— Par Dominique Daeschler —
Entre châssis suspendus et voiles de plastique, Sivadier mène un train d’enfer à ses comédiens, maniant avec brio une introduction du burlesque au sein du tragique. Passé le prologue où Othello ( Adama Diop) apprend quelques mots de wolof à Desdémone (Emilie Lehuraux), la douceur va laisser place à l’intrigue, a dépendance , le tourment. A son accoutumée , Sivadier a bousculé la traduction de Déprats avec des interjections, des poncifs misogynes qui entrent dans le bonheur de jeu d’un Iago sans limites( Nicolas Bouchaud).
Iago a barre sur Othello dit « le Maure », valeureux général de la république vénitienne, jalousé pour ses actes de bravoure et son mariage avec la belle Desdémone. Eternelle histoire du transfuge de classe, d’un racisme ordinaire ( qui ne semble pas atteindre Othello) et d’une quête identitaire On chantonne Jealous guy de Lennon, on se saoule sur un tube de Queen…Iago ( blanc) et Emilie( noire ), Othello( noir) et Desdémone( blanche) sont des couples en miroir. Le drame va naître de petits riens ( mensonge de Desdémone, complicité d’Emilia à propos d’un mouchoir) et engendrer, avec l’habileté de Iago, la mise en route du doute, de la manipulation, de la jalousie.
Comment faire triompher le bien, la vérité ? Croyant Desdémone infidèle, Othello perd pied. Chacun des personnages s’interroge sur la liberté d’être soi-même, sur le rôle que les autres lui attribue. Othello tue Desdémone, commettant un féminicide et se suicide. Nous vient alors en mémoire le Desdemona de Toni Morrison avec à la fois le refus de la victimisation et l’interrogation sur le poids social qui pousse au meurtre.
Adama Diop, semblant fait d’une seule pièce, apporte une force de vie à Othello qui nous laisse imaginer un lieu de paix, de pacification au-delà de la mort : avec Shakespeare, on n’oublie jamais qu’on est au théâtre.
Dominique Daeschler
Avec : Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda, Emilie Lehuraux