Un collectif d’écrivains et d’intellectuels, parmi lesquels Belinda Cannone, Mona Ozouf, Michelle Perrot et Sorour Kasmaï, apporte son soutien à la révolte des femmes en Iran, et demandent aux pays européens de maintenir les sanctions internationales.
Depuis la révolution islamique de 1979, les femmes iraniennes ont été l’objet de la haine d’un régime autoritaire, théocratique et patriarcal qui a essayé par tous les moyens de réduire leurs droits civiques et humains, afin de mieux les refouler à la marge de la société. L’obligation du port du voile islamique constitua le vecteur principal de la politique discriminatoire mise en place dès la prise de pouvoir des ayatollahs en Iran.
Déclaré bien public, le corps des femmes fut d’emblée nationalisé par le nouveau pouvoir. Soumises à des règles très strictes conditionnant leur présence en public, les femmes, bien que voilées, sont devenues l’objet de tous les regards et de toutes les convoitises. Le modèle, la forme, la couleur ou encore la longueur de leur tenue (foulard, manteau, tchador, pantalon, bas, chaussettes) enflammèrent les esprits et provoquèrent de nombreux débats au sein de la société fortement masculinisée de l’Iran postrévolutionnaire. Les années de guerre contre l’Irak en firent à leur tour un thème récurrent de la propagande officielle et de la littérature dite de « défense sacrée » contre l’agression de l’« Ennemi mécréant ».
Un code de conduite en public, que tout un chacun pouvait rappeler à tout moment aux Iraniennes en arguant de l’honneur, de la religion et même du patriotisme, stigmatisait les femmes et soumettait leurs moindres faits et gestes à la surveillance générale de l’autre moitié de la population. « Les patrouilles de l’orientation islamique » sévissant ces jours-ci dans les rues des villes iraniennes en sont l’illustration pratique.
Contourner les lois misogynes
Des slogans tels que « Ma sœur, ton voile est plus valeureux que le sang des martyrs », des fresques monumentales faisant de la femme voilée le rempart des combattants au front, des chants révolutionnaires rappelant le rôle de la mère et de l’épouse auprès des héros de la guerre ont marqué de leur esthétique l’espace public de ces années-là. Le hidjab est devenu un thème de propagande, son traitement littéraire dans la fiction fut surveillé de près par la censure. L’amour, le baiser, les cheveux, les lèvres, le corps féminin, le contact physique entre homme et femme et de nombreux autres thèmes furent prohibés. Combien de romans n’ont pas pu voir le jour à cause de ces purges langagières ? Combien de poèmes ont été abandonnés à la poussière des tiroirs ?
Toutes sortes de mesures ont érigé des barrières infranchissables à bien des carrières féminines, depuis l’interdiction du chant et de la danse jusqu’à l’impossibilité d’accéder aux postes à responsabilités (ministres, magistrates, etc.). En quarante-trois ans de règne, la République islamique a abusé de tous les moyens et a tout mis en œuvre pour réduire les femmes iraniennes à leurs rôles de mère et d’épouse. Cependant, celles-ci n’ont jamais baissé la tête face à cette politique discriminatoire. Avides d’instruction, d’indépendance et de créativité, elles n’ont cessé de contourner les lois misogynes en vigueur, d’en repousser constamment les limites et de défier leur application.
Le voile, l’oppression patriarcale
Aujourd’hui, malgré une répression féroce, la jeunesse iranienne exprime son refus de vivre selon des préceptes vieux de 1 400 ans. Le régime islamique n’a plus aucune emprise sur cette génération qui aspire à vivre librement ou, tout simplement, « une vie banale », comme le formule si bien la chanson Barayé. Les jeunes Mahsa Amini, Nika Shakarami, Hadis Najafi, Sarina Esmaïlzadeh et toutes les victimes de ces derniers jours ont, hélas, recouvré leur identité et leur liberté dans la mort. Leurs images et leurs voix font désormais le tour de la planète.
Ni la diplomatie des démocraties occidentales, focalisées sur le danger du nucléaire, ni les nouvelles théories obscurantistes prônées par une partie de leurs intellectuels et universitaires n’ont permis de prendre la mesure de l’infamie dont ont été victimes les femmes et, à travers elles, toute la société iranienne.
Justifié par l’idée implicite que la soumission de la femme serait inhérente à la culture musulmane, le hidjab s’est vu soudain glorifié en Occident comme « symbole d’identité culturelle » ou de résistance au « patriarcat postcolonial ». Or les images de la révolution en cours témoignent exactement du contraire : le voile est, au pays des mollahs comme partout, le symbole de l’oppression patriarcale qui affirme que le corps de la femme est impur et coupable, et c’est à ce titre que les Iraniennes le rejettent.
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Premiers signataires : Jean-Christophe Bailly, écrivain ; Jean-Luc Barré, écrivain, directeur des éditions Bouquins ; Belinda Cannone, écrivaine ; Sorour Kasmaï, écrivaine et éditrice ; Ariane Mnouchkine, metteuse en scène ; Françoise Nyssen, présidente du directoire des éditions Actes Sud ; Mona Ozouf, écrivaine et historienne ; Muriel Pénicaud, ancienne ministre ; Michelle Perrot, écrivaine et historienne ; Leïla Slimani, écrivaine.
Liste complète des signataires à retrouver ici