— Par Sophie Ravion d’Ingianni, Membre de l’Aica —
Le Tropiques-Atrium, scène nationale expose du 18 février au 19 mars dans la salle André Arsenec, trois œuvres de l’artiste de République Dominicaine, Belkis Ramirez. Avant de commenter cette exposition, j’ai envie de souligner qu’il y a derrière une personne, voire une personnalité, une femme toujours de bonne humeur, aimant rire, avec beaucoup d’humour et de bon sens, mais aussi manifestant de la rigueur. Je connais depuis quinze ans Belkis Ramirez, ayant vécu cinq années dans son pays, une magnifique île très contrastée, entre urbanisation et zone de nature exubérante, richesse et pauvreté, comme de nombreux endroits dans les Grandes Antilles.
Belkis a un long parcours fait de résistances, d’apports, de partages et de dons. Comme de nombreux artistes de la République Dominicaine, mais aussi de Cuba, elle expose fréquemment des œuvres qui relatent et s’inspirent des enjeux liés à l’histoire de son île, mais aussi de ses expériences en dehors de son pays. L’œuvre de Belkis Ramirez, que nous allons évoquer, traverse « au travers » d’une pratique plastique qui est essentielle pour elle, tout un registre de possibilités plastiques liant l’imaginaire à la réalité. Comme l’artiste cubaine, Sandra Ramos, Belkis pose un regard critique et interroge la place de la femme dominicaine et plus généralement celles des femmes d’Amérique Latine dans sa société, femmes qui sont souvent en diaspora, en exil, parties dans l’espoir de trouver de meilleurs conditions de vie à l’étranger. Ce qui interpelle dans l’exposition intitulée « Parties du tout » que nous voyons en Martinique, c’est la question des mélanges des pratiques et des contenus culturels qui conservent toute la force d’une écriture traditionnelle ouverte aux pratiques actuelles de l’installation et de l’interactivité.
L’artiste :
Belkis Ramirez est née à Santo Domingo. Elle a longtemps partagé sa vie d’artiste entre la République Dominicaine et New York. En 1978, elle est diplômée d’une section d’arts graphiques aux Beaux-arts de Saint-Domingue. Elle poursuit ses études dans la section architecture de l’Université Autonome (UA) de Saint-Domingue où elle en sort diplômée en 1986. Ensuite, elle participe à des ateliers de gravure, de design graphique dans la fameuse école Art Altos de Chavon, proche de la Romana. En 1992 et 1994, elle reçoit les Premiers prix des 18 et 19 mes Biennales des Arts visuels du Musée d’Art Moderne de Saint-Domingue. Dès lors, elle exposera à plusieurs reprises au Musée d’Art Moderne de Saint-Domingue, en 2005, 2006, 2010 lors de la première Trienale internationale de la Caraïbe. En 2009, elle participe à Paris au Parc de La Villette à Kréole Factory – Des artistes interrogent les identités créoles (commissariat assuré par Yolande Bacot) au côté d’autres artistes dominicains : Jorge Pineda, Tony Capellan, le photographe Polibio Diaz, Marcos Lora Read, Limber Vilorio. En 2011, avec le groupe Quintapata, dont elle est une des principales artistes, elle expose au Centre culturel du Mexique l’exposition collective Mover la roca, une exposition qui voyagera dans plusieurs pays d’Amérique Latine et qui regroupait à cette période, Tony Capellan, Pascal Meccariello, Raquel Paiewonsky et Jorge Pineda. Le commissaire de cette exposition qui a eu lieu la première fois au Centre Espagnol de Saint-Domingue était Fernando Castro Florez. En 2012, Belkis participe à la 11e Biennale de La Havane et en 2013 à la 55e Biennale de Venise avec le groupe Quintapata. Sa dernière exposition personnelle a eu lieu en 2014, au Centre Culturel d’Espagne et s’intitulait : Hasta que me guste.
L’exposition au TROPIQUES-ATRIUM
Avant de pénétrer à l’intérieur de la salle André Arsenec, nous sommes invités à introduire notre corps dans une sphère blanche ouverte. Notre tête se retrouve baignée dans l’obscurité et se déclenche alors une bande enregistrée qui relate une longue conversation de l’artiste avec son commissaire d’exposition. Belkis parle de son travail, de son oeuvre, de la vie. Cette installation interactive date de 2014 est s’intitule « Hasta que me guste – Jusqu’à ce que je m’aime ». Belkis m’a confié qu’elle n’aimait pas sa voix et que « ne pas aimer sa voix ce n’était pas s’accepter ». Ainsi, cette œuvre est à comprendre comme l’œuvre d’une performance personnelle qu’a réalisée l’artiste.
L’intérieur de la galerie, magnifiquement scénographiée par Florence Legall, nous conduit dans un dédale de sculptures de 170 x 50 cm, représentant des femmes peintes en noir dont le visage, pour certaines est maquillé. Soit de face ou de profil, ces femmes gravées en double face, nous regardent, tournent aussi sur elles même, car elles sont suspendues, le plus souvent, par les cheveux et accrochées par un énorme hameçon. Ce qui nous interpelle c’est la pratique de l’artiste . Depuis de nombreuses années Belkis travaille avec les matrices qui servent en principe à réaliser de la xylogravure (La xylographie étant le procédé d’impression d’une image ou d’un texte qui utilise la gravure sur bois). L’artiste sculpte et entaille ses matrices de bois et les enduit de couleurs. Cette oeuvre, intitulée « De maR en peor – de meR en pire », mais qui sous entend « de mal en pire », a été pour la première fois réalisée en 2001. Dans une scénographie différente que celle que nous découvrons dans la galerie Arsenec, les silhouettes de 33 femmes faisaient face et front au spectateur. Cette même installation a été de nouveau exposée en 2009 à Kréyol Factory. Ici, les matrices semblent dialoguer avec chaque spectateur. L’artiste fait référence à toutes les femmes dominicaines qu’elle a pu rencontrer en Suisse ou en Hollande et qui pour survivre se prostituent.
Ce thème est récurrent dans le travail de Belkis et m’a rappelé une autre installation En offerta que j’avais vue au musée d’Art Moderne de Saint-Domingue. La pièce se composait de cinq planches en bois de deux mètres cinquante de haut, adossées à un mur sur une longueur de cinq mètres. Chaque planche représentait un corps de femme (portrait en pied) enveloppé dans une robe noire. Le visage, les mains et les pieds étaient uniquement visibles et semblaient sortir d’une sorte de camisole de force. Tout autour de ces panneaux de bois gravé par l’artiste, il y avait un éclairage avec des ampoules qui cernaient le corps de ces femmes. Au niveau de leur ventre, à l’endroit du nombril, partait comme un cordon ombilical, un énorme lasso qui formait sur le sol, à la fois une boucle mais aussi un collet, comme un piège. Chaque lasso était de taille différente. D’emblée le regardeur devait entrer dans ce cercle pour être en face de ces femmes et au cœur de l’installation. Belkis Ramirez avec cette pièce, comme avec celles que l’on voit au Tropiques-Atrium, a voulu faire passer un message précis sur la société dominicaine. Lors d’un voyage en Hollande, à Amsterdam, elle a pu constater qu’un grand nombre de prostituées étaient originaires de République Dominicaine. C’est la métaphore de ce constat que l’artiste traduit dans son oeuvre. La lumière des ampoules électriques faisait songer aux boutiques dans lesquelles s’affichent les prostituées dans le Quartier Rouge d’Amsterdam. Cette installation, comme la première version de « MaR en peor » mettait mal à l’aise le regardeur, qui selon l’artiste ne franchissait pas l’espace tracé par les lassos ou ne s’introduisait pas entre les corps des femmes suspendus.
La troisième installation présentée dans l’exposition s’intitule «Reconstruyéndonos – Nous reconstruire». Elle est composée d’un assemblage de centaines de cubes gravés et colorés. Certains représentent des chiffres, d’autres des lettres ou des visages. L’idée du jeu est présente, mais Belkis a plutôt entrepris dans cette pièce, de nous donner la possibilité de réfléchir sur l’instruction comme un passage de l’âge enfantin à celui d’adulte. Comme nous franchissons dans notre vie des seuils, des portes, nous devons franchir ici cet arche pour accéder à la suite de l’exposition.
L’exposition « Parties du tout » nous raconte des chaos d’histoires autour des enjeux sociétaux contemporains. Belle narratrice, Belkis Ramirez avec ses installations domine à merveille la sculpture sur bois. Nous n’avons ici qu’un aperçu d’une oeuvre multiple.
Sophie Ravion d’Ingianni, Membre de l’Aica – c.s