22 MAI 1848
I
L’or rouge de l’Afrique a menotté mes yeux
pour toujours obsédés par le son du tambour.
Ces mains battant la peau de joie ou de douleur
dont déborde le cœur des hommes de couleur
conjurant tous les dieux des jungles et des cieux
pour oublier le poids de leur destin trop lourd,
racontant l’épopée d’un trajet sans retour,
d’un exil au delà des terres des ancêtres,
subissant sous le joug insensible de maîtres
cruels l’injustice du légal code noir
qui fait dans la terreur d’un monde sans amour
l’espérance de vie rimer au désespoir.
C’est pourquoi aujourd’hui vient le besoin d’écrire,
d’exorciser enfin le triste souvenir
afin que désormais avec moi puisse dire
tout homme sensé : “L’ESCLAVAGE, JAMAIS PLUS !”
II
Mon île n’est pas née de nébuleuses
mais bien plutôt de la mer houleuse.
22 Mai ! Ce beau jour
vit se briser les chaînes…
N’est-ce pas le bon jour
pour enterrer les haines ?
Et si sont remisés
et les fouets et les fers,
c’est pour qu’enfin jaillisse
aujourd’hui la lumière.
22 MAI 1848
Si se sont libérés
les poignets et les pieds,
cela n’est pas assez
pour crier : « Liberté ! »
Il faut ôter aussi
tous les liens de l’esprit
ligotant la pensée
au grand pieu du passé
qui nous laisse obsédés
du souvenir funeste
du temps chauffé à blanc
d’avant le 22 Mai
dix-huit cent quarante-huit !
Patrick MATHELIÉ-GUINLET
MÉMOIRE D’UNE SEULE TRAITE
J’ai traversé pour l’autre bord,
le bord de ce beau pays de France.
Je suis allé à Bordeaux
au bord de l’eau
sur les quais ensoleillés,
laissant au fil du fleuve mon esprit vagabonder.
J’y ai humé comme un fumet
persistant et rance
de larmes, de sang,
de sueur et de peur,
comme un relent
de mort, d’humiliation, de souffrance.
J’ai contemplé les fantômes de ces grands bateaux négriers
remontant l’estuaire, toutes voiles déployées,
qui firent la fortune des commerçants
de bois d’ébène sur le dos des esclaves.
Les fantômes de ceux qui sucèrent la moelle de l’Afrique
pour toujours plus de fric
et instaurèrent l’ignominie du Code Noir.
J’ai entendu claquer le fouet
entre cliquetis des fers, bruits de vomis,
cris de douleur, gémissements de désespoir
dans l’étouffante chaleur du fond de cale
où l’homme vaut moins qu’un animal !
J’ai tourné sept fois autour de l’arbre de l’oubli
à m’en donner le tournis
pour mieux sentir le déracinement
de ma généalogie
étêtée, amputée, dispersée,
vaporisée, diasporisée…
Aux frontons de leurs belles maisons de pierre
j’ai vu devant mes yeux catastrophés
les têtes de mes ancêtres, trophées
exposés sans pudeur,
mascarons symboles des richesses accumulées.
Mais cet argent avait une odeur,
celle de la dignité volée,
de la fierté piétinée,
de l’identité écrasée,
de l’humanité niée…
Un parfum de pourriture et de cadavres
s’exhalant d’une toute petite plaque de bronze gravée,
cachée à terre au milieu des pavés
comme l’expression d’une trop grande honte non assumée
et que l’on foule aux pieds
sans y penser.
Alors mes narines se sont pincées,
mes yeux embués
et je me suis levé
afin de réclamer
mon dû : MÉMOIRE, RESPECT, RÉPARATION !
Patrick MATHELIÉ-GUINLET
(Bordeaux, 07-05-08)