— Par François Taillandier —
«Je vous charge du plus important : le langage ! » déclare le ministre des Affaires étrangères à sa nouvelle recrue, au début du film Quai d’Orsay. Moi qui étais allé voir ce film à peu près par hasard (je n’avais pas même vu qu’il était de Bertrand Tavernier), on pense si cette réplique m’a fait dresser l’oreille !
Et de fait, par-delà son côté comédie légère (il faudrait être bien grognon ou bien neurasthénique pour ne pas rire), c’est un film qui porte sur la construction de la parole politique. Et sans jeu de mots, c’est édifiant. Du début à la fin, l’enjeu de l’action n’est rien d’autre que cela : que va dire le ministre, en Allemagne, à l’ONU, en Afrique ? Dans un univers diplomatique où un mot de travers peut provoquer des cataclysmes, une douzaine de conseillers et spécialistes, qui se tirent mutuellement dans les pattes, volettent autour de l’innocente jeune « plume », qui s’épuise à faire et refaire les discours. Chacun met son grain de sel. Le ministre déchire tout. Dans une des scènes les plus hallucinantes, on apprend qu’un paragraphe supprimé dans la deuxième mouture de la première version a été rétabli dans la première mouture de la deuxième version. Tout ça en vitesse, au dernier moment. Le plus fort, malgré le côté caricatural du film, étant que l’on se dit que ça doit bien, en effet, se passer comme ça.
Je pense que Tavernier a touché juste et précis, sur un thème a priori fort peu cinématographique. Il ne faut pas oublier que si le français, il y a deux siècles, était la langue incontestée de la diplomatie, c’est tout simplement parce que, plus que d’autres langues, il était équipé de dictionnaires qui permettaient de s’entendre sur le sens de chaque mot. En politique, la parole et le langage comptent de façon primordiale.
Indulgent, Tavernier nous montre qu’au-delà de ce micmac de phrases toutes faites et de « copier-coller », sans parler des intrigues de couloirs, tous ces gens parviennent finalement à faire, en gros, ce qu’il y a à faire dans des situations lourdes de périls. Puis il y a ce moment, en Afrique, où ce ministre imbu de sa personne jusqu’à paraître un clown fait preuve dans une situation très chaude d’un véritable courage physique. Là, on est loin des sortilèges de la « com » et des phrases mesurées au trébuchet. Par là, ce film fait ce qu’on peut attendre de mieux des bons films et des bons romans : nous montrer le réel dans sa perpétuelle ambiguïté.
François Taillandier
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