« Mi-chaud – Mi froid : On ne peut pas plaire à tout le monde » : que tombent les murs!

— Par Roland Sabra —

Le synopsis est paraît-il inspiré de la personnalité de Lucette Michaux-Chevry ! On veut bien le croire, mais l’intérêt de ce spectacle est ailleurs : il réside dans ses modes d’expositions, dans une volonté réaffirmée du début à la fin de casser, briser, les quatrième et cinquième murs. Si le quatrième mur est bien connu depuis qu’il a été théorisé par le philosophe et critique Denis Diderot : « Imaginez sur le bord du théâtre un grand mur qui vous sépare du parterre ; jouez comme si la toile ne se levait pas. » ( Discours sur la poésie dramatique  Chap. 11, De l’intérêt, 1758.), le concept de cinquième mur est encore balbutiant dans sa formalisation. Certains l’entendent comme une séparation entre la vie des artistes et celle des spectateurs, d’autres comme celle qui passe entre comédiens/danseurs et musiciens. Catherine Dénécy semble danser de l’une à l’autre.

Elle arrive sur la scène venant de la salle. Elle y trouve un plateau presque vide, structures mises à nues, rideaux levés, une batterie coté cour, coté jardin une table de mixage et une guitare basse. Passant de coté salle à coté plateau très souvent elle affirme être en lieu qui est le sien. Île ou théâtre, cabaret de jazz ou territoire ? Peu importe. Maîtresse de l’espace et du temps, croit-elle, elle s’affronte au tempo du batteur, pince ses cymbales, le stoppe dans son élan, tente d’ accrocher, bras, torse, jambes, pieds et main au solo fracassant. Il joue. Elle danse. Conflit d’ego ? On ne sait trop mais l’essai d’un rapprochement échoue. Autre tentative avec le bassiste. A l’affrontement préférerait-elle la séduction ? Sans beaucoup plus de succès et pas davantage avec la musique enregistrée de la « boite à sons ». Juchés sur des cubes face à la salle, les quatre sur le plateau disent pourtant dans une pantomime l’unicité de leur relation à la performance, au pouvoir. Mêmes formes de discours, mêmes gestes, saccadés sans grâce particulière, stéréotypés, formatés par des « éléments de langage » comme on dit aujourd’hui. Le règne du faux et du vide.

Alors, délaissée par les musiciens, elle aussi part, rentre chez elle, la régie en l’occasion, et elle dit, en voix off, les tourments, les affres, la jouissance de la création, la bienheureuse fatigue qui le soir l’envahit. Elle monte et elle descend les gradins, cherche son chemin, passe par le plateau, rejoint de nouveau la régie, son espace privé en quelque sorte, sans jamais s’adresser au public. C’est dans ce cheminement une des formes de cassure du cinquième mur. Faire part de ce qu’il en est de la création. L’avant spectacle est aussi partie prenante du spectacle. Artiste habitée sans répit, ni de jour ni de nuit, chez elle, en transports, elle travaille autant qu’elle est travaillée par cette nécessité de créer, inventer, pour dire au-delà des mots, sans délai ni répit.

Un semblant de chorégraphie s’ébauche avec des formes musicales plus jazzy. Ils jouent ET elle danse. Retour à des formes musicales antérieures, le jazz, comme un retour au sources, il peut laisser croire à la nostalgie d’un temps harmonieux ou à celui d’une période d’entente, entre musiciens et danseurs dans ce cas. Le dernier pan du cinquième mur s’effondre-t-il ? A dire vrai pas sûr ! La musique s’enregistre sur la bande son et les musiciens vont quitter la salle, un par un, seul demeure la danseuse, qui danse, qui danse sur la musique. L’œuvre musicale perdure au-delà de son créateur. Et c’est elle qui fait lien social, qui fait lien politique. La démocratie le lieu de l’unité et/ou le lieu du débat où l’on ne peut pas plaire à tout le monde? La salle de Tropiques-Atrium, elle, était d’accord. Elle l’a manifesté par de vifs applaudissements et des rappels.

Spectacle décapant, original dans sa facture, porté par une belle équipe cimentée de complicité et d’engagements et qui tourne depuis plus de deux ans il méritait sans doute une public martiniquais plus nombreux sans doute éparpillé à la veuille du 22 mai entre théâtre, danse, et fêtes de rue. Regrets d’autant plus grands que justement les rues de Fort-de-France célébrant l’abolition, dans les spectacles présentés, notamment près du palais de justice reproduisaient de façon caricaturale une séparation d’ancien régime entre notables confortablement installés sur des chaises, des fauteuils et séparés de la populace. « Ceux d’en haut »,  les assis et « ceux d’en-bas »,  les debouts. Trônaient là élus, ecclésiastique en retard qu’il fallut attendre pour que le spectacle commence, militaires en tenues, hauts-fonctionnaires, dans un monde d’entre-soi, bien à l’écart de la plèbe qui tendait le cou, comme toujours et tentait d’apercevoir ce qui se jouait. Il est encore des abolitions de privilèges à faire.

Fort-de-France, le 21/05/2017

R.S.

.Chorégraphie, Interprètation & Voix : Catherine Dénécy
Dramaturgie & Assistante -à la chorégraphie : Élodie Paul
Texte & Adaptation : Catherine Dénécy & Elodie Pau
DJ & Musique électronique : exXÒs mètKakola
Batterie : Jérôme Castry
Basse & Guitare : Éric Delblond
Composition musicale : exXÒs, Stéphane Castry & Jérôme Castry
Création & Régie lumière : Jack Marcel
Costumes (Catherine Dénécy) : Patrick Cassin (Cassking)
© crédit photo : Philippe Virapin