« Bravo, tu l’as bien mérité ! » Tous ceux qui ont rejoint le camp des vainqueurs du jeu scolaire et universitaire voient ainsi salués leurs efforts et leur « mérite », leurs « capacités » et leurs « talents ». Mais ces éloges ont un revers : en élevant les uns, ils rabaissent les autres, définis précisément par ce qu’ils ne sont pas.
David Guilbaud, lui-même issu de ce système méritocratique, montre comment, en dépit des travaux de Bourdieu et de ses successeurs, en dépit des dispositifs d’« égalité des chances » qui se développent, tout concourt à maintenir un statu quo inégalitaire dès les premières années du parcours scolaire.
C’est cette discordance entre les discours et la réalité que ce livre examine. Avec une question : pourquoi ce système est-il si ardemment défendu non seulement par les gagnants du jeu « méritocratique », mais aussi par ceux qu’il a laissés de côté ? Bref, quels sont les ressorts de cette illusion méritocratique et pourquoi est-il important de la dissiper ?
Un guide d’autodéfense intellectuelle à l’usage de ceux qui doutent de faire partie des « meilleurs ».
David Guilbaud, issu de la promotion George Orwell (2015-2016) de l’École nationale d’administration, est aujourd’hui haut fonctionnaire.
*****
Comment échapper à l’illusion de la méritocratie
Si l’on veut vraiment réduire les inégalités, l’égalité des chances scolaires est nécessaire mais très insuffisante. Il faut d’abord multiplier les chances de réussir dans la vie et s’attaquer aux écarts entre les positions sociales. Le point de vue de David Guilbaud, haut fonctionnaire.
L’« égalité des chances » concentre aujourd’hui l’essentiel des réflexions sur les inégalités à l’école. Les débats portent ainsi sur la manière de parvenir à un système éducatif qui parviendrait à compenser les inégalités d’origine sociale entre élèves, afin de permettre à chacun d’eux de disposer des mêmes armes. On multiplie ainsi les dispositifs, dont le dernier en date est la réduction de la taille des classes dans l’éducation prioritaire. Une politique nécessaire, mais qui ne doit pas faire oublier l’essentiel : si l’on veut davantage d’égalité, c’est à la méritocratie telle qu’elle est aujourd’hui conçue qu’il faut s’attaquer, et ce de deux manières.
Premièrement, il faut que chacun puisse avoir plusieurs chances, c’est-à-dire « multiplier les occasions d’égalité » dans la vie des individus, selon l’expression de Camille Peugny [1]. Considérer l’école comme le seul moyen de réaliser la « méritocratie », comme on le fait aujourd’hui en France, aboutit inévitablement à une société qui valorise certains mérites (les mérites « scolaires ») et ignore d’autres qualités pourtant bien réelles (altruisme, engagement, persévérance…). Pour faire éclater ce système et multiplier les chances de chacun, il faudrait par exemple développer la formation continue, à l’image de l’Allemagne. Bien que la sélection scolaire y intervienne plus tôt et s’avère plus injuste qu’en France, le système allemand de formation continue permet une mobilité professionnelle plus importante en cours de carrière. Nous pourrions également mettre en place, sur le modèle danois, un dispositif universel de formation professionnelle, dans lequel chacun serait doté d’un capital de mois de formation payés par la puissance publique et qu’il pourrait utiliser quand il le souhaite. Un tel système aurait l’avantage d’encourager l’autonomie des individus, notamment des jeunes, en leur permettant de prendre le temps de faire des allers-retours entre études et emploi pour décider de leur orientation…
Lire la Suite => Observatoire des inégalités