L’histoire retient le nom de Victor Schoelcher, mais de nombreux auteurs ou philosophes des Lumières se réclamaient de l’ anti-esclavagisme, et l’abolition en France est issue d’un long processus qui demanda une petite centaine d’année. Influencée d’une part par l’abolition maîtrisée dans les colonies britanniques et profitant de la « révolution » de 1848 pour enfin appliquer les textes de 1791 et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen, l’état français abolit l’esclavage le 27 avril 1848.
Décret relatif à l’abolition de l’esclavage dans les colonies et les possessions françaises
du 27 avril 1848
Au nom du Peuple français.
Le Gouvernement provisoire,
Considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité.
Considérant que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l’abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres,
Décrète :
Art. 1er. L’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles. A partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront absolument interdits.
2. Le système d’engagement à temps établi au Sénégal est supprimé.
3. Les gouverneurs ou commissaires généraux de la République sont chargés d’appliquer l’ensemble des mesures propres à assurer la liberté à la Martinique, à la Guadeloupe et dépendances, à l’île de la Réunion, à la Guyane, au Sénégal et autres établissements français sur la côte occidentale d’Afrique, à l’île Mayotte et dépendances et en Algérie.
4. Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n’auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés les individus déportés par mesure administrative.
5. L’Assemblée nationale réglera la quotité de l’indemnité qui devra être accordée aux colons.
6. Les colonies, purifiées de la servitude, et les possessions de l’Inde seront représentées à l’Assemblée nationale.
7. Le principe que le sol de la France affranchit l’esclave qui le touche est appliqué aux colonies et possessions de la République.
8. A l’avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d’acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînera la perte de la qualité de citoyen français.
Néanmoins les Français qui se trouvent atteints par ces prohibitions, au moment de la promulgation du présent décret, auront un délai de trois ans pour s’y conformer. Ceux qui deviendront possesseurs d’esclaves en pays étrangers, par héritage, don de mariage, devront, sous la même peine, les affranchir ou les aliéner dans le même délai, à partir du jour ou leur possession aura commencé.
9. Le ministre de la Marine et des Colonies et le ministre de la guerre sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.
Fait à Paris, en Conseil du Gouvernement, le 27 avril 1848
Les membres du Gouvernement provisoire,
Signé Dupont (de l’Eure), Lamartine, Armand Marrast, Garnier-Pagès,
Albert, Marie, Ledru-Rollin, Flocon, Crémieux, Louis Blanc, Arago.
Le secrétaire général du Gouvernement provisoire,
Signé Pagnerre.
La Liberté générale sera appliquée deux mois après l’arrivée officielle sur place du décret. Les décrets organisant l’instruction ou le régime du travail furent rédigés par la Commission dans les semaines suivantes et promulgués entre le début mai et la mi-juillet 1848. En moins de cinq mois les colonies esclavagistes françaises vont tourner le dos à un régime social et économique vieux de plus de trois siècles, que la Première Révolution n’avait pas réussi à vaincre durablement.
En réalité cette rapidité n’était qu’apparente : le travail de la commission présidée par Schoelfer était l’aboutissement de plus d’un siècle de débats et de combats qui avaient opposé dans une lutte sans merci les esclavagistes aux abolitionnistes. Le décret imposé par l’infatigable Schoelcher couronnait un siècle d’efforts de ceux qui osèrent se lever pour dénoncer ce déshonneur : cent ans après la parution de l’Esprit des Lois, l’indignation de Montesquieu trouvait son aboutissement.
Le décret du 27 avril prévoyait l’entrée en application de la liberté deux mois après la promulgation du décret lui-même. Cette mesure se voulait rapide, ne laissant aux colons aucun délai leur permettant d’organiser la résistance.La réalité fut encore beaucoup plus expéditive que ce que prévoyait la loi, et un scénario social et politique décisif se joua en quelques jours. La chute du gouvernement et la reconduite de la République souleva parmi les esclaves l’espoir d’un rapide affranchissement : les ateliers refusèrent le travail et exigèrent un salaire, s’insurgeant contre les châtiments corporels. Finalement l’insurrection tant crainte par le gouvernement de Paris, éclata à Saint-Pierre (Martinique) le 22 mai avant qu’ait pu être connue l’existence du décret et son ampleur contraignit les autorités à proclamer aussitôt l’abolition sur toute l’île. Quand le Décret arriva de Paris le 3 juin, l’esclavage n’existait plus…
Le même scénario se déroula en Guadeloupe, colonie où la résistance des esclaves était un fait établi : le 27 mai le gouverneur fut à son tour obligé de proclamer la liberté générale, alors qu’il ignorait les décisions prises à Paris. Enfin, en Guyane, le Décret fût appliqué le jour même de son arrivée.
L’onde de choc des insurrections des Antilles Françaises suivies de l’application de la Loi, ne resta pas sans écho dans les Caraîbes encore esclavagistes. Les esclaves de Saint Martin, Saba, Saint Eustache se libérèrent eux-mêmes lors du printemps 1948. Pourtant ce « printemps des peuples noirs » ne put s’étendre dans les grands pays esclavagistes. Cuba, les États-Unis et le Brésil continuèrent même à accroître leur population servile pendant plusieurs décennies. Le Brésil ne se prononcera qu’en 1888 .
L’abolition de l’esclavage dans les colonies européennes ne fut pas le résultat de la seule intervention des anti-esclavagistes des métropoles, si illustres qu’ils furent. L’histoire des colonies fut ponctuée d’une succession ininterrompue de révoltes serviles, allant du quilombo -marronnage dans les Antilles- à l’insurrection générale qui culmina en 1791 à Saint Domingue. Les noms de Makandal (Saint Domingue), Toussaint Louverture (Haïti), Orookono (Surinam), Moses Bom Saamp (Jamaïque), Zumbi (Brésil) étaient connus de tous en Europe et certains de leurs exploits étaient magnifiés par les écrits des grands auteurs de l’époque. La fin de l’esclavage n’est donc pas issue d’un acte de mansuétude venu de l’Europe mais bien le fruit de la Résistance du peuple noir et de son organisation.
Au Brésil, l’étude des quilombos -communauté d’esclaves en fuite- révèle l’importance de la résistance des esclaves dans le processus d’abolition…prochain épisode « de la fazenda au quilombo ».
guilhem.rédaction capoeira-france.
Lire Edouard de Lépine : Sur l’abolition de l’esclavage :
:http://www.madinin-art.net/sur-labolition-de-lesclavage/