Darmanin, la violence, les trafics de drogue, d’armes et nos élus

— Par Karl Paolo —

A l’occasion de la visite du ministre de l’intérieur et des « Outre-mer », les syndicats de policiers et nos élus ont insisté sur l’accroissement de la délinquance en Martinique et, en particulier sur le trafic d’armes, le trafic de drogue et les homicides.

Et en effet, de ce point de vue, c’est l’explosion, vue le nombre de faits rapportés journellement, faits qui restent le plus souvent impunis puisque leurs auteurs s’évanouissent dans la nature. Qui pense à cet habitant de Grand’Rivière, assassiné chez lui, en pleine nuit, il y a quelques mois ?

La Martinique avance ? Vraiment ?

Pourtant, il y a 10 ans, nos élus nous assuraient que :

  • • « LA MARTINIQUE AVANCE »,

Et plus récemment, il y a 5 ans, il était affirmé :

  • • Ki yo té fè an « GRAN SAMBLÉ POU BA PEYI-A AN CHANS »

En effet, serait-on tenté de dire !!!!

Une résolution demandant une commission d’enquête parlementaire avortée

En 2019, Jean-Philippe NILOR, a tenté d’obtenir une commission d’enquête parlementaire sur « la provenance, la circulation, le trafic, la détention et l’usage des armes à feu en Martinique et en Guadeloupe ». C’est la proposition de résolution n°2194 du 25 juillet 2019 signée par Jean-Philippe NILOR, Max MATHIASIN, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Justine BÉNIN, Josette MANIN, Olivier SERVA, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE.

Où était l’actuel président du Conseil exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique pourtant parlementaire en juillet 2019 !!! A l’époque, les informations obtenues de Jean-Philippe NILOR lui-même indiquaient que Serge LETCHIMY avait décliné la proposition de s’associer à cette démarche. Pourquoi ?

Erreur hier, vérité aujourd’hui ou « silon van latjé poul panché »?

Dans un courrier adressé à Gérald DARMANIN le 29 juillet dernier, le même Serge Letchimy, Président du Conseil Exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique demande que soit « augmenté les moyens matériels et humains », ce qui « aiderait la Martinique à faire face à une montée de la violence inédite où la circulation importante d’armes à feu et de stupéfiants menacent la paix et la tranquillité du territoire ».

Fort bien mais si cette demande est justifiée aujourd’hui, la commission d’enquête proposée par Jean-Philippe NILOR en 2019 ne l’était-elle pas au moins autant ? Ne serait-ce justement que parce qu’elle aurait permis d’analyser la situation de manière détaillée et déboucherait

sur des propositions construites de manière concertée, allant bien au-delà des annonces d’un ministre ?

Ne serait-ce pas là avoir une attitude responsable, plutôt que de « quémander » des mesures à un ministre, et à quel ministre, qu’hier, on vilipendait ?

Les annonces du ministre : ériger un « mur électronique » tout autour de notre pays !!!

  • Un renforcement des effectifs : Trois brigades de gendarmerie – soit trente gendarmes supplémentaires – allaient s’installer d’ici 2023 et 15 enquêteurs rejoindront l’office antistupéfiants (Ofast) d’ici la fin de l’année,

  • Un renforcement des équipements : moyens aériens pour les douanes et scanner mobile au Grand Port maritime en 2024 afin de mieux assurer le contrôle des conteneurs,

  • De nouveaux équipements pour assurer la surveillance des côtes : o des drones notamment de drones nocturnes pour la surveillance d’ici la fin de l’année,

    1. o 500 000,00€ pour l’installation de caméras sur le littoral, afin de surveiller « les dix à quinze points d’accueil sur les côtes ».

    2. o 13 millions d’euros pour l’acquisition et l’installation de radars côtiers en 2023.

Cela risque de changer la donne si, bien entendu, des moyens humains accompagnent le déploiement des caméras, des drones et des radars.

J’ai voulu savoir ce que sont ces fameux radars :

Construit par la firme THALES, la France dispose d’un radar de longue portée en bande X, le Coast Watcher 100, lequel détecte un large éventail de cibles aérienne et de surface, allant du canot pneumatique ou jet-ski jusqu’aux navires de guerres ou encore les avions et hélicoptères à basse altitude. La Jamaïque vient d’ailleurs de s’en doter !

Ces annonces semblent avoir satisfait tous les élus et sans doute, rassurer les policiers, les gendarmes et la population.

Trois observations

La première observation est que ces moyens de surveillance vont ériger un véritable « mur électronique » autour de notre pays.

Si les moyens humains d’intervention suivent et qu’ils sont véritablement mobilisés, ce mur sera quasiment infranchissable, comme celui entre les Etats-Unis et le Mexique.

Comment nos voisins du Nord et du Sud vont-ils le percevoir et quel effet ce « mur » aura-t-il ?

Outre de laisser croire que les délits les plus graves commis dans notre pays sont le fait de populations étrangères et de nourrir ainsi la xénophobie, comment imaginer que ces problèmes peuvent trouver des solutions individuelles (chaque ile prise isolément), quand ils se posent à l’ensemble des pays constituant les Petites Antilles » ?

Nos champions de l’intégration de la Martinique dans la Caraïbe y ont-ils seulement pensé ?

La seconde observation est relative au tout répressif.

Il faut avoir assister à des audiences de comparution immédiates1 pour se rendre compte, qu’en une après-midi, 17 ans de prison peuvent être distribué à des personnes mises en cause, pour des faits de gravité variable, mais ayant déjà été incarcérées.

A entendre les magistrats qui président ces audiences, il s’agit de conduire les auteurs de ces méfaits à réfléchir sur leur situation, en étant placés à la maison d’arrêt de Ducos.

Or, la plupart du temps, ce ne sont pas des primo délinquants et, en dehors de la signification symbolique de l’incarcération2, on ne voit pas en quoi elle conduirait aujourd’hui celui qui est condamné à la rédemption, alors que cela n’a pas été le cas lors de ses précédents séjours à Ducos !

Les sociologues et analystes sérieux expliquent, depuis longtemps, que l’emprisonnement est une véritable école de la délinquance et du crime. Le tout répressif a donc des limites sans compter que la maison d’arrêt de Ducos est pleine à craquer. Qui veut accueillir une nouvelle prison dans son quartier ? On est prié de lever le doigt !

Certes, et cela est très utilisé, il y a le placement sous bracelet électronique, mais il semble que ce bracelet, souvent porté par les jeunes, hommes et femmes, de manière visible3, soient devenu l’équivalent d’un tattoo ou d’un piercing, étant même parfois stylisé par leur porteur !

Quand donc allons-nous poser sérieusement ces questions et de manière collective, en essayant d’y apporter des réponses spécifiques, plutôt que de se contenter d’adresser des courriers aux ministres, demandant plus de moyens, dont la justification ne réside que dans la comparaison de notre territoire insulaire à … Marseille métropole ? Assimilation, quand tu nous tiens….

La troisième observation concerne la différence de traitement entre les atteintes aux personnes et aux biens (violence, agressions, cambriolages, trafic d’armes et de drogue…) et les auteurs de délits économiques et financiers4, sur lesquels le couperet de la Justice ne tombe, quand il tombe, que très mollement et des décennies après la commission des faits.

Si seulement 10% environ de la drogue qui passe par notre ile fait l’objet de saisie, que dire de la commission des infractions de corruption, d’abus de biens sociaux, de prise illégale d’intérêt, de concussion….

Aussi, pourquoi se limiter aux seuls faits de violences sur les personnes, au trafic d’armes et de drogue ? La grande délinquance financière des cols blancs qui porte sur des millions d’euros mine notre fragile société aussi surement que les atteintes aux personnes et aux biens, en plus d’aboutir à des gaspillages de sommes considérables d’argent public, dont les Martiniquais se trouvent privés. Elle nourrit la perte de confiance qui frappe nos élus.

N’est-elle pas à combattre pied à pied ?

Au motif qu’elle ne porte pas atteinte aux personnes, cette délinquance est-elle moins grave voire acceptable ?

Qui en parle ? Les médias ? Nos élus ? Le Congrès ?

1 J’invite les élus à le faire

2 Qu’on ne craint que la première fois !!!

3 C’est dire s’ils s’en foutent !!!! Ce serait même un signe distinctif prometteur !

4 L’affaire du CEREGMIA, par exemple, est devant les magistrats instructeurs depuis 7 ans et pas un cil ne bouge ! On attend la suite des dossiers […]!!!

Karl PAOLO – 3 octobre 2022