Le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », un modèle de rigueur pour la lexicographie en Haïti

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Dans le contexte de la rentrée scolaire 2022 en Haïti, la présentation analytique du « Dictionnaire de l’écolier haïtien », l’un des outils lexicographiques accessibles sur le marché du livre scolaire, vise à contribuer à remettre cet ouvrage sous le feu des projecteurs en raison de ses caractéristiques lexicographiques. Cette présentation s’adosse à un examen objectif de l’ouvrage afin qu’il soit davantage utile aux enseignants, aux directeurs d’école, aux rédacteurs de manuels scolaires ainsi qu’aux cadres du ministère de l’Éducation nationale qui travaillent à des mises à jour curriculaires. En quoi consiste ce dictionnaire ? Par qui a-t-il été élaboré ? À quel public s’adresse-t-il et quels sont ses objectifs spécifiques sur le plan de l’apprentissage scolaire ? Les enseignants doivent-t-ils de manière constante apprendre aux élèves à utiliser un tel dictionnaire généraliste unilingue au titre d’un outil de connaissance et également dans le but d’accompagner adéquatement l’apprentissage de la langue elle-même ?

La présentation descriptive du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » se situe dans le prolongement de nos précédentes publications de nature lexicographique1 parues en Haïti dans Le National et également sur plusieurs sites outre-mer. Cette présentation descriptive se situe également dans le sillage des dossiers terminologiques que nous avons publiés ces dernières années en Haïti, dans Le National, et également sur plusieurs sites outre-mer : « Tour opérateur » ou « Voyagiste » :
lequel des deux conduira les touristes sur les plages d’Haïti ?
 
» (26 janvier 2013) ; « Du « sponsor » au « commanditaire » :
fenêtre ouverte sur la traductologie créole 
» (7 février 2013) ; « Les « Centres de convention » haïtiens à l’épreuve
d’une implexe myopie linguistique
 
» (12 mars 2014) ; « Les chemins de croix du terme « graduation »
en français et en créole haïtien
 
» (13 mars 2015) ; « Le « de-risking » : coup d’État financier ou défaut de langage dans la presse écrite d’Haïti ? » (9 septembre 2016) ; « Le « nègre littéraire » parle-t-il créole en Haïti ? » (27 septembre 2018). Il est tout aussi important de noter que cet arpentage analytique du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » suit de près la parution de notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » , (Le National, 21 juillet 2022).

La présentation analytique du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » est ici élaborée selon le protocole méthodologique de la lexicographie professionnelle : (1) l’identification de l’ouvrage et de ses auteurs, le nom de l’éditeur et la date de publication ; (2) le projet éditorial et l’identification de la méthodologie d’élaboration du dictionnaire ; (3) l’établissement du corpus dictionnairique ; (4) la confection de la nomenclature et le nombre de termes retenus ; (5) le traitement des données lexicographiques présentées à la suite des « mots-vedettes » (les entrées classées en ordre alphabétique dans les rubriques, à savoir les définitions, les contextes définitoires et les notes illustratives).

Identification de l’ouvrage et de ses auteurs, nom de l’éditeur et date de publication

Sur le plan graphique, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » affiche un « design » soigné et attractif. Sa couverture est cartonnée et il se présente dans un format compact (du type « livre de poche ») et facilement manipulable qui le distingue des « grosses briques » que sont les habituelles livraisons des fameux dictionnaires de référence tels que Le Robert et Le Larousse. La page couverture comprend, sous le titre, une sorte de « pastille » reproduisant le logo des Éditions Henri Deschamps. Cette particularité, peu courante dans le domaine de l’édition en dehors d’Haïti, est destinée à contrer le piratage et la reproduction illégale de l’ouvrage, un ample fléau sur le marché du livre scolaire haïtien.

Paru initialement chez Hachette-Deschamps en 1996 et aujourd’hui édité par les Éditions haïtiennes SA (EDITHA), une filiale des Éditions Henri Deschamps, l’ouvrage de 648 pages comprend 15 000 entrées (ou « mots-vedettes ») et les pages 637 à 647 sont consacrées à la conjugaison des verbes. La date de publication initiale, 1996, ou celle de la plus récente édition, n’est nulle part indiquée dans l’ouvrage : cette lacune devra être corrigée lors d’une prochaine édition car la datation d’un dictionnaire est une information bibliographique de premier plan. Il sera également utile de préciser s’il y a eu depuis 1996 de nouvelles éditions et/ou des mises à jour de ce dictionnaire.

En page intérieure, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » consigne la mention « Responsable de l’adaptation pour Haïti : André Vilaire Chery », mention suivie du nom des rédacteurs de l’ouvrage. (Le lexicographe André Vilaire Chery, récemment décédé, est l’auteur du rigoureux « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti », tomes I et II, Éditions Édutex, 2000 et 2002). La mention « Responsable de l’adaptation pour Haïti précise que l’ouvrage a été réalisé « avec la collaboration » de cinq auteurs « et la contribution d’une équipe de la Faculté de linguistique appliquée [de l’Université d’État d’Haïti] sous la direction du linguiste Pierre Vernet ». Indice de qualité de l’ouvrage, ce maillage institutionnel mérite d’être souligné : il signale à l’usager qu’il y a eu mutualisation des ressources lexicographiques d’un éditeur privé de manuels scolaires et d’une institution nationale d’enseignement supérieur dédiée à la linguistique. Tel qu’indiqué à la « Préface », en page 6, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » est une adaptation pour Haïti du « Dictionnaire Hachette Juniors » publié en France par l’éditeur Hachette qui précise, sur son site, que le volume édité à Paris comprend 25 000 mots et expressions (la version haïtienne comprend 15 000 entrées). Le fait que le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » ne rassemble que 15 000 entrées ne signifie pas que la langue de l’écolier haïtien soit « pauvre » ou se « limite » à ce nombre d’entrées. L’éditeur a sans doute choisi, en termes de politique éditoriale, de mettre sur le marché du livre scolaire un dictionnaire compact comme c’est la tradition en lexicographie française pour ce type d’ouvrage. Les dictionnaires scolaires ou pédagogiques, règle générale, consignent une moyenne de 20 000 termes, tandis que les dictionnaires conçus pour les jeunes de 4-7 ans ou de 6-8 ans affichent une moyenne comprise entre 2 000 et 8 000 termes. Par exemple, le « Robert benjamin » (sous-titré « Mon premier dictionnaire »), comprend 8 200 mots et sens et 1 200 illustrations, là où le « Robert junior illustré » consigne 20 000 mots. Aux Éditions Larousse, « Mon premier Larousse » (4-7 ans) comprend 2 000 mots expliqués et illustrés et 2 000 images qui aident à mieux comprendre le sens des mots. « Le dictionnaire Larousse des débutants » (6-8 ans) est un dictionnaire de 8 000 mots et sens, tandis que « Le dictionnaire Larousse des maternelles » rassemble 2 000 « mots définis dans un langage simple ». Le « Larousse des maternelles », désigné sur le site de son éditeur comme étant « Le premier grand dictionnaire pédagogique pour les petits », consigne un total de 2 000 mots. Quant à lui, « Mon tout premier dictionnaire Larousse » rassemble 1 500 mots.

Sur le plan de l’infrastructure rédactionnelle, il y a lieu de préciser que le maillage institutionnel entre l’éditeur et l’Université d’État d’Haïti constitue, à notre connaissance, une première et sans doute l’unique exemple dans la lexicographie haïtienne contemporaine (sur ses versants créole et français) où l’expertise d’une institution linguistique nationale a été mise à contribution par un éditeur du secteur privé disposant de sa propre équipe de rédaction. Parmi les 64 dictionnaires et 11 lexiques que nous avons répertoriés dans notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » (Le National, 21 juillet 2022), seuls cinq ouvrages ont été élaborés dans un cadre institutionnel national, celui du Centre de linguistique appliqué qui deviendra plus tard la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Il s’agit du « Ti diksyonè kreyòl-franse d’Henry Tourneux et Pierre Vernet (Éditions caraïbes, 1976), de « Éléments de lexicographie bilingue : lexique créole-français » d’Ernst Mirville (Biltin Institi lingistik apliké, 1979), du « Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité » de Henry Tourneux (CNRS/Cahiers du Lacito, 1986), du « Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole haïtienne / Diksyonè lanvè lang kreyòl ayisyen » de Pierre Vernet et B. C. Freeman (Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti), et du «Leksik elektwomekanik kreyòl, franse, angle, espayòl » de Pierre Vernet et H. Tourneux (dir.) publié sous le label Fakilte lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti en 2001.

Projet éditorial et identification de la méthodologie d’élaboration du dictionnaire

Le projet éditorial du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » est explicitement défini à la « Préface » (page 6) : présenté comme un ouvrage de référence, il est « destiné aux élèves de l’École fondamentale », d’où son titre mentionnant « écolier haïtien ». C’est un dictionnaire généraliste unidirectionnel qui, parce qu’il cible les écoliers haïtiens, est une adaptation pour Haïti d’« un grand nombre de références Hachette (…) réécrites en relation avec les réalités haïtiennes1 (histoire, géographie, vie sociale, etc.) plus familières à l’élève ». La mention « adaptation pour Haïti » est essentielle au plan de la méthodologie d’élaboration de ce dictionnaire car elle précise, comme on le verra plus loin, que le corpus à partir duquel il a été élaboré provient d’un autre dictionnaire, à savoir le « Hachette Juniors ». (Pour une meilleure connaissance de l’histoire des dictionnaires dénommés dictionnaires pédagogiques ou scolaires ou d’apprentissage, voir Chantal Lambrechts, « La conception éditoriale d’un dictionnaire pédagogique », Presses de l’Université de Montréal, 2005. Chantal Lambrechts est diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’Université Libre de Bruxelles. Elle a intégré en 2000 le groupe Hachette en tant que directrice du département des publications secondaires et supérieures (Hachette Éducation). Pour une connaissance élargie de la méthodologie d’élaboration des dictionnaires pour enfants apparus au début des années 1950, voir Micaela Rossi (Università degli Studi di Genova, Italia), « Dictionnaires pour enfants en langue française / L’accès au sens lexical ». Dans cette magistrale thèse de doctorat soutenue en 2001, l’auteure retrace l’histoire des dictionnaires pour enfants, elle analyse « la structure d’un dictionnaire scolaire », « la présentation et organisation de la nomenclature », « les pratiques définitionnelles dans les dictionnaires pour enfants », etc. De la même auteure, voir aussi l’article « Dictionnaires pour enfants et accès au sens lexical – Pour une réflexion métalexicologique » (euralex.org, 2004).

L’examen attentif du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » indique qu’il a été élaboré en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle, ce qui en garantit la fiabilité et la crédibilité scientifique. Il comprend en deuxième page intérieure, à l’instar des dictionnaires usuels, un tableau de l’alphabet phonétique international suivi de la « Liste des abréviations » (page 4). En page 5 il consigne –sur le modèle structurel des grands dictionnaires usuels du français–, un guide méthodologique fort éclairant et utile intitulé « Comment utiliser ce dictionnaire ». Ce guide méthodologique présente et exemplifie la structure et le contenu des données lexicographiques placées à la suite des « mots-vedettes » de l’ouvrage à l’aide de marqueurs, de mentions indicatives et éclairantes : « orthographe (en lettres grasses) », « prononciation », « renvoi aux mots de sens équivalents (synonymes) », « mot de la même famille », « sens figuré », « catégorie grammaticale », « changement de la catégorie grammaticale », « mots qui s’écrivent de la même façon mais qui n’ont pas le même sens », « expression mise en vedette », « indique que le mot (ou le sens) fait partie du français d’Haïti3 » (il s’agit de l’aire géographique d’emploi du terme ou « indicatif de pays », FH pour « français d’Haïti), etc. Nous reviendrons plus loin sur ces particularités lexicales du français régional2 d’Haïti3.

Établissement du corpus, confection de la nomenclature et nombre total des « mots-vedettes »

En lien direct avec le projet éditorial de l’ouvrage, le corpus à partir duquel il a été élaboré n’est pas tombé du ciel : il provient d’une version antérieure à 1996 du « Dictionnaire Hachette Juniors » sous le régime d’une entente institutionnelle entre les deux éditeurs, Deschamps et Hachette. Dans ses différentes éditions d’une année à l’autre le « Dictionnaire Hachette Juniors » comprend en moyenne 25 000 mots et expressions du français commun, 1 000 noms propres et 2 000 illustrations. L’adaptation haïtienne, par choix éditorial, a extrait de ce corpus originel des termes du français commun auxquels ont été ajoutés des termes du français régional1 d’Haïti2, soit un total de 15 000 entrées consignées dans le « Dictionnaire de l’écolier haïtien ». Le choix de ce corpus originel est également un indice de qualité : les termes et les définitions retenus figurent déjà dans un ouvrage conçu selon les normes de la lexicographie professionnelle et dans la tradition de rigueur lexicographique des dictionnaires Hachette dont l’« ancêtre » a vu le jour en 1980. La confection de la nomenclature s’est donc effectuée selon un double mouvement explicité dès la « Préface » puisque le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », les rédacteurs le soulignent, « (…) réalise un juste équilibre entre deux exigences pédagogiques complémentaires : assurer l’ouverture mentale du petit Haïtien sur le monde, tout en inscrivant son apprentissage de la langue dans son environnement socio-culturel particulier ».

Traitement des données lexicographiques présentées à la suite des « mots-vedettes »

Les données lexicographiques présentées à la suite des « mots-vedettes » sont modélisées en un tout d’accès simple et fonctionnel pour chaque rubrique : le terme est suivi de sa catégorie lexicale : nom, nom m., nom f., adj., v., v. impers., v. pron., adv., loc. adj., loc. adv., etc., et ces abréviations sont toutes explicitées en page 4 où figure la « Liste des abréviations ». Les rubriques du dictionnaire indiquent lorsqu’il le faut des « variantes orthographiques (akasan / acassan), elles mentionnent tantôt des synonymes, tantôt des antonymes. Elles consignent si « c’est le cas des sens nouveaux » acquis en Haïti par des termes comme « audience », « jardin », « sérum », etc. en lien avec la proximité entre le créole et le français. Dans les différentes rubriques de l’ouvrage, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » consigne tantôt des définitions courtes et précises, tantôt des sèmes définitoires compris dans une « phrase exemple » qui a l’avantage d’éclairer le sens du mot et son emploi dans l’environnement naturel de la phrase.

Exemple de modélisation des rubriques du « Dictionnaire de l’écolier haïtien »

Terme + catégorie lexicale

Indicatif de pays [« Français d’Haïti]

Définition [DEF] et/ou « phrase exemple » [PEX]

Synonyme [SY] ou Antonyme [AN] ou renvoi analogique [REN]

déchouquer v. [sens] 1, 2, 3

FH

[PEX] Le président Jean-Claude Duvalier a été déchouqué le 7 février 1986 : il a été renversé du pouvoir dans une atmosphère de violence (déchouquage sens 1). 2. On a déchouqué la maison de l’ex-Premier ministre, on l’a pillée, ou incendiée en représailles (déchouquage, sens 2). 3. Ce directeur général a été déchouqué : il a été destitué de manière arbitraire par des actions violentes (déchouquage, sens 3).

[Remarque RBO : les sens 1 et 2 du substantif « déchouquage » sont définis à la page 156.]

macoute1 nom f.

FH

[DEF] Grand sac de latanier que le paysan porte en bandoulière et qui sert à divers usages. [PEX] Mon papa a acheté une macoute pour aller au jardin.

Aucun

macoute2 nom m.

FH

[DEF] Nom donné aux membres de la milice créée par François Duvalier. [PEX] Les macoutes s’appelaient officiellement « Volontaires de la sécurité nationale ».

[SY] tonton-macoute. Chercher aussi : milice

[REN] [Remarque RBO : Les termes « milice », « milicien », « milicienne » sont définis à la page 372.]

Dans le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », les exemples « déchouquer » (verbe) et « déchouquage » (nom) sont particulièrement intéressants quant à leur éventuelle « mémoire sémantique » ou à leur « mémoire étymologique », d’autant plus qu’ils ont leurs apparentés lexicaux en créole : « dechouke », « dechoukaj » et « dechoukè ». Sous réserve d’une étude détaillée sur l’étymologie de « déchouquer » et de « déchouquage », on peut déjà noter que les termes français « chouque » / « chouquet » (nom masculin) provenant du normand « chouquet », billot, sont attestés dans Le Larousse avec la définition suivante : « Pièce de bois dur, cerclée de fer, destinée à raccorder deux pièces de mâture ». Sur le site Ortolang du CNRS / Centre national de ressources textuelles et lexicales de l’Université de Nancy, « chouque » / « chouquet » sont définis, avec le trait « Vx. » pour « vieux », comme étant un « gros billot de bois utilisé par le bourreau pour une décapitation ». Ce site précise que « chouque » est attesté depuis 1835 [?] et que « les marins disent quelquefois, par abréviation, « chouq ». Le locuteur francocréolophone a bien dans son répertoire les termes « chouk » et « chouk bwa », par ailleurs attestés dans le Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary d’Albert Valdman (Creole Institute, Indiana University, 2007), qui enregistre les sens 1 et 2 de « chouk » et dirige l’usager vers les termes « chouk bwa » et « chouk dan ». Il semble confirmé que « chouk bwa » est sémantiquement apparenté au terme français « souche » dont l’une des significations est « Le bas du tronc d’un arbre, accompagné de ses racines et séparé du reste de l’arbre. Une grosse souche. Une souche pourrie » (DicoDéfinitions, n.d.). Pour sa part, le Dictionnaire de l’Académie française (9ème édition, 1986 / 1992) consigne que « chouque », attesté au XIVème siècle, « est la forme normanno-picarde de « souche », et que « chouquet » en est le diminutif ». On peut noter que le locuteur francocréolophone a dans son répertoire le terme « choukèt lawouze », mais il faut prendre avec prudence l’ensemble des données se rapportant à ces différents termes. Enfin, dans le monumental Dictionnaire des francophones, qui comprend 400 000 termes et locutions, le verbe « déchouquer », avec son indicatif de pays, est défini comme suit : sens 1. : « Verbe, transitif. (Antilles) Destituer une personne de son poste. » ; sens 2. : « Verbe, transitif. (Antilles) Extirper, déraciner des arbres, des plantes. Enlever la souche ».

Tel que noté précédemment, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » exemplifie la part faite aux particularités lexicales du français régional d’Haïti2 par la mention de « l’indicatif de pays », FH (« français d’Haïti ») et il consigne la conformité des définitions de tels termes (exemples : « déchouquage » (n.), « déchouquer » (v.) et « déchouqueur » (n.) aux pages 156, 157. Le sens « haïtien » de la « pistache » (page 444) est bien indiqué (« Nom donné en Haïti à la graine d’arachide ») et un renvoi analogique conduit aux termes sémantiquement liés « cacahuète » et « arachide » qui sont eux aussi correctement définis dans le dictionnaire. Il est également intéressant de noter que « l’indicatif de pays », FH, suit le terme « mamba » (page 355) adéquatement défini dans le contexte haïtien. Le terme « mamba » est attesté dans le monumental Dictionnaire des francophones, qui le définit par l’appel au terme complexe « beurre d’arachide » avec mention de l’aire géographique d’utilisation, Haïti. Le terme « beurre d’arachide » est d’usage courant au Québec, mais son sens « haïtien » désigné par « mamba » ne figure pas dans les dictionnaires généralistes hexagonaux tels que Le Larousse ou Le Robert. Sur le plan des renvois analogiques, qui contribuent à élargir les connaissances de l’élève par l’appel à des aires sémantiques apparentées, le terme « montre » est défini comme suit dans le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » : « Petit instrument qui sert à indiquer l’heure / Chercher aussi : chronomètre, horloge, pendule, réveil ». Objet du renvoi analogique, ces termes sont tous définis dans le dictionnaire haïtien. Comme il est indiqué plus haut, la « Préface » du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » expose la vision éditoriale de l’ouvrage et apporte un éclairage essentiel sur son mode d’emploi au plan pédagogique, ce qui est essentiel dans un ouvrage qui s’adresse à des écoliers. La « Préface » consigne ainsi, il faut le rappeler, cette orientation pédagogique majeure de l’ouvrage : « L’accès à la compréhension des mots est facilité par le concours mutuel que s’apportent la phrase exemple et la définition. La phrase exemple précède en général la définition. Ce choix pédagogique a l’avantage de présenter à l’élève le mot en situation d’emploi ». C’est certainement là que réside –avec une attention particulière portée aux termes du français régional d’Haïti et au souci de bâtir une œuvre dictionnairique soudée à la méthodologie de la lexicographie professionnelle–, l’une des caractéristiques novatrices singularisant ce dictionnaire scolaire. Dans l’ensemble, l’approche mise en œuvre cible un usager prioritaire, l’élève, car « En offrant aux élèves de l’École fondamentale un instrument de travail approprié à leurs besoins et à leur univers, le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » vise à développer leur autonomie en leur donnant l’envie et les moyens de progresser dans la connaissance de la langue française, et donc : de MIEUX COMMUNIQUER » (« Préface », page 6).

La présentation analytique du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » montre bien que ces objectifs sont méthodiquement et correctement soutenus par une modélisation adéquate des rubriques, par la clarté et la concision des définitions, par l’utilité des « phrases exemples » et le système des renvois analogiques et par les données lexicographiques relatives aux sens nouveaux acquis en Haïti par certains termes du français commun. L’ouvrage comprend un grand nombre de termes du registre du français régional d’Haïti qu’indique la mention « FH », ce qui a le double avantage d’illustrer, d’une part, la réalité que notre pays enrichit lui aussi un patrimoine linguistique commun à plus de 300 millions de locuteurs francophones à travers le monde et, d’autre part, la reconnaissance, dans la communauté francocréolophone nationale, que le partenariat entre le créole et le français, les deux langues officielles du pays, doit être renforcé et qu’il est porteur d’innovations lexicales. L’élaboration du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » livre par ailleurs d’autres enseignements, l’un d’eux étant qu’il faut impérativement tenir à distance l’amateurisme et le « bouyi vide » / « voye monte » en matière de lexicographie, qu’il faut privilégier le travail d’équipe faisant maillage de compétences avérées en lexicographie, et qu’il faut concevoir et mettre en œuvre toute œuvre dictionnairique (lexique, dictionnaire, glossaire) au strict périmètre de la lexicographie professionnelle.

NOTES REGROUPÉES

Note 1 : Articles de nature lexicographique :

–« Le traitement lexicographique du créole dans le « Diksyonè kreyòl Vilsen », par Robert Berrouët-Oriol, Le National, 22 juin 2020.

–« Le traitement lexicographique du créole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haïti Initiative », par Robert Berrouët-Oriol, Le National, 21 juillet 2020.

–« Le traitement lexicographique du créole dans le « Leksik kreyòl » d’Emmanuel W. Védrine », par Robert Berrouët-Oriol, Le National, 11 août 2021.

–« Le traitement lexicographique du créole dans le « Diksyonè kreyòl karayib » de Jocelyne Trouillot » , par Robert Berrouët-Oriol, Le National, 12 juillet 2022.

Note 2 : Sur la notion de « français régional », voir l’article du linguiste Jean-Claude Corbeil, « Le ‘’français régional’’ en question » paru dans « Contacts de langues et de cultures, Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, vol. 9, no 3-4, 1984a ; du même auteur, voir aussi l’étude « Le régionalisme lexical : un cas privilégié de variation linguistique », Presses de l’Université Laval, coll. « Langue française au Québec », 3e section, 1986. Voir également l’article de Marie-Madeleine Bertucci, « Vers une conceptualisation de la notion de « français régional » : de la dialectologie à la sociolinguistique », revue Mots / Les langages du politique, 120 | 2019.

Note 3 : Sur la notion de « français régional d’Haïti », voir les articles suivants :

« Remarques sur « Le français haïtien, une variété à part entière », par Robert Berrouët-Oriol, Le National, 16 mars 2017.

–« Le « français régional » d’Haïti sous la loupe du linguiste Renauld Govain », par Robert Berrouët-Oriol, Le National, 6 août 2021.

Montréal, le 30 août 2022

Maison Henri Deschamps | Dictionnaire de l'écolier haïtien 1er, 2e, 3e cycle fond.