— Par Aude De Thuin (Women’s Forum et de Women in Africa), Karine Berger (Secrétaire Générale l’INSEE ) —
Absentes des filières scientifiques, les femmes ont besoin de politiques ambitieuses au niveau national afin d’investir tous les secteurs professionnels d’avenir.
« Avec 18 % de femmes seulement, le métier d’ingénieur informatique est l’un des dix métiers contribuant le plus à la ségrégation hommes-femmes dans le travail. »
Le constat est affolant de l’avis unanime des écoles, des entreprises et des pouvoirs publics : les femmes sont absentes des filières scientifiques françaises dans toutes les branches des STEM, c’est-à-dire les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques.
C’est inacceptable en soi et au regard des dynamiques d’égalité qui s’enclenchent par ailleurs : nous refusons d’en rester là et de laisser les femmes à l’écart d’un pan majeur du monde de demain. Selon l’observatoire des Nations unies, 75 % des emplois créés d’ici à 2050 seront liés aux domaines scientifiques et technologiques. Les femmes rentreront-elles chez elles ?
Moins confiantes que les garçons
Au-delà des chiffres accablants, la précocité du phénomène est elle-même sidérante. Tout au long de la scolarité, on peut parler de chronique d’une catastrophe annoncée. La bascule a lieu entre le CP et le CE1 (« Filles et garçons, sur le chemin de l’égalité », 2023, DEPP).
Puis, quel que soit leur niveau de maîtrise notamment en mathématiques, les filles se déclarent moins confiantes que les garçons dans leurs performances aux évaluations, aussi bien en sixième qu’en seconde (Insee Référence, 2022, « Femmes et hommes, l’égalité en question »). Les chiffres se dégradent encore dans les options de spécialisation en classe de première.
S’il y a plus de filles diplômées de l’enseignement supérieur que de garçons, on ne retrouve que 20 à 30 % de filles dans les filières ingénieures (« Etat de l’enseignement supérieur et de la recherche en France », 2023, SIES). Et si on se concentre sur les filières mathématiques et physiques, elles ne sont tout simplement plus là.
Aggravation de la situation
Le plus ahurissant, c’est que la situation s’aggrave : à la suite de la réforme du BAC, la désaffection des lycéennes pour les maths se poursuit et les effectifs féminins des classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques et de commerce ont immédiatement baissé de plus de 3 % (SIES, 2022). A l’issue des cursus, il n’est pas surprenant que les femmes soient un tiers moins nombreuses dans les 8 % de la population qui ont les compétences en calcul les plus élevées (enquête de l’OCDE PIAC).
Pas étonnant que le monde du travail reflète cette disparition des filles dans les formations STEM. Avec 18 % de femmes seulement, le métier d’ingénieur informatique est l’un des dix métiers contribuant le plus à la ségrégation hommes-femmes dans le travail… au même titre que chauffeur de véhicules et policier. Dans les entreprises, les femmes ingénieures et cadres techniques représentent à peine un quart des effectifs, selon l’Insee.
A celles et ceux qui pensent que c’est une fatalité, nous répondons non : en Inde (46,3 %), en Albanie (43 %), en Tunisie (55,6 %), au Maroc (41,3 %), en Algérie (48,9 %), la part des femmes dans les emplois en technologies de l’information est différente (sources Instat et Unesco).
Efforts à l’échelle nationale
Nous saluons le travail du tissu associatif et de nombreuses entreprises qui s’engagent au quotidien pour faire bouger les choses à leur niveau. Mais nous formulons le voeu de porter ces efforts à l’échelle nationale. Car c’est le rôle de la France d’être aux avant-postes de ce combat.
Mesdames, mesdemoiselles, le monde a besoin de vous. Le futur aussi. Sans vous, les eldorados de la data et de l’intelligence artificielle resteront inévitablement masculins. Ces lieux où pouvoir et argent se concentreront, excluront les femmes et autoriseront mécaniquement le retour au patriarcat, quels que soient les progrès du féminisme depuis cinquante ans.
Karine Berger est secrétaire générale de l’Insee.
Aude de Thuin est fondatrice du Women’s Forum, de Women in Africa et de Sistemic, projet pour féminiser les filières scientifiques.
Karine Berger et Aude de Thuin
Source : Les Echos