— Par Selim Lander —
Édouard Glissant, dans la préface au livre de Dominique Berthet consacré à Serge Hélénon i voyait dans les œuvres de ce dernier des « portes ». L’image est encore bonne pour la plupart des œuvres exposées cet hiver, rectangles approximatifs en matériaux composites où domine le bois. « Les travaux d’Hélénon, ajoute Glissant, rameutent les vieux bois, les bois-caisse, le matériau-bidonville, toute barrière ébranlée, les planches raboutées ». Hélénon pratique un art brut, très rarement figuratif, il noircit ses planches pour un effet de brûlé, combine les matériaux et les couleurs. A côté des « portes », des sculptures se dressent, tout aussi énigmatiques.
A quatre-vingt-huit ans, Serge Hélénon est toujours actif. Il continue de récupérer, trier, modifier ses matériaux avant de les assembler et de les peindre, suivant le chemin tracé lors de son séjour africain où il enseigna les arts plastiques pendant vingt-quatre années. On se souvient peut-être que c’est à Abidjan, en 1970, qu’il fonda avec Louis Laouchez (1934-2016), son ami de jeunesse, martiniquais comme lui, rencontré à l’École des Arts appliqués de Fort-de-France, retrouvé en Afrique, une « École négro-caraïbe » qui se voulait avant tout « fidèle à ses soubassements nègres ».
Il est dommage que ni l’exposition actuelle ni le livre de 2006 ne donnent à voir les œuvres picturales antérieures au tournant vers l’assemblage, lequel eut lieu seulement après la publication du Manifeste de l’École négro-caraïbe, alors qu’Hélénon avait déjà une carrière de peintre derrière lui. Il est donc impossible de mesurer en quoi la mise en avant par cet artiste de sa part nègre ou africaine a pu faire évoluer son œuvre.
Quelques ajouts insolites n’invalident pas l’impression de grande homogénéité que dégage l’ensemble exposé. Cela tient aux matériaux où domine le bois, à une palette qui privélégie le noir, le bleu et le rouge, au choix de l’abstraction. S’en détachent les pièces dans lesquelles Hélénon s’affranchit du cadre de la « porte » au profit de la sculpture ou se tourne vers des formes moins abstraites.
C’est néanmoins un Grand Retable daté de 2003 – plus portail que simple porte – qui attire immédiatement l’attention (voir la première photo). Un hommage à Laouchez (non reproduit ici), bâti après la disparition de ce dernier, englobe une écharpe de tissu blanc, signe de deuil aux Antilles. Parmi les œuvres figuratives, Matrice n° 2, 2022 est sans doute la plus évocatrice d’un univers troublant, aux accents fantastiques. Sur l’une des portes une tête d’animal faite d’un bout de bois ajoute une note imprévue d’étrangeté (Hybridamant 2017 – Expression-Bidonville). Enfin, parmi les sculptures proprement dites, comment ne pas être frappé par cette Trompe Direction (2014-2015), « antropozoomorphie » de deux mètres de haut à la fois débonnaire et inquisiteur ?
Serge Hélénon – Palette Palimpseste, Fondation Clément, Le François, du 16 décembre 2022 au 14 février 2023
iDominique Berthet, Hélénon – lieux de peinture, HC Editions et Fondation Clément, 2006.