— Par le Collectif anti-MOOC, Solidaires Etudiants, la CGT Ferc-Sup et l’Unef de l’ENS—
Cette année, l’Ecole normale supérieure (ENS) se lance dans l’aventure des Mooc («cours en ligne ouverts et massifs» en anglais). Trois nouveaux cours en mathématiques, physique et philosophie ont été enregistrés et mis en ligne sur la plateforme privée américaine Coursera. Une révolution du système universitaire qui nous semble devoir être publiquement débattue. L’apparition des Mooc aux Etats-Unis dans les années 2010 relève de choix économiques de pure rentabilité. L’objectif affiché était de répondre à la crise des universités privées américaines, suite à la hausse des frais de scolarité, à l’augmentation des emprunts étudiants, au chômage croissant des jeunes diplômés et à l’affaiblissement de leur retour sur investissement. Les profits des universités privées se sont effondrés et les demandes d’inscription se sont reportées vers les universités publiques (+ 53% en 2011), incapables de répondre à la demande en raison de la faiblesse des financements (1). Le modèle économique des Mooc tente de répondre à ces problèmes grâce aux gains permis par l’enseignement virtuel. L’accès aux cours est pour l’instant gratuit, mais la certification est payante. Les Mooc bénéficient aussi de recettes publicitaires ou encore de la vente aux entreprises d’informations sur les étudiants. On comprend que cette réponse puisse séduire en France, dans un contexte de pénurie budgétaire causée par un désengagement de l’Etat dans l’université. Au passage, des entreprises privées en profitent. Pour être hébergée sur une plateforme, une université doit payer des droits très élevés (50 000 dollars par cours sur la plateforme Coursera en 2012) et ne reçoit que 20% des revenus (2). A terme, la mise en ligne des enseignements permet de passer outre les barrières géographiques et d’unifier un marché jusque-là limité par des contraintes spatiales en mettant en concurrence les établissements du monde entier. Cela tend à renforcer la concentration des moyens dans les grands pôles universitaires aux dépens des «petits» établissements. La dernière étape qui reste à franchir est que toutes les universités, notamment en Europe, acceptent de reconnaître les certifications conférées par ces plateformes pour finir d’unifier ce marché majoritairement financé par des fonds publics et les étudiants. On peut en outre craindre, comme l’envisage Bill Gates lui-même, un «processus de sélection assez brutal» au terme duquel «90% des cours ne seront jamais visionnés» (3) et disparaîtront. L’offre serait ainsi uniformisée par l’apparition de quelques cours commercialisés par des universités prestigieuses. Les petites universités, pour réduire les coûts, devront utiliser ces cours et substituer aux enseignants de simples chargés de TD et autres vacataires. Le développement des Mooc ne découle donc pas de raisons philanthropiques liées à la démocratisation des savoirs, dont on peut douter de la réalité. En effet, l’accès au numérique est socialement différencié et les cours en ligne, écoutés chez soi, maintiennent les enseignés dans leurs milieux d’origine et diminuent un brassage scolaire déjà insuffisant. L’énorme taux d’abandon (autour de 90%) vient aussi contrebalancer la facilité d’accès à ces ressources et le grand nombre d’inscrits. Ces dispositifs devraient aussi soulever quelques interrogations sur le sens du métier d’enseignant. S’ils viennent à se diffuser, il ne s’agira plus de faire un cours adapté à une classe et en lien avec l’activité de recherche, mais d’expliciter un cours préfabriqué, aux dépens des interactions entre le professeur et sa classe. Le concept de liberté pédagogique n’aura tout simplement plus de sens puisque la répétition d’un contenu imposé remplacera les tâches de conception. C’est dans ce contexte que la direction de l’ENS met en œuvre avec entrain les directives du ministère relatives aux Mooc. La présentation de cette décision comme une simple expérimentation ne doit pas masquer le fait que la dimension concurrentielle est revendiquée sous le nom de «visibilité internationale». Sans complexe, la direction imagine même qu’à l’avenir, sur un même sujet, il n’y ait plus que deux ou trois cours dans le monde entier. En réalité, Mooc et enseignements en classe ne sont pas complémentaires. L’avènement des premiers signifie la fin des seconds ou, en tout cas, leur subordination. C’est pourquoi nous nous opposons fermement à la mise en place des Mooc, qui poursuit la politique néolibérale conduite dans l’enseignement par les ministres Valérie Pécresse et Geneviève Fioraso. (1) Article d’Annie Vinokur : la Normalisation de l’université (2013). (2) Ibid. (3) Au Forum économique de Davos, janvier 2013. Par le Collectif anti-MOOC, Solidaires Etudiants, la CGT Ferc-Sup et l’Unef de l’ENS