— Par Françoise Benhamou, économiste —
L’inventaire à la Prévert des projets abandonnés ou différés aura laissé le « milieu » sans voix. On l’avait pourtant connu plus revendicatif. Peut-être le deuxième temps de l’exception culturelle devait-il commencer ainsi, rompant avec le registre émotif et quasi religieux du discours culturel pour tenter d’inventer un autre projet.
La première étape d’une « refondation » impose de questionner ces polarités confortables entre payant et gratuit, populaire et élitiste, public et privé, Etat et marché, local et central, protection du patrimoine et promotion de la création. La faible lisibilité des politiques culturelles réside aussi dans l’empilement des réformes et des taxes, dans le désordre des partages de responsabilité, et dans la part excessive des établissements nationaux installés à Paris, capitale qui cumule les avantages. Comment comprendre que, d’après le département des études et de la prospective du ministère de la culture, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse ait été subventionné en 2010 à 12 % par l’Etat et à 66,5 % par la Ville, et celui de Paris à 46,5 % par l’Etat et à 30 % par la Ville ?
Face à des moyens en diminution, au-delà de l’interruption de la fuite en avant des grands et petits travaux porteurs de la promesse d’inaugurations médiatisées, il est urgent d’affirmer des priorités et de repenser la place de l’économie de la culture dans un monde qui, pour l’avoir détestée, s’est soudain mis à en attendre une légitimité qu’il s’inquiétait d’être en train de perdre.
Pour un gouvernement de gauche, la priorité va à la transmission. Elle passe par la préservation du patrimoine, un patrimoine vivant, pensé dans le cadre de générations imbriquées. Elle renvoie à l’éducation, au soutien aux pratiques amateurs, aux associations dans les quartiers ainsi qu’aux lieux de ces pratiques, tels les conservatoires et les médiathèques. Dans les établissements culturels, le coup de frein budgétaire ne saurait être compensé en rabotant les programmes éducatifs, la qualité de l’accueil, la politique tarifaire. La transmission implique de repenser la relation entre le commerce et le monde non marchand. Aider l’économie des librairies menacée par la concurrence du e-commerce et par la spéculation immobilière requiert du volontarisme et quelques moyens.
La seconde priorité va à la création. Ce sont les ateliers, les salles de répétition, la préservation de la marge artistique. Le foisonnement est signe de vitalité, mais le nombre de compagnies aidées doit être repensé. 627 compagnies de théâtre et 249 compagnies de danse sont subventionnées : le saupoudrage nourrit les déceptions. L’aide doit se tourner vers la mise à disposition de moyens en gestion, en communication, en diffusion des spectacles. Il n’est pas supportable que tant de spectacles soient joués cinq ou six fois avant de disparaître, au prix de la frustration des artistes et de la dépendance permanente vis-à-vis des aides.
De même, le périmètre de l’intermittence doit être revu et corrigé.
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