— Patrick Le Hyaric —
C’est dans les files d’attente des associations de solidarité pour l’aide alimentaire que se lisent les profondes fractures sociales de notre société. Les détresses d’un monde aussi. Derrière la froideur des chiffres, des statistiques sur le nombre de paniers-repas distribués se cachent de multiples souffrances humaines de drames intimes, mais aussi de préjugés et de stigmatisations subis par les personnes qui en souffrent. La précarité alimentaire ne voyage jamais seule. Pour les sept millions de personnes qui la subissent, elle s’accompagne d’autres insécurités : celle de l’accès à l’emploi ou à un travail convenablement rémunéré, celles du droit à l’énergie, au logement, à la culture ou à la formation. L’insécurité alimentaire est aussi sœur de l’insécurité sanitaire. Songeons que 16% de celles et ceux qui ont recours aux banques alimentaires sont diabétiques contre six pour cent pour la totalité de la population française.
Des files d’attente peuplées aux trois quarts de femmes
Et, les files d’attente sont peuplées de trois quarts de femmes. Se lever contre cela est un devoir humain. Il est d’ailleurs révoltant que ces insupportables situations « d’insécurité » générale, dans l’une des plus grandes puissances du monde, soient autant banalisée, à l’heure où l’on va dépenser tant d’argent dans la militarisation. Et pendant ce temps, on assiste sur nos écrans à un défilé politicien où les inepties et le mépris sont rois, dans une époque où l’on glorifie l’accumulation de profits comme gage de bonne santé économique d’une nation.
En vérité, tant que la société sera dominée par l’argent, le travailleur, le jeune, le retraité en manquera. Le capitalisme exploite, surexploite et pousse une partie de la société au néant social. Il détruit le lien social et camoufle son méfait derrière des mots-valises tel que la « cohésion sociale ».
Il n’est que le paravent de la recherche du consensus des méprisés, des humiliés, des victimes du déni de reconnaissance avec le système qui les enferme dans leurs insupportables insécurités, avec leurs profiteurs de crise et de guerre, leurs accumulateurs de capital qui eux sont sécurisés.
Ceux-là mêmes qui, depuis des semaines, organisent la flambée des prix de l’alimentation, de l’énergie et du logement. Ces deux derniers budgets devenant incompressibles, l’alimentation devient alors une variable d’ajustement du budget des familles populaires. Ainsi, de nombreuses familles commencent à se restreindre sur les repas en quantité et en qualité. L’inflation alimentaire qui atteint les 12% pousse fatalement de nombreux foyers au recours à l’aide alimentaire.
Des centaines de milliers de bénévoles se mobilisent
Jusqu’à quand acceptera-t-on que le capitalisme maltraite à ce point la jeunesse et les étudiants au point que le nombre d’entre eux sont aujourd’hui victimes de l’impossibilité d’accéder à la nourriture.
On peut bien répéter à l’envi à un jeune que la République le protège. Il vit l’inverse et ne peut que se révolter quand il attend dans le froid un sac de nourriture en même temps que grandissent ses désillusions, sa colère et souvent son refus de voter.
Heureusement que des centaines de milliers de bénévoles des associations, tels le Secours populaire ou les Restos du Cœur, se mobilisent. À ce travail, s’ajoute celui des épiceries solidaires, des groupements d’achats, des jardins partagés, des restaurants sociaux, des tiers lieux alimentaires qui tentent de faire vivre un concept de démocratie alimentaire.
Mais il faut être clair. Il n’y a de véritable solution que dans le combat pour une garantie d’un travail intéressant pour toutes et tous, l’augmentation des rémunérations et des prestations sociales, leur indexation sur l’augmentation des prix, le gel des loyers, la reconstruction d’un vrai service public de l’énergie, la gratuité des transports en commun pour les familles populaires. L’augmentation des crédits publics nationaux et européens est indispensable pour augmenter le financement de la solidarité alimentaire, comme la lutte contre les gaspillages ou le développement de structures de restauration collective à bas prix.
Mais l’alimentation et la production agricole ne peuvent plus être considérées comme de banales marchandises. Voilà pourquoi, les institutions internationales du commerce, des directives européennes doivent décider d’une exception agri-alimentaire dans tous les échanges internationaux pour combattre la spéculation sur les matières premières agricoles.
La nourriture doit être décrétée comme un bien commun accessible en quantité et en qualité à toutes et tous. Pour ce faire, il faudra sans doute inventer des institutions démocratiques nouvelles et transformer profondément les modes de production agricole et alimentaire. Tout montre l’urgence, ici, et dans les pays du Sud.
Depuis des mois, se débat le projet d’une sécurité sociale de l’alimentation avec l’objectif d’un accès universel à une nourriture durable et de qualité visant à éradiquer l’insécurité alimentaire et la malnutrition. Ce projet constituerait un processus nouveau, alliant paysans travailleurs, associations de consommateurs, chercheurs, économistes, les petites structures de liens – déjà en gestation – entre producteurs et consommateurs, de petites coopératives. Il peut être prometteur pour ouvrir les voies à une sécurité alimentaire associée à une mutation de l’agriculture vers l’agro-écologie, une alimentation de qualité peu à peu débarrassée des firmes de l’agrobusiness et des inhumains centres de distribution, conditions de l’amélioration de la santé humaine et animale. Ce chemin doit être exploré collectivement pour le rendre viable. Le droit à l’alimentation doit être inscrit dans notre Constitution, et surtout, appliqué.
Source : L’Humanité.fr