Cohésion nationale, consensus politique et décolonisation, par Jean Abaul (CCPM)

 

(Coordination des Comités Populaires de Martinique) au  IV ème SEMINAIRE INTERNATIONAL AFRIQUE CARAIBE AMERIQUE LATINE


Nous sommes convaincus que l’une des principales conditions qui nous conduira à une  véritable décolonisation, réside dans notre capacité à favoriser le développement d’une forte cohésion nationale.

Sans celle-ci, nous ne disposerons pas des forces nécessaires pour imposer à l’Etat colonial le respect de notre droit à l’autodétermination.

Sans celle-ci on ne saurait envisager la mobilisation des Martiniquais et des Martiniquaises en vue de la réussite d’un projet de développement alternatif.

Nous fondons notre volonté de construire la cohésion nationale sur le fait que nous formons une communauté qui a des intérêts communs et qui doit résoudre collectivement ses problèmes.

Bien sûr, la lutte des classes n’a pas disparu. Elle se manifeste à travers la stratégie des partis dont beaucoup cherchent à pactiser avec le gouvernement colonial. Il n’est donc pas question de sombrer dans l’angélisme.

Il n’empêche que les relations qui nous sont imposées par la « métropole » du fait de la domination coloniale génèrent des contradictions qui opposent une large majorité du peuple au colonialisme : Les petits et moyens entrepreneurs sont laminés par la concurrence déloyale des multinationales du bâtiment.  Au nom de la République Française une et indivisible, chaque année des enseignants Martiniquais sont nommés en France et remplacés par des Français, ce qui illustre bien le « génocide par substitution » que dénonçait Aimé CESAIRE.

Sur cette base, le mouvement anticolonialiste doit détacher des revendications et des perspectives d’organisation alternatives qui fassent  converger les intérêts des différentes classes et couches populaires pouvant bénéficier du changement.

Il s’agit d’insuffler à la majorité  la volonté de construire un espace du « vivre ensemble ». C’est sur cette base que nous entendons consolider la cohésion nationale et avancer vers un consensus politique entre tous les partis qui ont des contradictions avec le système colonial.

Mais, puisque tous les groupes sociaux n’ont pas les mêmes objectifs, il revient aux militants qui luttent pour une véritable décolonisation de faire en sorte que la cohésion Nationale s’appuie sur une dynamique de construction de pouvoir démocratique et populaire. Il leur revient également de faire la synthèse des propositions qui sont de nature à garantir une construction économique et sociale ouvrant la voie à un développement alternatif, solidaire au service de la majorité.

Briser les carcans et de déjouer les pièges

Pour atteindre ces objectifs, nous avons de sérieux obstacles à surmonter :

–       l’intense guerre menée par les classes dominantes au plan international pour répandre l’idée que « les idéologies ont disparu »,

–       le rejet de la « politique » qui s’est généralisé au sein des populations  dégoûtées par les promesses non-tenues et par  la corruption qui gangrène la classe politique.

Nous devons donc intensifier nos efforts pour que nos peuples réinvestissent le champ politique.

La traduction de nos orientations dans notre pratique politique

Au début des années 80, pour traduire nos orientations dans la pratique, notre mouvement a entrepris de construire des COMITES POPULAIRES sur les bases suivantes :

« Les Comités populaires organiseront les discussions sur les événements, les programmes politiques concernant notre peuple avec des méthodes garantissant le droit égal pour tous de défendre ses propres convictions »

Quatre axes de travail avaient été définis :

– Unir le peuple

– Commencer à résoudre nos problèmes

– Organiser et soutenir les luttes populaires

– Préparer la souveraineté.

Si cette initiative a reçu une forte adhésion au sein de la population et permis de réaliser des activités de masse,   les objectifs de Cohésion nationale et de consensus politique n’ont pu être atteints.  La dynamique ayant été lancée par une organisation Marxiste-Léniniste dont nous sommes les fondateurs, elle s’est heurtée à la méfiance, sinon à l’hostilité, des autres partis y compris anticolonialistes.

Prenant acte de cet état de chose, les Comités Populaires ont continué à fonctionner sur la base des seules orientations arrêtées par les ML.

D’autre part les CP ayant décidé de participer aux élections, le mouvement a été gangrené par les travers propres aux élections dans une société capitaliste et coloniale. (Lutte des égos, pratiques opportunistes, abandon de l’organisation autonome des masses)

Pour rectifier le tir, la nécessité s’est posée de réorganiser l’intervention.

Pour nos militants, il s’agissait de relancer les activités propres aux CP et  de  continuer à développer les solidarités, par exemple dans le cas des intersyndicales. Mais surtout, il a fallu mettre en œuvre des pratiques novatrices débouchant sur une réelle cohésion nationale.

– C’est ainsi que nous avons impulsé la dynamique du Forum Solidarité Martinique (FOS MATINIK)

Ce Forum regroupe une dizaine d’organisations citoyennes qui travaillent en commun depuis trois ans pour porter réponse aux difficultés que rencontre notre peuple (par exemple, les violences qui désagrègent notre société).

– Sur le plan politique, nous sommes à l’initiative de la création d’un «  Cercle pour la promotion de la réflexion et de l’engagement collectifs au service de la Martinique ». Son nom : KOLE TET KOLE ZEPOL (KTKZ)

 Il ne s’agit pas d’un nouveau parti politique. Ce c’est ni un front  ni une alliance entre organisations. C’est un espace institué pour permettre aux Martiniquais et Martiniquaises de tous horizons de se retrouver et dans lequel, sur la base de la tolérance et du respect mutuel, ils peuvent confronter leurs analyses et dégager des pistes pour l’engagement collectif.  Après un an d’existence on peut en tirer un bilan extrêmement positif. Il faut dire que la nouvelle conjoncture s’y prête.

De par la politique de désengagement financier de l’Etat colonial, les collectivités locales se retrouvent dans des situations inextricables ; l’aggravation de la crise économique et sociale provoque un mécontentement accru au sein de la population. (Ce qui s’est traduit par le puissant mouvement de masse de 2009). Cette nouvelle situation entraîne des changements de comportement et d’orientation au sein de la classe politique et parmi les différentes couches populaires.  KTKZ semble avoir été accepté comme espace de rencontre et d’échange. Des questions de fond y ont été débattues entre des partenaires d’horizons très divers : « Pouvoir et démocratie » « Mutualisation des pratiques solidaires » « Conception du développement », etc.

Certes, il reste beaucoup de chemin à parcourir, puisque l’on n’en est pas encore à la définition d’objectifs politiques communs. Mais, la qualité des relations qui se sont établies au sein de KTKZ laisse espérer des développements positifs.

Voici donc les réflexions que nous avons souhaité partager avec vous.

Je vous remercie de votre attention.