Exposition « de feu et de pluie », Fondation Clément, du 20 octobre au 11 novembre.
Produite par la Fondation Clément en partenariat avec la DEAL et le PNRM dans le cadre de la candidature de la Martinique à l’inscription sur la liste patrimoine UNESCO.
Le titre de l’exposition « de feu et de pluie » renvoie aux deux versants d’une même gestation : car la Martinique est bien la fille des entrailles fumantes de la terre et des pluies provoquées par le relief, donnant naissance aux forêts tropicales humides. Partant de l’idée que le volcan impacte la vie de l’homme très au-delà de la science et des catastrophes, il a été demandé aux artistes de travailler sur le processus éruptif comme métaphore, voire l’essence de la création. Six œuvres ont été créées pour l’exposition : les installations «Respé twa fwa » de Christian Bertin, «Sismographie méga-poétique » de Julie Bessard, « Composition Tellurique » d’Hervé Beuze, «Tropical Bliss » de David Gumbs, « Le jour d’après » de Ricardo Ozier-lafontaine et le triptyque « Un démiurge » de Jean-Baptiste Barret. Les œuvres des dix autres artistes ont été choisies en fonction du parallèle entre construction/ destruction /reconstruction dans la nature et dans la vie de l’homme. Les œuvres parlent de mémoire, de chaos, de jaillissements et tremblements, d’échanges d’énergie, du magma qui fuse, de la chaleur brulante, de l’état du monde l’instant d’après.
Matilde dos Santos : Qui est Julie Bessard ?
Julie Bessard : Cette définition de qui je suis est en perpétuelle mutation et questionnement, ce n’est pas un dogme ou une ligne de conduite immuable, gravée dans le marbre. En fait aujourd’hui je me définis comme une citoyenne qui par un hasard de la vie s’est retrouvée artiste, et pour qui l’art est une condition de vie qui permet à la fois de comprendre le monde, de le supporter et d’avoir peut-être l’illusion d’y apporter quelque chose.
Mds : Un hasard vraiment ? tu crois que tu aurais pu être autre chose ?
JB : Je pense que j’aurais pu, non pas ne pas être artiste, mais peut-être m’exprimer dans un autre art, ce n’est pas impossible, quand je revois les pierres du parcours je me rends compte qu’il y avait quand même des signaux personnels, familiaux, contextuels, qui m’orientaient ou ont permis le développement d’une expression artistique.
Mds : Penses-tu que l’artiste a un rôle à jouer dans la société et quel serait ce rôle pour toi?
JB : Chaque artiste se projette dans un rôle, prend une posture, mais la société peut parfois l’instrumentaliser et lui demander de servir des idéologies, des projets qui ne lui conviennent pas totalement. Je préfère parler plutôt des œuvres qui me touchent que des artistes. Les œuvres sont pour moi des soupapes ,des ouvertures sur le monde, des canaux de ressenti et de compréhension. Elles nous emportent et nous accompagnent, nous entrainent dans la vie… cela rejoint Césaire quand il disait qu’avec un seul mot on pouvait traverser le désert d’une journée, une œuvre d’art, parfois rencontrée fortuitement, est ce mot qui comble et ouvre la vie à, et peut effectivement apporter beaucoup.
Mds : Est-ce que l’art soigne ? Soi-même ? l’autre ? Le monde ?
JB : Je ne donne pas à ce que je fais artistiquement la fonction de me réparer. Je crée pour partager. Si mes réponses plastiques peuvent soigner, tant mieux. La création est un dialogue, un chemin, et tout chemin quand on le prend est mouvement, ouverture vers, respiration avec. Aujourd’hui j’ai choisi de ne pas faire miroir de mes angoisses et problèmes personnels. Ce que je c’est comment je me libère de ceux-là et je partage cette libération. Comme les ombres de mes formes suspendues qui dépassent leur forme réelle.
Mds : Parle nous de ton processus de création et de ta pièce « Sismographie méga-poétique», dans l’exposition « de feu et de pluie » … qu’est-ce qu’elle apporte de nouveau dans ta création, comment tu l’appréhendes, comment le public l’appréhende selon toi.
JB : Premièrement l’idée de cette œuvre, quand tu m’as parlé de la thématique que tu voulais proposer à la Fondation, ça a été un flash, j’ai eu une image, une spirale est née, un espace qui dépasse le visuel et qui entraine le corps du spectateur à marcher autour de la forme et dans la forme. Il découvre, comme je l’avais imaginé, la sensorialité du pastel parce que le spectateur est vraiment très près, à vrai dire, il pourrait très facilement s’appuyer sur l’œuvre et se fondre dedans. Cette proximité nous immerge dans la couleur, on sent l’odeur de l’huile du pastel .Il y a eu un petit garçon qui l’a très bien traduit en sortant de la spirale , il a dit à sa mère « Maman, je suis entré dans l’art ! », ça veut dire que quelque chose du projet a fonctionné, en tout cas pour les enfants ça fonctionne immédiatement.
Je peux ajouter que ’était la première fois que je faisais une toile de 30 m de long et il y a eu deux choses qui étaient difficiles à appréhender pour moi dans le processus de création: d’un côté la continuité, car il était difficile de garder la même énergie et la même intention, c’est un peu comme une composition musicale, il fallait que la mélodie et le rythme maintiennent l’intérêt. Comme tout ça n’a pas été fait d’un seul trait, il fallait que d’un jour à l’autre je retrouve le fil conducteur de mes gestes de la veille, que je l’enrichisse, que je décide des continuités et des ruptures. Il y avait très pratiquement la question de la longueur car mon atelier qui n’est pas immense, mais aussi la grande inconnue, qui était la relation à l’intérieur de la spirale, la confrontation entre ses deux parois. Je me demandais si ce qui avait été placé en vis-à-vis un petit peu par hasard fonctionnerait quand même. Et aujourd’hui ça fonctionne. Il y a des confrontations, des interactions colorées, formelles, texturées, qui sont là et qui sont parfois dues au hasard et cela pour moi fait partie du processus de création. Ce sont des contingences de l’œuvre. Il y a différentes sonorités visuelles qui sont là en même temps et qui dépassent ce que je prévoyais. Je fonctionne souvent comme cela. A un moment l’œuvre m’échappe car je lui en donne la possibilité.
Mds : parles nous plus de ce travail en volume avec la couleur, qui est quand même une nouveauté pour toi
JB: En fait je me suis rendue compte qu’habituellement je sépare la couleur du volume, mais quand j’ai commencé à faire tourner la toile dans l’atelier, la question du volume s’est imposée à moi. Il y a eu une prise de conscience. Je me suis rendue compte que j’avais travaillé la toile jusqu’à là comme quelque chose de plat, en me disant que j’allais voir les effets de déformation quand on monterai la toile sur la structure dans la salle d’exposition, mais la question du volume est arrivée en cheminant, et sur les derniers jours encore dans l’atelier c’est devenu très prégnant, je peignais encore, que je pensais déjà au volume et me suis rendue compte des confrontations frontales que le volume créait, et de l’obligation d’avoir des juxtapositions, mais aussi de la disparition de certaines formes, ..
Je me suis toujours posée la question de la couleur en sculpture mais je ne pensais pas que ça viendrait directement par la peinture, je pensais que ce serait l’arrivé par un nouveau matériau.
Cela fait longtemps que je me pose la question de la mise en espace de la peinture. Le thème du volcan m’a permis de répondre à des questionnements purement plastiques que je n’avais pas encore résolus.
Mds : Quel était l’impact de la pandémie sur ta création et ton actualité ? Quels sont les projets à venir ?
JB : Pour moi il y a eu un impact important déjà au niveau des expositions prévues. Par exemple l’exposition collective « Dust Specks on the Sea: Contemporary Sculpture from the French Caribbean & Haiti » organisée par Arden Sherman qui partait de New York , est resté bloquée, fermée à Miami pendant des longs mois, ensuite je n’ai pas pu aller au vernissage à Albuquerque et ce n’est pas sûr que je puisse aller à celui de San Francisco. J’avais aussi un projet de sculpture qui a été repoussé. Il y a des répercutions dans tout le monde de l’art, sur les propositions et sur les moyens donnés à ces réalisations. La conséquence pour moi a été que j’ai concentré la tension et l’énergie à l’intérieur de l’atelier. Mais au premier confinement j’étais quand même paralysée, atterrée ; je n’envisageais pas de créer dans une telle incertitude, dans une telle imagination d’un non monde futur, j’étais focalisée sur de choses prosaïques : l’organisation de la vie courante, la nourriture, des déplacements. Lors de la deuxième phase j’ai intégré cet enfermement et j’ai transformé toutes les activités extérieures en activités intérieures dans l’atelier et je me suis dit de toutes façons qu’il fallait continuer à créer. On verrait bien ce qui se passerait après. Aujourd’hui je suis dans la préparation des projets, de manière à être prête quand les choses vont rouvrir, quelle que soit la manière dont elles vont le faire.
En quelque sorte le confinement a fini par être bénéfique pour moi, car j’ai redéfini mon cadre de vie et de création, j’ai réagi à une sensation d’emprisonnement, d’immobilisation. Il fallait bien que je m’exprime. En ce moment, je reprends de petites peintures. Le projet « de feu et de pluie » a été une grande présence pendant presque 6 mois. La spirale occupait tout l’atelier, donc impossible de faire autre chose. Il y avait une organisation matérielle importante, il fallait coulisser, accrocher, raccrocher, ajuster l’éclairage, il fallait travailler aussi collectivement sur la structure. C’était très excitant parce qu’il il y avait un danger esthétique de rater en grand, il y avait un challenge. Cette spirale fait partie des travaux qui m’ont amenée au-delà de mes habitudes et c’est toujours bien car ça déplace et éprouve ce que je fais. Je me demandais si c’était pertinent, si ça ne m’empêchait pas de faire autre chose de plus essentiel. Puis il y a eu un moment étonnant quand on a enlevé la toile, tout l’atelier a été vidé d’un coup. Un grand silence.
Pour l’avenir je rêve de volume. J’ai envie de repartir sur mes volumes agrafés, suspendus, ombrés. J’ai un projet en stand-by, j’attends que ça se confirme. Entre-temps je suis dans la peinture plus modeste mais j’ai pris l’habitude des grandes toiles depuis plus de deux ans– de mon exposition personnelle à la Fondation Clément en passant par la peinture murale pour le lycée Paulette Nardal, et enfin la spirale-volcan : quand tout le corps est en jeu c’est comme une danse.
Propos recueillis par Matilde dos Santos – commissaire de l’exposition