotisme du filon, les réseaux occultes, les préférences charnelles) règne à tous les étages, tandis qu’aujourd’hui comme hier les logiques claniques s’imposent, marquées du blanchiment chromatique de l’échelle du pouvoir. A tel point qu’il est devenu vital que ceux qui, ici-dans, ont choisi les voies de Fanon, de Césaire ou de Mona, la voie de Garvey ou du Ras Tafari, celle de Ghandi ou de Mandela, se lèvent et, poussant enfin le grand cri nègre, libèrent leur écœurement sur la place publique. Il s’agit d’affirmer aux forces obscures animant le white spirit des classes créoles profitantes qu’elles n’auront plus de répit. Les macaques du chauvinisme tropical, collaborateurs zélés des services de répression, manipulateurs de la corruption nationale, œuvrant à l’agitation sous leur masque cathodique, seront dénoncés. Les hommes d’affaires douteux, déguisés en éducateur pour ramasser le salaire de la honte, devront cesser leur terrorisme verbal. Les médias devront résister à la pression conservatrice pour garantir une véritable démocratie à la Martinique, car –en l’occurrence- les journalistes martiniquais ont fait reculer l’insupportable. Et ce pays devra solennellement exprimer son repentir quant au mépris qu’il continue à professer envers les valeurs du monde noir. Ce geste solennel fondera la véritable émancipation de notre peuple, c’est-à-dire la reconnaissance essentielle de la négritude fondamentale de la nation martiniquaise. Non à l’apartheid. Non à la discrimination. Non à la profitasyon. Que Dieu bénisse Noé qui nous sauvera, un jour, du déluge…
Philippe YERRO
Stéphane TEROSIER
Pascal DELYON
Clarisse LAPART