La Région Martinique – Grand Saint Pierre/ Embellie des Trois Ilets, et la municipalité de Saint Pierre, invitent les Martiniquais à participer activement à la Journée du 22 mai à Saint Pierre de 9h à 20 h, sur la place Bertin de Saint Pierre.
A l’origine de notre marche vers la vraie liberté
LA CONQUÊTE DU NOM
Nouveaux libres, Nouveaux citoyens, Nouveaux résistants
Toute la journée : Des activités culturelles et artistiques – des Films documentaires – des Théâtralisations – une grande Exposition des 2335 noms qui ont été attribués aux nouveaux libres de 1848 … et surtout de 10h à 17h
« Retrouvez vos ancêtres esclaves » avec les Archives départementales de la Martinique.
Le nom, garant de l’identité
—Par Maylis COUTAU-BEGARIE —
Un nom c’est bien souvent tout ce qui reste pour nous d’un être, non pas seulement quand il est mort, mais de son vivant… », proférait cruellement Marcel Proust dans Le Temps Retrouvé.
En effet, notre identité n’est-elle pas d’abord définie par un nom ? Quand l’idée est-elle venue de différencier les êtres par une appellation singulière ? Comment cette dernière est-elle née ? Que nous apprend-t-elle ?
Au XIIIe siècle, les Français ne sont désignés dans les actes que sous leur nom de baptême, du moins pour ceux qui n’appartiennent pas à la noblesse. Ça n’est qu’en 1539, sous François Ier que le pouvoir se préoccupe de légiférer sur le nom. L’édit de Villers-Cotterêts établit la transmission patriarcale des surnoms1, jusqu’alors attribués au hasard d’une origine, d’une qualité, d’une spécificité, en vue de distinguer les personnes de même nom de baptême. En effet au XVe siècle, seuls cinq prénoms suffisent parfois à nommer 70 % des hommes2. On utilise alors le surnom par commodité, sans voir aucun inconvénient à le changer au gré des événements. « Tel individu appelé Lelong à cause de sa taille, devenait Lebossu après un accident qui le déformait, tel autre appelé Cornard parce que les infidélités de sa femme en faisaient la risée du pays, était, au retour d’un pèlerinage, tenue pour Romée, l’auréole que lui conférait le voyage à la ville sainte interdisant que l’on rit de son infortun e3 . ». Un terme est donc mis à cette fantaisie avec la création de l’état civil qui ne fait néanmoins qu’officialiser une coutume officieuse. Il était en effet déjà fréquent à l’époque, que le fils adopte le surnom du père, on disait ainsi « Jean le fils au brun (…) puis par ellipse Jean Aubru n4 ».
Trois ans plus tard, en 1542 le pape Paul III convoque le Concile de Trente afin de formuler la réponse de l’Église aux attaques proférées par Martin Luther, initiateur de la réforme protestante. La première session est ouverte le 13 décembre 1545, suivront vingt-quatre autres étalées sur dix-huit ans et couvrant cinq pontificats. La nomination est alors le lieu d’un combat contre les protestants, ces derniers ayant exclusivement recours aux noms de l’Ancien Testament.5 L’Église généralise le recours au nom de saints universels car nombreux sont alors les enfants nommés douteusement d’après des saints “locaux”. Elle s’érige en tant que gardienne des registres de baptême, premiers états civils. Ces registres ont alors pour finalité de garantir l’existence des personnes, mais surtout de séparer les catholiques des protestants aux droits différés par le régime. Le nom de baptême se fait dès lors porteur d’une revendication identitaire, s’inscrivant dans une démarche de résistance catholique.
Coup de théâtre en 1792, lorsque la Législative, assemblée révolutionnaire, intronise un nouveau terme pour remplacer le “nom de baptême”, le “prénom”. Véritable provocation faite à l’Église à travers l’origine païenne de ce substantif, induisant la volonté manifeste de séculariser la société. Le prénom est en effet l’un des éléments du système romain de nomination, le praenomen, dévolu originellement à la stricte distinction des membres d’une famille. Ce nouveau terme a alors bien du mal à entrer dans les
usages, la preuve en est qu’en 1832, le Dictionnaire de l’Académie Française le présente encore comme un “usage secondaire” du nom de baptême6.
À la suite de la création de l’état civil, s’instaure le principe d’immutabilité de l’état civil (remis en cause au XXe siècle avec l’invention de la procédure de francisation des noms et prénoms). Le décret du 6 fructidor an II (23 août 1794) proclame dans son article premier qu’ « aucun citoyen ne pourra porter de noms ni de prénoms autres que ceux exprimés dans son acte de naissanc e7 . ».
Néanmoins, c’est seulement au fil du XIXe siècle que s’institutionnalise l’usage d’un seul nom et d’un seul prénom, avec l’établissement de carnets d’identité, de l’école obligatoire et du service militaire entre autres, consacrant la disparition du contrôle clérical sur les prénoms. Le nom en vient alors à inscrire le sujet dans la communauté nationale en construction.
L’Église ne renonce pas pour autant à faire du baptême le lieu de la nomination et organise sa résistance. L’enjeu est de taille puisque le baptême symbolise la naissance spirituelle de l’enfant et son entrée dans la communauté temporelle et chrétienne. C’est par le baptême que l’enfant advient véritablement à l’existence, le prénom octroyé à la naissance n’étant qu’une nécessité d’ordre étatique. L’Église se bat alors pour que le nom de baptême, et par la même le baptême, conserve sa primauté. Ainsi le code de droit canonique de 1917 indique au canon 761 que « les curés veilleront à ce qu’un nom chrétien soit donné à celui qui est baptisé ; s’ils ne peuvent l’obtenir ils ajouteront au nom donné par les parents le nom d’un saint et ils inscriront les deux noms au livre des baptême s8 . » Ça n’est qu’en 1983, à la dernière révision dudit code, que le terme de prénom rentre dans le vocable catholique. Ce passage du nom de baptême au prénom, marque le passage d’une société axée sur le transcendant à une société matérialiste, dont les rites d’imposition du nom semblent à chaque fois se faire l’illustration.
Ainsi outre la nécessité de plus en plus affirmée d’identification et classification de la société dont témoignent les successives législations sur le nom, l’usage du nom a, au fil de l’histoire, été instrumentalisé de nombreuses manières par le pouvoir dans une démarche de revendication identitaire d’une part, de construction identitaire nationale d’autre part.
Ce que l’on peut également dès à présent constater de ce bref rappel historique, c’est que le nom est intimement inscrit dans son époque, les évolutions du nom étant conjointes à celles des mentalités.
D’autre part, il est indéniable que la prise d’importance du nom dans son principe de singularisation se soit faite simultanément à la naissance puis à l’affirmation de la notion d’individu.
On affirme actuellement volontiers, que la culture occidentale a intronisé une conception émancipatrice de l’homme, accordant une place de choix à l’individu…
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